Tessit (Mali) – Dans un nuage de poussière ocre, drapeau national claquant au vent, une colonne de pick-up maliens armés progresse lentement dans la zone frontalière avec le Burkina et le Niger, pays partenaires de la toute première opération du G5 Sahel.
Dans le convoi, une vingtaine de blindés de la force française Barkhane veillent, assurant la sécurité.
“Cette piste entre Tessit et Kayrougouten (centre-Mali) est un axe majeur, emprunté par les commerçants et la population”, explique à l’AFP le lieutenant Gaoussou Diara, qui commande une centaine de soldats maliens mobilisés pour cette opération transfrontalière inédite.
“Nous sommes là pour sécuriser la zone et rassurer les gens, qu’ils
puissent vivre une vie normale”, ajoute-t-il.
Dans cette vaste étendue rocailleuse des “trois frontières”, peuplée
d’éleveurs nomades et parsemée d’épineux, les trafics en tous genres
prolifèrent.
Et les groupes jihadistes, liés à l’Etat Islamique ou à Al-Qaïda, se sont
implantés à la faveur des carences des Etats.
Côté malien, à quelques dizaines de kilomètres de la frontière burkinabè,
le village d’In Tillit porte les stigmates du passage de groupes armés.
Au beau milieu des maisons en torchis trône un panneau frappé du sceau noir
jihadiste.
Menacés, le maire et l’enseignant ont fui les lieux. Sur le tableau noir de
l’école, une date: 1er juin 2017.
– ‘Paysan ou terroriste ?’ –
“Je ne peux pas vous parler, je ne pourrai plus rien vendre”, s’excuse le
propriétaire d’une modeste épicerie.
“Les habitants ont peur. Les forces maliennes ne viennent pas souvent ici”,
explique Mamadou, un interprète.
“Nos soldats ne peuvent pas être positionnés partout” dans ce pays deux
fois plus grand que la France, se défend le lieutenant Diara.
“Mais aujourd’hui, grâce au G5 Sahel, nous allons être plus forts pour
lutter contre le terrorisme à nos frontières”, assure-t-il.
Sur le papier, cette coalition de cinq nations (Mali, Niger, Mauritanie,
Burkina Faso et Tchad) parmi les plus pauvres du monde doit atteindre d’ici
mars 2018 une capacité de 5.000 hommes, puis parvenir à sécuriser ses
frontières communes de manière autonome.
La France, dont 4.000 hommes traquent les jihadistes à travers la bande
sahélo-saharienne, s’est engagée à soutenir le G5 Sahel.
“Nous n’avons pas les mêmes moyens que Barkhane, mais nous avons acquis
beaucoup d’expérience avec eux. Et aujourd’hui, c’est nous qui menons la
mission première, avec nos amis français en appui”, affirme avec fierté le
lieutenant Diara, après avoir ordonné le contrôle de deux motos passées à
proximité du convoi.
“Pour eux, c’est plus facile de distinguer un terroriste d’un paysan, il
sont chez eux. Et leur connaissance du terrain est primordiale”, commente le
capitaine d’infanterie français Gauthier (par mesure de sécurité, les
militaires français ne donnent que leur prénom) dans son véhicule blindé, qui
vient de franchir avec succès un oued asséché à l’endroit indiqué par les
forces maliennes.
– ‘Porte de sortie’ –
Dans les faits, l’implication de Barkhane dans la force naissante du G5
Sahel est massive. Sur le terrain, les Maliens sont escortés par des dizaines
de soldats français.
Et si les décisions opérationnelles sont prises par un poste de
commandement (PC) de la force conjointe à Niamey, c’est depuis une base
avancée française implantée dans la région d’In Tillit, au milieu de la
savane, que s’opère la coordination tactique de l’opération “Hawbi”, nom de
baptême de cette première opération lancée mercredi.
“Nous sommes le petit cerveau de l’opération”, explique le
lieutenant-colonel français Marc-Antoine depuis la base avancée, en énumérant
les moyens fournis aux troupes africaines engagées: appui aérien (chasseurs,
hélicoptères, renseignement), artillerie, logistique, missions
civilo-militaires…
Le démarrage des acteurs du G5 Sahel, lui, est poussif.
Les forces de trois pays – Mali, Niger et Burkina Faso – viennent tout
juste de se déployer, avec une dizaine de jours de retard.
“Plus que les résultats de l’opération en soi, le but est que ces pays
réussissent à travailler ensemble pour assurer leur propre sécurité. Nous
sommes là pour les aider à monter en puissance”, fait valoir le
lieutenant-colonel Marc-Antoine.
“Ces opérations, à terme, visent à ménager une porte de sortie aux forces
françaises”, engagées au Sahel depuis 2013, conclut-il. “On ne souhaite pas
devenir un armée d’occupation”.