Les sanctions infligées le 9 janvier par les chefs d’Etat de la Cédéao au Mali peuvent bien être attaquées en nullité devant la Cour de justice de la Cédéao et même conduire le Mali à quitter l’instance communautaire. C’est du moins le point de vue d’un expert sénégalais en relations internationales, en droit international et professeur d’université. Il le dit avec force arguments et s’appuie sur des irrégularités dans la décision de la Cédéao au regard des principes du droit international.
Le 9 janvier 2022, les chefs d’Etat de la Cédéao ont convoqué un double sommet à Accra avec l’Uémoa su le Mali. L’instance communautaire a adopté des sanctions sévères contre le Mali, les premières du genre prises contre un pays membre. La raison avancée pour soutenir ces sanctions est que « les autorités de la transition sont dans l’incapacité d’organiser des élections en février prochain et qu’ils ont proposé une échéance de 5 ans pour se maintenir au pouvoir ».
A l’issue du sommet, les sanctions adoptées sont le gel des avoirs du Mali à la Bcéao et des aides financières, la fermeture des frontières avec les membres de la Cédéao, la suspension des transactions commerciales, économiques à l’exception des produits de première nécessité et pharmaceutiques, le retrait des ambassadeurs de tous les pays membres de la Cédéao accrédités à Bamako.
Pour l’expert en relations internationales et en droit international dont nous taisons le nom, à cause de cette batterie de décisions de la Cédéao, le Mali se trouve dans une forme de neutralisation. Celle-ci est un principe du droit international, qui consiste à un moment donné, pour un temps donné, à ce qu’une armée, un peuple, un pouvoir mandaté puisse occuper un territoire, un peuple, un Etat et le soumettre à un certain nombre de règles qui l’éloignent ou qui le mettraient hors du circuit des relations internationales. A ces dires, cette neutralisation va porter des effets juridiques sur le plan international.
« Si on fait une lecture fine des décisions de la Cédéao prises à l’encontre du Mali, les effets de ces décisions vont être considérées comme une forme de neutralisation. Si ces décisions venaient à être appliquées, le Mali se retrouverait à une forme de neutralisation. C’est comme si on coupait la tête du pouvoir politique. Il y a un principe général en droit international, qui est la liberté des peuples à disposer d’eux-mêmes». Selon l’expert, si on met les deux principes l’un à côté de l’autre, à savoir la neutralisation et le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, le retrait du Mali de la Cédéao rendrait ces décisions caduques, donc inapplicables. La solution juridique la plus simple aurait été de quitter la Cédéao et un seul communiqué suffit à le faire. « En ce moment toutes ces décisions deviennent caduques et de nul sans effet », indique-t-il.
Par ailleurs, le Mali peut aussi introduire une requête en nullité. L’expert qui semble être bien introduit auprès des instances de la Cédéao fait savoir dans son analyse, qu’il a reçu des informations d’Accra selon lesquelles, certains chefs d’Etat dont Muhamad Buhari, le Président Nigérian n’était pas présent au sommet. Ce qui lui fait dire que la décision n’a pas respecté les règles protocolaires de droit en ce sens que le quorum n’était pas atteint. « Si ces informations sont fondées, une simple introduction d’une requête en nullité auprès de la Cour de justice de la Cédéao aurait un effet suspensif », plaide-t-il. Une autre irrégularité évoquée par lui est que le Commission de la Cédéao a fait le communiqué et non le Conseil des chefs d’Etat. Ce qui, selon l’expert, prouve une fois de plus que le quorum n’était pas atteint. Un argument supplémentaire pour attaquer la Cédéao.
La Cédéao tombée dans son propre piège
Aux dires de l’expert, la Cédéao vient de tomber dans son propre piège en faisant même un immense cadeau au colonel Assimi Goïta désormais adulé par la population de son pays et d’autres pays membres qui se retournent contre la Cédéao.
L’expert juge ces décisions « irresponsables » du point de vue tactique et qui vont conduire à l’implosion de la Cédéao si celle-ci continue de les appliquer contre d’autres Etats en appliquant la fermeture des frontières. Selon lui, des délégations présentes à Accra, le 9 janvier dernier étaient opposées à l’adoption des mêmes décisions.
Autant d’arguments qui ouvrent la voie aux juristes maliens. Des avocats pourraient même s’autosaisir pour défendre ce dossier devant les instances juridiques de la Cédéao. Dans son entretien télévisé du samedi 15 janvier dans la rubrique « Invité de la semaine» de l’ORTM, le Premier ministre Choguel Kokalla Maïga a invoqué l’éventualité d’attaquer les décisions de la Cédéao.
Abdrahamane Dicko
Source: Mali Tribune