Le président de la République, Ibrahim Boubacar Kéïta n’a ni l’âme ni les yeux de Néron (pour paraphraser le poète Lamartine dans son poème « Honte à qui peut chanter pendant que Rome brûle, s’il n’a l’âme et la lyre et les yeux de Néron ». Premier garant de la cohésion sociale, IBK est resté fidèle à son slogan « le Mali d’abord » en liant la parole à l’action face à la détérioration du climat social autour de son projet de révision constitutionnelle. Après l’arrêt de la Cour constitutionnelle qui n’a pu concilier les positions des partisans du « Oui » et du « Non », le président de la République est intervenu, vendredi 18 août 2017, pour trancher la question en dernier ressort après avoir bouclé une série de concertations des forces vives de la nation. Au verdict final : le président IBK « sursoit à l’organisation d’un referendum sur le projet de révision constitutionnelle » sous la pression de la Plateforme « Antè A Bana-Touche pas à ma constitution ». Un véritable coup dur dans la mise en œuvre de l’Accord pour la paix et la réconciliation au Mali. Mais IBK dispose désormais d’un argument solide devant la communauté internationale (garant de l’application de l’Accord d’Alger), les groupes armés et le peuple malien : celui d’avoir au moins tenté la modification constitutionnelle indispensable au rétablissement de la paix, à la consolidation de la démocratie et à l’amélioration de la gouvernance. Autre enseignement : avec cet échec, tous les chefs d’Etat de l’ère démocratique pluraliste auront mordu la poussière dans leur tentative de modifier la Constitution du 25 février 1992 afin de l’adapter aux réalités du moment.
Finalement, il y a eu plus de peur que mal dans la polémique autour de la question de la révision constitutionnelle.
« En toute responsabilité… »
A la place d’un affrontement (scène horrible que les partisans du « Oui » et du « Non » s’apprêtaient à livrer aux Maliens suite à l’ultimatum de la Plateforme « Antè A Bana : Touche pas à ma constitution »), le président de la République, Ibrahim Boubacar Kéïta, a opté pour la paix des braves avec les détracteurs de son projet de révision constitutionnelle. Une reculade du vainqueur devant la Cour Constitutionnelle (qui avait mentionné dans son arrêt « d’apporter certains amendements au projet de texte») qui vient sauvegarder la cohésion nationale après deux mois de lutte acharnée dans les rues de Bamako et à l’intérieur du pays.
Dans ses motivations, le chef de l’Etat déclare : « Les échanges qui ont agité le pays au cours de ces dernières semaines ont porté sur le contenu de la Loi portant révision constitutionnelle et sur l’organisation d’un référendum pour l’adopter. Il ne me semble pas utile de revenir sur les arguments qui ont été développés à satiété dans un sens ou dans l’autre. Par contre, je regrette profondément les excès de langage et certains comportements qui ont entrainé les débats vers une passion inappropriée. J’ai constaté que ce qui était à l’origine des divergences est hélas devenu au fil du temps de profonds clivages menaçant d’ébranler durablement notre cohésion nationale. J’ai enregistré avec inquiétude la montée des radicalités. Ces alarmes, nous les avons partagées, vous et moi. Je vous ai entendu exprimer vos craintes de voir notre cher pays dériver vers des affrontements tragiques. Je l’ai fait, parce qu’à l’heure où notre pays est confronté à tant de défis majeurs, on ne saurait ajouter aux périls existants ceux que font naître la mésentente, la polémique et le malentendu. Nous devons prendre le temps de nous retrouver pour échanger sans détour. Il me reviendra en tant que Président de la République à faire prendre les dispositions nécessaires pour que le dialogue qui s’engagera soit inclusif et dépassionné.»
Par conséquent, il dit décider « en toute responsabilité, de surseoir à l’organisation d’un referendum sur la révision constitutionnelle », mais reste toujours fidèle à sa conviction initiale sur « les bénéfices que la révision constitutionnelle apporterait au rétablissement de la paix, à la consolidation de nos institutions et à l’amélioration de la gouvernance de notre pays ».
Ainsi, IBK, à la lumière de la concertation de toutes les forces vives de la nation, réussit, pour l’instant, à amener les camps opposés à déposer les armes. S’il l’a fait pour le Mali et pour la cohésion nationale, il demeure malgré tout convaincu jusqu’au bout des bénéfices de son projet pour le retour de la paix au Mali. Son échec est-il définitif? IBK aura-t-il encore le temps nécessaire de concrétiser son projet de révision constitutionnelle ? On ne saurait le dire à douze mois de la fin de son premier mandat. S’il est réélu en 2018, beaucoup d’observateurs pensent qu’il pourrait « remettre ça », avec plus de succès.
Un seul perdant : le Mali
Sans doute, au-delà de la victoire obtenue par les partisans du « Non » et célébrée le samedi 19 août 2017 à la Bourse de travail de Bamako, à la faveur d’un meeting, c’est la mise en œuvre de l’accord pour la paix et la réconciliation au Mali qui prend un coup. Alors, la question est de savoir : quelle leçon les Maliens tirent-ils de cette révision constitutionnelle ratée ? Quelle sera (maintenant) la réaction de la communauté internationale, garante de l’application de l’Accord, qui commence d’ailleurs à ébruiter sa lassitude devant la mort de dizaines de soldats et civils tombés au Mali ? L’échec d’IBK à réviser la constitution est-il personnel ou collectif ?
En tout cas, si le président IBK n’a pas pu faire mieux que ses prédécesseurs (Alpha Oumar Konaré et Amadou Toumani Touré) dans sa démarche à réviser la constitution, tout porte à croire que son recul n’est pas assimilable à un échec personnel, tant le contexte qui a impulsé son projet diffère. A savoir la prise en compte des recommandations de l’Accord d’Alger dans la loi fondamentale.
C’est dire que le président IBK n’a pas échoué seul. Son échec est celui de toute une nation malienne déchirée et sevrée d’une bonne partie de son territoire. Jusqu’où les Maliens bloqueront la progression du train qui les mènera vers la destination d’un Mali uni du Nord au Sud et engagé sur l’unique chantier qui vaille, celui du développement ? Peuvent-ils continuer à aimer une chose et son contraire ?
Une chose est certaine, la réussite de cette révision est loin d’être la seule affaire d’IBK. Car, après la signature de l’Accord pour la paix et la réconciliation au Mali, le pays est aujourd’hui condamné à revoir sa loi fondamentale, avec ou sans IBK, pour lever le blocus qui mine le retour à la quiétude. IBK passe, le Mali demeure. Le respect de l’Accord d’Alger est un passage obligé pour tout successeur d’IBK. Et plus tôt sera toujours mieux, car chaque jour et mois perdus profitent aux ennemis communs: les terroristes, djihadistes et alliés narcotrafiquants.
C’est sur cette triste note que le débat autour de la révision constitutionnelle initiée par IBK est clos pour l’instant. Et il n’y a pas eu de vainqueur parmi les deux camps opposés mais un seul perdant : le Mali.
Quant au président de la République, l’on peut dire qu’il a rempli sa part de concession dans cette polémique en annonçant publiquement le sursis au referendum. Sa satisfaction morale est d’avoir au moins tenté de corriger les lacunes de la constitution de 1992 et d’y insérer les recommandations de l’Accord de paix. Une preuve de sa bonne foi devant l’opinion nationale et internationale dans la crise sécuritaire qui frappe le pays depuis 2012.
Pour rappel, les leaders religieux et les autorités traditionnelles lors d’une rencontre, à l’initiative du président de la République, le samedi 12 août 2017, avaient réussi à obtenir de lui « l’engagement de sursoir au projet de révision constitutionnelle », le temps que les esprits se calment. Et, tout porte à croire que la décision de sursis du président au referendum est la suite logique de cette promesse.
Youssouf Z Kéïta