Dans un long entretien accordé le mois d’octobre dernier à nos confrères de sofoot, Salif Keita alias Domingo, le premier ballon d’or africain s’est exprimé entre autres sur les débuts de sa carrière de footballeur, les binationaux et sur la gestion du football africain. S’il estime que le footballeur africain s’est beaucoup amélioré, la panthère noire comme on le surnomme en Europe n’a pas été tendre avec la CAF, en indiquant que l’instance dirigeante de football africain ne donnait pas tellement d’importance aux compétitions africaines. Footmali.com vous dévoile sans plus attendre quelques extraits choisis
Vous êtes né en 1946 à Bamako, quelle enfance et quelle éducation avez-vous eues ?
J’ai eu une enfance à l’africaine. J’ai été éduqué par mes parents évidemment, mais aussi par mes frères, mes amis, le voisinage, l’environnement, l’école.
Jeune, vous avez perdu vos parents. Vous aviez huit frères et deux sœurs, comment se passait la vie ?
À l’époque comme aujourd’hui, ce sont les aînés qui s’occupent des jeunes. Nos grands frères se sont occupés de nous, jusqu’à ce que nous soyons émancipés. Et nous aussi, nous nous occupions des plus jeunes. Dans la maison, on était tous solidaires. Mon éducation n’a pas été différente de celle de mes amis.
Dès 1963, vous aviez alors seize ans, vous avez été retenu dans l’équipe nationale malienne.
Vous savez, au Mali, quand j’étais jeune, il y avait les compétitions des pionniers. Les dirigeants sportifs de l’époque avaient comme politique de rassembler les meilleurs dans tous les domaines, le sport, le théâtre, la musique. Ils organisaient des compétitions appelées compétitions des pionniers. Ils ont sélectionné les meilleurs footballeurs de l’époque dont je faisais partie. Ceux considérés comme les meilleurs dans tous les domaines sont allés en Union soviétique, en Crimée. L’endroit où on était avait été baptisé le camp des pionniers. C’était comme une sorte de stage.
Que ressent-on lorsqu’on est sélectionné à seize ans ? On est fier, on a peur ?
On n’a pas peur, on n’est pas conscient. Je ne me sentais pas responsabilisé. Il y avait beaucoup de vedettes maliennes à l’époque.
En Europe, on ne connaît pas trop les clubs d’Afrique noire.
Je pense que c’est à cause du manque de conception et de réflexion autour du football de club en Afrique. J’estime que la CAF ne donne pas tellement d’importance aux compétitions africaines. La Coupe d’Afrique des clubs se passe comme des matchs amicaux. Il n’y a pas de bonnes préparations. Pour les matchs télévisés, on ne voit pas le ballon ! Le ballon est jaune, le terrain aussi. Si ce n’est pas agréable pour les Africains, comment ça pourrait l’être pour les Européens ?
Pourquoi la CAF ne fait-elle pas plus d’efforts ?
Je pense que c’est parce que ce ne sont pas des spécialistes à la CAF. Par exemple, si le football a progressé en Europe, c’est parce qu’on a mis Platini, Cruyff, Beckenbauer, vous comprenez, mais en Afrique, Milla, Weah, on n’en veut pas !
Le 14 septembre 1967, vous quittez clandestinement votre pays. Vous passez par le Liberia avant d’atteindre la France. Pourquoi partir dans ces conditions ?
C’était très difficile pour le Mali de me laisser partir. J’étais quand même un espoir. Il ne voulait pas que ça se passe comme ça. Ça se comprenait.
C’était impossible de jouer en France tout en défendant les couleurs du Mali ?
Si je suis parti, c’est aussi parce qu’on m’avait rendu la vie difficile à Bamako. À la suite de la défaite du Real à Abidjan, le public, enfin, une certaine partie du public ne voulait pas me laisser jouer et à chaque fois que je touchais le ballon, il criait, m’insultait.
Pourquoi ?
Il me jugeait responsable parce que je n’avais pas marqué. Alors que j’avais inscrit déjà quatorze buts.
Aujourd’hui quel est votre avis sur le statut du joueur africain ?
Je pense que ça s’est beaucoup amélioré. Le statut est aussi élevé que pour les autres footballeurs
Quel est votre avis sur les binationaux ?
Il faut dire la vérité. Si les jeunes privilégient les nationalités européennes, c’est parce que leurs devanciers n’ont pas été bien traités en Afrique. Ils ne veulent pas subir le même sort. Où sont Weah, Milla, Abédi Pelé ? Aucun d’eux n’est à la CAF. Il y a des jeunes Européens qui ont fait un sacrifice et accepté de venir jouer pour leur pays d’origine, mais ces jeunes-là, on ne doit pas ensuite les jeter comme des Kleenex. Il doit y avoir une certaine reconnaissance, ces jeunes en ont besoin. J’ai vu beaucoup de jeunes binationaux venir jouer avec le Mali. Ils ont joué, fait leur carrière et ensuite c’est fini. Ils n’avaient plus aucun lien avec ce pays, mais ce n’est pas de leur faute.
De qui est-ce la faute ?
Je pense que les gens qui les ont utilisés auraient pu les utiliser davantage. Ils auraient pu avoir des responsabilités dans ce pays. Il ne faut pas tout rejeter sur les Européens. Ces jeunes viennent jouer pour leur pays d’origine, et à la fin de leur carrière, plus rien. On n’a rien préparé pour eux. Ça suffit de critiquer les autres. Quel binational sert le football africain aujourd’hui ?
J’ai eu des difficultés avec cette histoire de naturalisation. Le public m’a pris en grippe, je ne pouvais plus rester. Le FC Valence l’a appris et est venu me chercher.
À l’époque, ce n’était pas long, c’étaient six mois sur douze. Mais c’était très difficile, très éprouvant, car les voyages étaient longs. On jouait sur du gazon artificiel, mais c’était une expérience.
Le Mali a fait beaucoup de progrès entre 1990 et maintenant. À partir du début des années 2000, il s’est quasiment toujours qualifié pour toutes les phases finales de Coupe d’Afrique. Il fallait que le Mali ait la culture de la CAN. Il peut maintenant regarder vers la victoire finale.
Source : sofoot