Des membres d’une grande famille dispersés à travers le monde, des ressortissants d’une localité, village ou pays, des amis d’enfance éparpillés, des camarades de promotion qui s’étaient perdus de vue au gré de leur destin professionnel, social ou humain, des corporations professionnelles, des maîtres en sciences occultes, entre autres sensibilités et leurs compatibilités, des personnes au Mali créent des groupes de discussion sur les réseaux sociaux, précisément WhatsApp, pour maintenir les relations. Les conversations sur ces plateformes sont entretenues souvent à des heures fixes ou dépendant de la disponibilité des intervenants.
Il y a quelques années, au début de l’intrusion du téléphone portable dans nos vies, il n’était pas rare de lire des messages du genre : «M. et Mme Untel sont les heureux parents d’une fille/garçon né(e) dans leur foyer ce jour. Le baptême est prévu tel jour à tel endroit», «La réunion de notre Amicale des anciens de la promotion est convoquée tel jour», aujourd’hui, de tels messages passent sur nos téléphones portables, par WhatsApp, Facebook, Instagram…. On fait du téléphone, non pas un objet de luxe mais un outil des relations sociales à «l’africaine» mises à mal par la vie trépidante et stressante de mégalopoles que sont devenus certaines villes du continent.
«Je ne l’ai pas vu (un ami ou un parent) depuis un certain temps, mais on s’est parlé au téléphone récemment», entend-on souvent au détour d’une conversation ou bien : «Je t’appelle», lancé à un interlocuteur à qui on ne peut pas consacrer de temps sur le moment.
Il n’est pas non plus exclu de présenter ses condoléances, de féliciter pour un évènement heureux (anniversaire, mariage, naissance, baptême, fêtes religieuses ou de fin d’année…) par téléphone de vive voix ou par SMS (à envoi multiple ou à liste), ou à travers les réseaux sociaux, en attendant de pouvoir faire ou non le déplacement physique chez la personne concernée. Certains, plus compréhensifs que d’autres, mettent tout cela sur le compte des nombreuses obligations liées à la vie en ville.
A PORTÉE DE TÉLÉPHONE- En effet, en raison des distances entre les quartiers dans les zones urbaines, le téléphone portable, à travers les réseaux sociaux ou les SMS, est devenu le moyen le plus efficace de se tenir au courant, d’être au diapason, des activités de la famille élargie, du groupe d’amis, de différents réseaux professionnels ou autres, d’avoir des nouvelles des uns et des autres, de maintenir, de nourrir et d’entretenir, ainsi, les contacts avec des amis, parents et connaissances que l’on peut ne pas voir, physiquement, pendant des jours, des semaines, voire des mois. Un simple coup de fil, après une plus ou moins longue absence remet les choses en place, donne le signal que le silence n’est pas un oubli. Les interlocuteurs qui se retrouvent ainsi échangent sur les choses importantes, les nouvelles de la famille, le travail et les potins de l’heure. Puis, ils se perdent à nouveau de vue mais restent à portée de fil.
« Nous nous retrouvons sur une plateforme, sur WhatsApp, dénommée les Anciens du lycée Prosper Kamara.
Le groupe compte des hommes et femmes mariés et de toutes les corporations professionnelles. On partage les informations sur le groupe, que ce soit par écrits ou par des éléments audio-visuels. Le groupe est animé, tous les jours, selon l’emploi du temps de chaque membre. On a un président qui est un commissaire de police », explique D. Coulibaly, quadragénaire et informaticien de son état, parlant de l’importance du réseau social WhatsApp dans le renforcement des relations amicales.
DU BON ET DU MOINS BON- D. Coulibaly, ajoute qu’il est membre de plusieurs autres groupes sur WhatsApp dont celui consacré à la lutte contre le SIDA. « Nous communions ainsi parce qu’il est très difficile de se rencontrer physiquement, au regard de nos activités et autres préoccupations individuelles. Cela dit, l’importance de l’expansion des réseaux sociaux est incommensurable… », estime notre interlocuteur avant de relever certains désavantages liés à la connexion. « Si WhatsApp est un moyen de communication très sûr avec son coût moins cher, il faut noter que c’est un couteau à double tranchant. Ça encourage la dépravation de nos mœurs. J’ai, personnellement, surpris des jeunes filles mineures, en train d’envoyer des messages vocaux à connotation sexuelle à des amis. C’est impossible pour les parents de surveiller l’éducation de leurs enfants lorsque ceux-ci disposent d’un téléphone androïde », déplore D. Coulibaly.
« Tieya Goundo (le secret de la sagesse), est le nom de notre groupe sur WhatsApp. Nous sommes plusieurs nationalités à l’animer. On se partage des astuces, des secrets pour traiter des maladies et ensorcellements, des plantes pour la médecine traditionnelle, des conseils pour mieux éduquer sa famille… On s’entraide financièrement, parfois, si quelqu’un de notre plateforme a des problèmes nécessitant une contribution en argent…», explique Oumar Diallo. Selon lui, en dehors de l’aspect de la consolidation sociale, les réseaux sociaux servent aussi, en Afrique, à approfondir les sciences occultes, à travers la communication entre les initiés sur les plateformes supportées par WhatsApp.
Mme Diarra Aminata Sissoko soutient que les réseaux sociaux ont sauvé son foyer. À l’en croire, elle était furieuse contre son mari, surtout les nuits quand ce dernier sortait en la laissant seule à la maison. « J’imaginais qu’il faisait tout dehors », avoue-t-elle. Elle a remédié à ce stress depuis qu’elle a eu un téléphone androïde, avec application WhatsApp.
« Je m’ennuyais quand mon mari me laissait seule à la maison, la nuit. Je ne pouvais pas le retenir en dépit de mes protestations contre ses sorties. Maintenant, je suis pressée qu’il sorte pour engager la causerie avec mes sœurs sur notre groupe WhatsApp », se confie Mme Diarra. ‘’Les sœurs unies’’, ‘’Balimaya Douman’’, ‘’Den Gnouman’’ ‘’Coulibaly lakaw’’, ‘’Kobakaw’’…bref. Des noms de groupes de discussion créés sur les réseaux sociaux par des membres d’une communauté ou d’une grande famille. D’autres existent qui regroupent les ressortissants d’une localité. Pour tous, c’est pour se tenir informer des activités de la famille ou du village d’origine.
SOLUTION MOINS COÛTEUSE- Au Mali, avec l’expansion des réseaux sociaux, Facebook et WhatsApp viennent en aide aux relations sociales reléguées au second rang par la stressante vie citadine caractérisée, parfois, par la quête permanente du quotidien. On reçoit à travers les réseaux sociaux, à longueur de journée, des messages d’informations sur les activités sociales. C’est devenu un raccourci et une alternative aux déplacements. Dans un passé assez récent, les visites aux parents et amis étaient possibles et plus fréquentes. De nos jours, avec un week-end absorbé par le « social » et la semaine de travail qui se révèle trop courte et n’est pas, malheureusement, extensible à souhait, le citadin a du mal à gérer son agenda social. Il lui est pratiquement impossible de voir tous les amis, parents et connaissances en leur rendant visite. Des semaines, voire des mois, ne suffiront pas pour un tel marathon.
La solution du téléphone s’est ainsi imposée comme la plus simple et la plus économique. Elle est instantanée et devient de plus en plus accessible, en terme de coût et même de disponibilité de l’offre. Le Mali n’échappe pas au phénomène de l’augmentation de l’offre de communication. Son secteur des télécommunications connaît une forte croissance suite à la décision du gouvernement d’adopter une politique d’ouverture progressive du secteur.
Oumar DIAKITÉ et
Moussa DIARRA