Sadio Touré est l’une des plus anciennes journalistes de Radio-Mali et de l’ORTM. Elle a fait valoir ses droits à la retraite en 2001. Depuis lors elle est tombée dans l’anonymat total, et estime que cette nouvelle vie est un temps de repos, au terme d’une longue et riche carrière. Elle ne veut en aucune manière l’interrompre. Présentement, elle s’occupe de sa famille, ses petits-enfants et se consacre à Dieu Tout-Puissant à travers la lecture du Saint Coran chaque nuit avant d’aller au lit.
Malgré ses 82 ans elle tient physiquement très bon, et sa mémoire est fine pour se rappeler de tout. Il faut surtout saluer son amabilité, son respect et sa disponibilité. Dès le premier coup de fil, l´ancienne présentatrice du journal télévisé accepte notre demande. Mais elle ne s’est pas empêchée de poser la question pourquoi le journal Aujourd’hui Mali peut s’intéresser à elle. Elle d’ordinaire réservée. Son statut d’ancienne journaliste la convainc à accepter, tout en comprenant que c’est le revers de la médaille de sa ligne de conduite sinon la suite logique d’un métier qu’elle a aimé pour bien l’exercer. Mieux elle connait aussi la rubrique pour avoir suivi le passage de certains anciens collègues. Elle nous fixe un rendez-vous compatible et ce mardi 25 juillet Sadio Touré s’est fait le plaisir de venir nous accueillir au bout de la rue. Quelle humilité !!! Qui est cette journaliste chevronnée et dévouée ? Comment son destin a basculé vers le micro ? Quel est son regard sur l’ORTM d’aujourd’hui ? L’ancienne présentatrice du journal télévisé nous a reçus à son domicile à l’Hippodrome. C’est dans le cadre de la rubrique “Que sont-ils devenus ?”
Majestueusement installé dans un grand salon, ébloui par l’accueil chaleureux de ses enfants, après les formules de salutations Sadio Touré nous fixe dans les yeux et s’adresse à nous en ces termes : “Tes appels incessants, ton déplacement ce soir sous la pluie démontrent que tu as la passion de ce que tu fais. Courage et bonne chance ! Maintenant je suis à vous pour les questions”.
Avec ces mots aimables dépourvus de complaisance, notre inspiration s’enflamme, et l’émotion suscitée par l’accueil disparaît telle une étoile filante. Mais déjà une première remarque, elle garde encore sa voix. Nous enchainons par une boutade, en demandant le programme de la journée et sa vie de retraite.
En plus de gérer le social au quotidien, elle consacre une bonne partie de ses activités aux prières, s’occupe de ses petits-enfants. Car elle est allergique à leur addiction au téléphone. C’est la raison pour laquelle un maître coranique est à leurs trousses pour leur inculquer les premières notions de l’islam.
Sadio Touré était une journaliste qui ne forçait pas son talent sur le petit écran. Avec les Fatim Sidibé, Adama Sissoko, Aïssata Cissé, Sacko Maguiraga, Maciré Yattassaye, elle a contribué à guider les premiers pas de la télévision malienne. Toujours attentive sur ce qu’elle dit, avec ses verres blancs, Mme Touré se singularisait par sa simplicité.
Sa voix radiophonique naturelle créait toujours l’envie de l’écouter. Son image de ses premiers jours à la télé nous a trompés sur son âge. Et pour cause ! C’est en 1985 qu’elle commence avec la présentation du journal télévisé. Très jeune à l’époque, nous pensions qu’elle venait d’être recrutée à Bozola. Que nenni!
Ses débuts à Radio Mali datent de 1963. En 1979, au sommet de sa carrière, elle range le micro pour suivre son époux à l’ambassade du Mali en Allemagne fédérale. Son retour cinq ans plus tard coïncide avec les premiers pas d’un bébé : la Télévision publique. Le rédacteur en chef, feu Djibril M’Bodge, apprécie son courage et son assiduité dans les reportages. Il fait d’elle l’une de présentatrices attitrées du télé journal. C’est à ce moment-là que nous l’avions connue. Comment Sadio Touré est devenue cette journaliste à la voix d’or ?
Au cœur des événements du 19 novembre 1968
Aujourd’hui elle aurait dû être une vieille sage-femme à la retraite, s’occupant des dames du quartier pour les consultations prénatales. Après son BEPC, en 1957, elle entreprend des études dans le domaine de la santé. Son cursus à ce niveau est arrêté par son départ sur la France où son mari étudiait. Le couple finit par se retrouver en Tchécoslovaquie. La raison ?
Des étudiants africains dans l’Hexagone dont son époux, sont expulsés pour avoir manifesté suite à l’assassinat de Patrice Lumumba en janvier 1961. Toujours dans le sillage de son mari qui décroche un emploi à la Radio Prague, Sadio Touré bénéficie d’une formation pratique de dix-huit mois dans la même station.
Elle forge son destin derrière le micro à partir de ces moments. Une expérience qui favorise son recrutement à Radio-Mali en 1963, où elle trouve sur place les Oumar Cissé, Djibril Kane, Abdou Gassama, Aïssata Cissé. Ses premières tâches à la radio : l’animation d’antenne sous la supervision de ses devanciers. Plus tard, la direction lui confie des émissions sur les enfants, les femmes et les artistes du Mali.
Le 19 novembre 1968, elle se retrouve à un des tournants de l’histoire du Mali. Les militaires arrêtent le président Modibo Kéita et devaient faire une déclaration sur les antennes de Radio Mali. C’est Sadio Touré qui introduit le lieutenant Moussa Traoré. Comment tout cela s’est passé ? Quel était son état d´âme ?
“Ce jour, comme d´habitude, je devais tenir l’antenne, et en son temps c’est le véhicule de liaison de la Radio qui transportait le personnel. Mais, le 19 novembre 1968, le chauffeur, accompagné par des militaires armés, est venu à mon domicile. Après les explications de mon collègue de radio, j’ai compris que le tout se résume à ma sécurité, et la déclaration de prise de pouvoir en dépendait. J’ai bravé la peur, mais mon époux et les enfants étaient vraiment traumatisés.
Les voisins très curieux, par leurs commentaires ont contribué à dramatiser la situation. Dieu merci tout s’est bien passé et les militaires sont répartis après le discours de Moussa Traoré”.
Une nouvelle ère commence pour le pays et pour la Radio nationale. Parce qu’elle a l’obligation de soutenir les putschistes et leurs actions. Et Sadio Touré soutient avoir travaillé dans ce sens et bien sûr sous la pression. En plus de la présentation du journal à la radio, elle découvre le terrain à la faveur des différents reportages à Bamako et à l´intérieur. Et ce jusqu’à son départ pour l’Allemagne.
Que pense-t-elle de Djibril M’Bodge, l’homme qui l’a propulsée sur le petit écran ? Son formateur malheureusement décédé le 6 juillet 2023. Elle retient de l’homme un jeune frère respectueux au sens élevé du social, un travailleur plein d’humour.
Contrairement à beaucoup de ses confrères, Sadio Touré n’a pas voulu continuer à exercer le métier de journaliste, c’est-à-dire donner des cours ou animer une émission dans une radio ou une télé privée. Son explication va dans le sens unique du repos que cette seconde vie lui offre. Elle soutient n’avoir pas voulu rester dans le journalisme ou la consultation pour uniquement se consacrer à sa famille.
Depuis sa retraite Sadio Touré se fait discrète, sauf qu’elle participe aux rencontres des anciens de l’ORTM. Elle demeure une femme positive, au point qu’elle ne retient pas de mauvais souvenirs dans sa carrière. Que de bons souvenirs : la convivialité dans la salle de rédaction, où les relations allaient au-delà de la cour de la radio, le sommet sous-régional de la CEAO à Abidjan en 1985, son interview avec l’ancien président français Valérie Giscard d’Estaing.
Cependant, elle se réserve quand il s’agit de faire un parallèle entre le temps ancien et le présent dans l’univers qui l’a propulsée sur le petit écran. Elle dit que chaque génération vit son temps, mais s’appesantit sur la technologie qui constitue un atout pour la nouvelle génération. En un mot : Sadio Touré est formelle que les aînés se distinguent par leur simplicité.
Elle est mère de cinq enfants dont trois filles et onze petits-enfants. Dans la vie, l’ancienne présentatrice aime sa famille, l’amitié sincère et la lecture. Elle déteste les querelles, la mauvaise humeur et le dérangement inutile.
Longue vie à la doyenne !
O. Roger Sissoko
Tél (00223) 63 88 24 23
Source : Aujourd’hui-Mali