En juin dernier, le Président français Emmanuel Macron annonçait la fin de l’opération Barkhane au Mali et une «transformation profonde » de la présence française au Sahel. Quatre mois après, le retrait de Barkhane de ses bases du nord du Mali, Kidal et Tessalit est effectif. Il restera Tombouctou. Si la France veut se concentrer sur la lutte contre le terrorisme dans la zone des trois frontières (Mali, Burkina Faso, Niger), le nord du Mali reste confronté à la présence de groupes terroristes qui continuent d’y sévir. Alors que l’armée malienne va reprendre les emprises, appuyées par les Casques bleus de la MINUSMA, l’État malien est en quête d’alternatives pour la sécurisation de ces zones face à la menace terroriste.
Le 12 octobre 2021, l’opération Barkhane a entamé la phase finale de son retrait des bases de Kidal et de Tessalit, dans le nord du Mali, pour les transférer aux forces armées maliennes et à celles de la MINUSMA.
Le convoi de Tessalit a parcouru près de 600 km en sept jours et celui de Kidal 400 km en six jours, dans un environnement sous forte menace d’Engins explosifs improvisés (IED), a indiqué Barkhane dans un communiqué de presse le 22 octobre. « À la demande de la MINUSMA et des FAMa, certains éléments de confort ont été cédés. L’ensemble des systèmes de protection des bases (abris et bastion walls) a également été laissé sur place et les plans de défense transmis ». Mais le nord du Mali, caractérisé par la présence de nombreux groupes armés, parmi lesquels des signataires de l’Accord pour la paix et aussi des entités terroristes, n’est pas totalement sous le contrôle du gouvernement. « La situation sécuritaire au nord est loin d’être réglée, mais pour Paris le redéploiement est avant tout une question de priorité, car la progression du GSIM et du groupe État islamique au centre représentent une menace très grande pour la stabilité régionale », explique Wassim Nasr, journaliste spécialiste des mouvements djihadistes.
Quête de solutions Bien loin des tensions entre Paris et Bamako, une source diplomatique affirme qu’au quotidien, Barkhane continue de travailler sur les bases de Ménaka et de Gao, est toujours en relation avec les FAMa et que le champ libre ne sera pas laissé au terrorisme pour que les mouvements djihadistes reprennent les emprises du nord, comme le craignent certains Maliens. « Les opérations de combat contre le terrorisme à l’extrême nord, ce ne sont pas les 5 000 soldats de Barkhane. Ces opérations sont faites à partir des hélicoptères, des drones et de l’armée de l’air et cela ne va pas changer. Il ne s’agit pas de laisser les partenaires que sont les FAMa et la MINUSMA. Il n’y aura pas de vide », nous confie notre source. Mais, même si Paris insiste sur le fait que le retrait de Barkhane des régions du nord n’est pas synonyme de désengagement français dans le pays, cette nouvelle donne fait craindre un vide sécuritaire qui peut entrainer une nouvelle montée de l’insécurité dans ces zones. « Le retrait de Barkhane peut contribuer à une aggravation de la situation sécuritaire, mais en même temps, ce qui est fondamental à mon avis, c’est de se rendre compte que Barkhane n’était pas présent dans un vide absolu », affirme Niagalé Bagayoko, Présidente de l’African security sector network (ASSN) et experte en sécurité en Afrique de l’Ouest.
Les autorités de la transition font donc face à un nouveau défi sécuritaire. Le Premier ministre, Choguel Kokalla Maïga, qui avait déjà qualifié « d’abandon en plein vol » le retrait des troupes françaises, a affirmé que le gouvernement était « en train de chercher des solutions ». « La France a décidé de se concentrer sur le Liptako, où l’État islamique au Grand Sahara (EIGS) est le plus actif. Or le groupe le plus dangereux pour l’État malien, c’est le GSIM (Groupe de soutien à l’Islam et aux Musulmans) », a-t-il souligné dans un entretien avec « Le Monde » publié le 18 octobre, précisant que le gouvernement malien cherchait d’autres partenaires parce qu’il « a bien compris que s’il ne compte que sur un seul partenaire, il pourrait à tout moment être abandonné ».
Pistes de partenariats
Parmi les éventuels partenariats à renforcer pour la sécurisation du pays, le nom de la Russie revient constamment. Le Premier ministre a d’ailleurs confirmé des discussions en cours avec l’État russe, le gouvernement cherchant « tous les moyens et le concours de tous les États qui pourraient nous aider à sécuriser notre peuple ».
Le 30 septembre dernier, le Mali a réceptionné quatre hélicoptères militaires de type Mi-171, achetés selon les autorités sur le budget de l’État, mais dont le montant n’a pas été communiqué. Lors de cette transaction, la Russie a offert des armes et des munitions. Selon une source diplomatique française, la France n’est pas contre d’autres partenariats de l’État malien. Elle serait même favorable à celui avec la Russie, avec laquelle elle n’a pas de problèmes, parce que les Russes « répondent très bien aux besoins d’équipements de l’armée malienne ». C’est à une intervention de la société privée Wagner au Mali que la France s’oppose.
L’Algérie, le grand voisin du nord dont la Constitution a été révisée fin 2020, autorisant désormais l’envoi de troupes en opérations extérieures, pourrait aussi intervenir au Mali en y déployant un contingent. L’État du Mali le souhaite, à en croire le chef du gouvernement, qui estime que cela serait un « grand plus ».
La France ne s’y opposerait pas, selon notre source diplomatique. « Si l’Algérie veut aller dans le nord du Mali, ce serait bien. La MINUSMA cherche régulièrement de nouveaux contributeurs. Si l’Algérie se manifestait dans ce cadre, ou que ce soit dans un cadre bilatéral avec le Mali, nous n’y voyons pas de problèmes ».Mais, pour sa part, Niagalé Bagayoko ne croit pas en une concrétisation du déploiement de militaires algériens. «L’Algérie joue depuis le début de la crise un rôle politique extrêmement important, mais je ne suis pas sûre qu’en dépit de la modification de la Constitution algérienne permettant effectivement le déploiement de forces à l’extérieur, les autorités algériennes d’aujourd’hui soient désireuses de déployer des effectifs sur le terrain du Mali ».
Elle pense par ailleurs que les autorités maliennes doivent plutôt revenir à une lecture endogène du contexte conflictuel, qui demande des réponses en termes de doctrine militaire et donc des formations qui soient « adaptées à l’environnement conflictuel et non fondées sur des solutions importées, quelles qu’elles soient ». « La question qui se pose, selon moi, est de savoir si réellement les partenaires internationaux, quels qu’ils soient, disposent des instruments pour contrer le type de conflictualité auquel on fait face aujourd’hui », souligne l’experte en sécurité. « On s’aperçoit que la coopération militaire et technique, qu’elle se soit mise en place avec la France ou avec la Russie, n’a pas, depuis des décennies, été en mesure de construire un appareil de sécurité efficace. La coopération avec les Américains n’a pas non plus été couronnée de succès, pour le moins », constate-t-elle. « En tout état de cause, je ne crois pas que des forces étrangères puissent venir à bout de l’insurrection. C’est à l’armée malienne de prendre la suite de la guerre contre les insurgés, bien qu’après huit ans de présence française, elle demeure incapable de le faire », appuie Serge Michailof, chercheur associé à l’Institut des relations internationales et stratégiques (IRIS).
Dispositif sécuritaire modifié
Dans le dispositif sécuritaire au nord, 1 300 soldats de la MINUSMA et 400 de l’armée malienne, présents à Kidal, vont prendre le relais de Barkhane. Ils seront appuyés dans une certaine mesure par la Task Force Takuba, sur laquelle la France mise pour suppléer le retrait de Barkhane au Sahel.
La Task Force Takuba, une « européanisation » des forces intervenant dans la lutte contre le terrorisme au Sahel lancée en janvier 2020 lors du sommet de Pau par le Président français Emmanuel Macron, a commencé son déploiement début 2021. Composée de forces spéciales européennes, qui forment, conseillent et accompagnent au combat des unités maliennes, dans le Liptako Gourma surtout, elle compte 700 militaires européens dont une moitié de soldats français.
Alors que l’Allemagne, l’Espagne ou encore le Royaume Uni n’y enverront pas de contributions, depuis février dernier la Suède a engagé 150 soldats, des membres des forces spéciales, et fourni également 3 hélicoptères et 1 avion de transport. L’Italie, de son côté, est devenue le second contributeur de la Task Force Takuba après la France, en déployant 200 hommes et en apportant 20 véhicules et 8 hélicoptères. En janvier prochain, une mission danoise débutera avec une centaine de soldats des forces spéciales qui s’installeront sur la base de Ménaka.
Le G5-Sahel peut également être renforcé et constituer une alternative sur laquelle s’appuiera l’État malien dans le nouveau contexte. Mais, comme l’indique Niagalé Bagayoko, son mandat non robuste de lutte contre le terrorisme dans des zones qui ne coïncident pas nécessairement avec celles de la Task Force Takuba constitue un frein à son efficacité.
« Plus qu’un renforcement de ses effectifs, ce que souhaite le G5-Sahel c’est de pouvoir intervenir sous mandat du Chapitre 7 des Nations unies, pour notamment être en mesure d’accéder à des financements durables », rappelle-t-elle.
Mohamed Kenouvi
Source : Journal du Mali