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Résistance à la colonisation: Samori Touré : Le génie et la méthode

Entre harcèlements, guérillas, négociations et combats frontaux, Samori Touré a pu résister près de deux décennies à l’envahisseur colonial, dans une véritable guerre de mouvement, de 1882 à 1898. Son génie militaire a surpris ses contemporains. Pour certains de ses adversaires, il était un roi sanguinaire. Cette image est relativement détruite par les témoignages de certains de ses vis-à-vis les plus farouches comme le colonel Peroz et le général Baratier. Pour l’Afrique, il reste un combattant de la liberté, un stratège, un héros. Il voulait fonder et gérer un empire sur la base de sa conviction musulmane. Il n’en a pas eu le temps.

Adossé à une armée structurée et disciplinée, Samori va se lancer dans une stratégie de résistance. Il n’était pas l’agresseur. Il a été agressé, lui et beaucoup d’autres politiques africains qui ont émergé sur la carte.
Aujourd’hui encore, nos stratèges, bardés des parchemins de toutes les Académies modernes ont de la matière. Ils doivent s’intéresser à la compréhension de l’art de la guerre tel que conçu et déroulé par Samori, un simple marchand ambulant, un dioula, devenu général et homme d’état. Très tôt, Samori a compris l’importance de l’armement. Pour lui, l’équation était simple : un soldat, un fusil ! De là venait, le fondement de sa supériorité tactique.
Les forgerons pouvaient extraire le fer et fabriquer eux-mêmes des fusils. Ils ont vite dépassé ce cap pour s’investir dans l’imitation des modèles européens avec une réussite extraordinaire à tous les points de vue : la précision, l’automatisme et la maintenance. Le chef des forges royales était Kerfala Kourouma. Son armurier le plus célèbre s’appelait Da tan Missa tant il réussissait les fusils à même de tirer une dizaine de coups successifs. Da tan Missa a reproduit les fusils de l’époque, notamment le modèle « Fissikran », un fusil gras réputé redoutable à l’époque. Cet ingénieur a mis sur pied une chaîne qui intégrait les artisans locaux dans la mise en marche des hauts fourneaux et le processus de fabrication. Encore dans les différentes forêts des monts mandingues, partout on retrouve les vestiges de cette industrie qui témoigne de la maîtrise totale de l’âge du fer dans nos contrées dans toute sa dimension. Il s’agit du « gan », du « gan sô », du « gan bo »….
Ce n’était donc pas une surprise, si Da tan Missa avait fait partie du voyage du prince Diaoulé Karamoko en France, en 1886, avec pour mission spécifique de voir et de comprendre le mécanisme des armes françaises. Samori a aussi tiré un grand profit de ses contacts avec les troupes françaises. Il a compris l’art de la communication avec les troupes à travers les « clairons », les « toubabou bourou ». à cet instrument, il associa le « tamani », le tambour d’aisselle dont certains sons indiquaient à la troupe l’ordre de marche et l’ordre de bataille.
Faisant une bonne lecture de la situation géopolitique, Samori a modernisé son armée, aussi bien dans l’équipement que dans l’organisation. En 1876, il commence à acheter des fusils, à partir de la Sierra Léone. Il prend en compte tous les paramètres techniques dans la sélection des armes en fonction du climat surtout. Avec ses spécialistes, il va même parvenir à changer certaines des parties de ses fusils, notamment les chassepots dont les cartouches ne résistaient pas à l’humidité. Malgré tout, Samori n’a jamais pu avoir une puissance de feu égale à celle des envahisseurs. Il n’a pas pu avoir les pièces d’artillerie, les fameux canons. Et ce n’est pas faute d’avoir cherché.
L’historien français Yves Person, l’auteur d’une thèse phénoménale sur Samori a campé l’homme dans son être et son action militaire et politique. « Samori, une révolution dyula » reste un ouvrage fondamental sur bien d’aspects méthodologiques, au-delà de Samori car il a écrit sur N’Golo Diarra de Ségou, comme l’exploitation de la tradition orale, l’intérêt de la connaissance des langues et des cultures africaines pour les chercheurs. Il a accordé une grande importance aux « mémoires vives », les récits des témoins ayant survécu à l’homme et à son action, dans la dynamique d’une construction collective de la réalité historique.
Dans cette publication, nous nous appuyons essentiellement sur l’histoire de Samori telle que rapportée par un historien africain, le Guinéen Ibrahim Khalil Fofana dont le livre a pour titre « L’Almami Samori Touré. Empereur
Récit historique », (Présence Africaine. Paris. Dakar. 1998. 133 pages).
Instituteur, il s’est intéressé à l’histoire dans la dimension rapportée par les griots. Son cursus de William Ponty, l’école fédérale des instituteurs de l’Afrique de l’Ouest, lui a permis de faire des recoupements et de structurer un procédé narratif qui retient forcément l’attention. C’est d’autant plus important dans son style que lui-même d’emblée parle d’une épopée. Il avait pour lui plusieurs atouts : avoir travaillé à Komodougou, à quelques encablures seulement de Miniambalandou, le village natal de Samori ; son grand père et son père ont été des acteurs de l’action politique de Samori. C’est ici qu’il a pu rencontrer Filassô-Mori et Massé-Mouctar, deux des fils de Samori. Il a surtout connu et entendu , la grand-mère du président Sékou Touré. Ibrahim Khalil Fofana nous dresse le portrait de Samori : un géant svelte et musclé, adepte des tenues des chasseurs, une voix forte. « De tout son être se dégageait une impressionnante virilité : menton énergique, arcades sourcilières bien fournies, le regard pénétrant », rapporte-t-il.
L’historien nous parle également du régime alimentaire de Samori : un homme frugal porté sur les « plats de fonio assaisonnés de namaninfing gluant et de riz à la sauce aux feuilles de dâ (oseille) avec un peu de viande grillée et séchée, quelques boules de gâteaux au miel. C’était son « menu de combattant ». Ce menu, comme bien d’autres aspects, était suivi par son médecin personnel, le «Kôkissi Donzo ». Samori était un homme prévoyant. Il a envisagé très tôt de se doter de ressources internes durables « pour rompre avec la précarité en cessant de vivre aux dépens des peuples vaincus ».

Samori pouvait compter, nous rapporte l’historien, sur les butins de guerre (captifs et biens matériels), les tri- buts payés par les vassaux (captifs, or, vivres, bétail, etc.), l’utilisation de la main-d’œuvre servile à des tâches de production, les activités productives des unités combattantes pendant les périodes d’accalmie, les activités productives des écoles coraniques, les droits de péages et de marché perçus généralement en nature ou en signes monétaires, les amendes infligées pour des délits de droit commun, les revenus du commerce d’État. à ces ressources s’ajoutent les sources de devises comme l’or et l’ivoire.
Samori a fait sauter les barrières sociales. Il n’a pas hésité à confier de très hautes responsabilités à des hommes qui étaient, dans le sens de la société malinké, au bas de l’échelle. Il a réhabilité les castes. Morifindian Diabaté était son griot et son ami. Il en a fait un général reconnu par tous. Bilali Kourouma était un captif. Il l’a affranchi et mis à la tête des troupes expéditionnaires…
La composition d’une armée bâtie sur le mérite et la solidarité venait comme un atout. Tout avait été pensé. Ibrahil Khalil Fofana nous plonge dans le mode de recrutement au sein de l’armée, une structure bien hiérarchisée. La nouvelle recrue, entre 15 et 20 ans, s’appelait « le bilakoro ». Elle était confiée à un maître pour apprendre à manier les armes et la résistance physique et morale. Le « bilakoro » devait assurer le transport des vivres en cas de campagne, suivre les soins du cheval. C’est seulement après cette étape que le « bilakoro » pouvait devenir un « sofa », un maître du cheval. Il reçoit alors une arme et un cheval. Au-dessus, on retrouvait le « bolotigui », l’équivalent d’un commandant de compagnie de nos jours. Il faut avoir accompli des actes de bravoure pour être à ce stade. Enfin, venait le « kélétigui », l’équivalent d’un général de corps d’armée. Lui, avait des pouvoirs étendus. Il pouvait aller à la conquête de nouvelles contrées, maintenir l’ordre dans les territoires conquis ou soumis. Il avait une compétence pour rendre la justice dans les affaires cri-minelles. En la matière, il était assisté de trois conseillers qui étaient obligatoirement des lettrés qui maîtrisaient le Coran et les hadiths. Le poste était stratégique, il ne pouvait être confié qu’à des hommes de confiance, comme dans toutes les armées. Le 26 février 1882, Samori et les Français s’affrontent dans le village de Samaya, à quelques kilomètres de Bamako. C’était pour lui, le baptême du feu, car ne connaissant pas la puissance de feu de ses adversaires, il a perdu plusieurs hommes. Son général Kémé Bréma s’illustre dans cette bataille. Samori a perdu des hommes, mais il a gagné en prestige et de nos jours les griots chantent la « bataille de Samaya ». à partir de ce moment, il décida d’adapter son dispositif de combat en optant pour des unités légères et extrêmement mobiles qui ont une bonne connaissance du terrain.
Le 2 avril 1883, c’est la bataille du marigot Woyo-Wayankô, une défaite pour les colonisateurs. C’était aussi le point départ d’une partie d’échec entre Samori et l’armée française. Le dénouement aura lieu à Guélémou, le 29 septembre 1898, dans l’actuelle Côte d’Ivoire.
à suivre

Source: Essor

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