C’est une version « cash » des sites de rencontres. Au sens propre comme au sens figuré. L’argent a ici l’odeur du sucre. Les hommes, en majorité des quadragénaires ou des quinquagénaires, sont fortunés, on les appelle « sugar daddies » (littéralement « papas gâteaux »). Les filles, les « sugar babies » sont jeunes, séduisantes, souvent étudiantes. Elles sont là pour l’argent et le reçoivent en échange de ce qu’elles ont à offrir, leur compagnie et souvent plus.
Depuis quelques semaines, le site américain seekingarrangement.com, qui revendique 2,7 millions de membres dans le monde, communique pour faire connaître son « modèle » en France, avec une invitation dérangeante à se faire entretenir par un « bienfaiteur » fortuné pour financer des études et éviter de contracter des emprunts bancaires. Derrière ce qui est aussi présenté comme une version décomplexée des relations amoureuses se cache en réalité la perspective inquiétante d’une nouvelle forme de prostitution étudiante. Un phénomène difficile à quantifier faute d’étude d’ampleur.
Il suffit de quelques clics pour s’inscrire sur seekingarrangement.com. Moyennant 50 dollars mensuels, les hommes postent leur profil (photo, âge, nationalité, profession…) et renseignent leur niveau de revenus. De leur côté, les « sugar babies » affichent leurs mensurations, leur niveau d’études, leurs centres d’intérêt… et surtout leurs besoins financiers mensuels. La fourchette basse débute à 1 000 dollars et peut aller jusqu’à 10 000 dollars.
ILS « VEULENT S’AMUSER »
Lancé aux Etats-Unis en 2006 par Brandon Wade, un entrepreneur diplômé du Massachusetts Institute of Technology (MIT), le site compterait un million d’étudiantes parmi ses abonnés, dont 7 000 Françaises, alors que ce concept est encore peu connu dans notre pays et qu’une version en français vient juste d’être mise en ligne. Des chiffres toutefois impossibles à vérifier.
Cécile (qui souhaite rester anonyme), 26 ans, étudiante parfaitement bilingue fait partie de ces « french sugar baby » que Le Monde a rencontrées via un appel à témoignage sur seekingarrangement. Cette jolie brune a connu ce « service » alors qu’elle vivait aux Etats-Unis. En manque d’argent, issue d’une famille modeste, elle s’est inscrite sur les conseils d’une amie, elle-même utilisatrice de cette plate-forme web. Très vite, elle a été sollicitée par des hommes, « plus d’une soixantaine au moins », désireux d’avoir de la compagnie pour les accompagner au restaurant ou à des soirées. « En échange, ils nous donnent de l’argent ou nous offrent des cadeaux de luxe », explique Cécile.
La grande majorité de ces rencontres aboutissent au bout de quelques rendez-vous à des relations sexuelles. « Ce n’est pas systématique, assure la jeune femme. Certains hommes recherchent simplement de la compagnie, veulent s’amuser avec quelqu’un d’agréable physiquement et avec lequel ils peuvent discuter. »
« L’IMPRESSION DE POUVOIR CHOISIR »
De retour en France, elle a continué à monnayer sa présence. Aujourd’hui, cinq « généreux » bienfaiteurs « réguliers » lui assurent, selon les mois, entre 3 000 et 4 000 euros « d’argent de poche » – intégralement versé en liquide ou sous forme de cadeaux.
Hommes d’affaires ou riches avocats, ils sont américains, brésiliens, anglais ou originaires de Dubaï, âgés de 30 à 50 ans, ont en commun un emploi surchargé qui les amène à Paris de temps en temps et un portefeuille bien garni. Sans état d’âme, Cécile assure qu’elle arrêtera dans un an, une fois ses études terminées. En attendant, elle voit là un moyen de bien vivre sans trop de contrainte. Seul bémol, cette activité l’empêche d’avoir une relation amoureuse « normale ». « C’est soit l’amour, soit l’argent », convient-elle. La différence avec la prostitution ? « Une relation suivie, des hommes qui la traitent comme une princesse et l’impression de pouvoir choisir. »