Du point de vue de votre gardien de ruminants, c’est la fourberie, la duplicité, le «caméléonnage» des uns et des autres qui entravent le retour de la paix dans notre pays. Vous suivez sûrement avec le berger les transhumances entre les mouvements armés. Aujourd’hui, c’est la Plateforme, demain la CMA.
Au Nord du Mali, les chefs de fractions, les notabilités locales, les leaders religieux sont sous pression, menacés dans leur existence par les principaux acteurs armés qui sont comme dans une course aux voix (pas pour gagner une élection, mais pour se faire passer comme le plus représentatif afin de se tailler la part du lion dans les retombées de l’accord). Ils migrent donc au gré de la force présente du jour. Alors qu’au sein même des mouvements, les trahisons se multiplient et les retournements de veste deviennent monnaie courante. Nous suivons tous comment Me Harouna Toureh se plie en deux aujourd’hui à Tombouctou pour amener la communauté Songhoy dans le juron de la CMA. Il développe certes un argumentaire compréhensible et ingurgitable par des communautés qui ont souffert des exactions d’éléments incontrôlés se réclamant d’autres mouvements, mais de là à opérer une telle volte-face, on peut rester perplexe et se demander si cet homme doit mériter la confiance de la CMA. Cette CMA que certains combattent dans les écrits sans élégance (et qui a toujours répondu avec retenue), mais dont ils reconnaissent une qualité : le pouvoir de contrôle sur ses troupes. Toutes choses qui la rendent attrayante aux yeux de certaines populations, notamment celles du nord, qui ne cherchent par ces temps que la quiétude et la sécurité de leurs biens.
Quiétude et sécurité sont deux états qui risquent fort de créer une empathie pour ceux que l’on nomme des terroristes et qui s’appellent eux-mêmes djihadistes. Ces combattants de l’ombre, ces fantômes guérilleros risquent aujourd’hui de se faire une place dans le cœur d’une partie de la population. Dans certains pâturages, ils rencontrent des bergers et les assurent qu’ils ne les combattent point. Ils disent même ne pas combattre l’État, mais ceux qui les ont combattus ou qui ont perpétré des exactions contre les leurs. Ce discours est digestible et a le mérite de leur assurer une cohabitation pacifique avec les gens du terroir et donc une assurance de pouvoir compter sur la population comme couverture. Il nous revient donc de le mettre à l’épreuve et de négocier avec eux une paix durable et profitable pour tous. Car il ne sert à rien de se cacher le soleil avec une paume de la main. Nous ne sommes point en position de force pour nous imposer par la force.
Ce n’est pas une leçon, mais un point de vue de celui dont les ancêtres ont toujours humé l’odeur médicale des urines des bovins d’autrui qu’ils gardaient.
Il est interdit aux forgerons et aux Bwa de commenter.
Berger Dicko