Le 61e anniversaire de l’accession de notre pays à la souveraineté nationale et internationale intervient, une nouvelle fois, dans un contexte de crise protéiforme. Si au plan extérieur, le pays doit faire face à un déchaînement de passion consécutivement à l’affaire Wagner, elle-même résultante d’une cabriole des partenaires internationaux dans la lutte contre le terrorisme, au plan intérieur, les défis s’amoncellent, en termes de refondation de l’Etat, d’apaisement du climat social, de lutte contre la corruption, la délinquance financière et l’impunité, de dégradation de la situation sécuritaire. Le président de la Transition, le Colonel Assimi GOITA, dans son adresse à la Nation, fait un état des lieux dans un discours débarrassé de toutes les aspérités.
Dans un pays assailli par une crise multidimensionnelle depuis de nombreuses années, tout est chantier. Mais, dans l’adresse à la nation du Chef de l’Etat, nous retenons ceux que nous estimons les plus prégnants.
La refondation de l’Etat
Même si d’autres, tel l’ancien Premier ministre Modibo SIDIBE, Président des FARE AN KA WULI, parlent plutôt de ‘’refondation du pays’’, l’idée d’une refondation de l’Etat telle que prônée par les autorités de la Transition a déjà fait du chemin et recueilli de nombreuses adhésions. C’est principalement le Cadre d’échange des Partis et Regroupements politiques pour une Transition réussie au Mali qui fait montre d’une réticence obtuse à ce projet.
Au plan sous-régional, il y a l’épée de Damoclès de la CEDEAO, d’autant plus qu’occultant le chronogramme initialement annoncé, le Premier ministre lie le nouveau à la décision des Assises nationales de la Refondation.
Ainsi, la Conférence des chefs d’Etat de la CEDEAO accentue la férule en décidant de sanctions ciblées contre tous ceux dont les actions impactent négativement sur le calendrier de la transition tel qu’arrêté par les Chefs d’Etat et de Gouvernement de la CEDEAO. Ces sanctions incluraient notamment l’interdiction de voyage pour ces personnes et leur famille et le gel de leurs avoirs financiers. A cet effet, la Conférence demande au Président de la Commission de la CEDEAO de compiler et soumettre la liste des individus et groupes d’individus concernés.
Aux entournures des postures nationales et de la sous-région, l’on ne peut ignorer celle de l’ancienne puissance coloniale qui se montre à cheval sur le délai de la Transition. Un oukase qui n’est pas sans rappeler cette injonction de Jean-Yves le Drian, en 2013, à propos de la tenue de l’élection présidentielle dans notre pays.
«C’est indispensable, parce que nous sommes pour l’instant dans un gouvernement de transition, avec un président de transition, et il importe, y compris pour la mission des Nations-unies, que le président malien soit légitimé par un vote », a-t-il déclaré sur la radio RMC.
Le ministre français de la Défense Jean-Yves Le Drian a estimé vendredi 26 avril qu’il était « indispensable » qu’une élection présidentielle ait lieu au Mali en juillet.
Mais le président Assimi GOITA sort de sa manche un argument massue : « Au-delà de la question de la justice, c’est celle de la refondation même de l’État qui se pose avec acuité. Malgré les soixante années d’indépendance dont la moitié sous le système démocratique, l’État du Mali est confronté à des maux que les citoyens ne cessent de décrier. Il s’agit entre autres du manque de vision politique ; du non-respect des textes ; des dysfonctionnements institutionnels remarquables et de la répartition inégale des richesses nationales. C’est pourquoi aujourd’hui, plus que jamais, se pose la nécessité d’entreprendre des actions courageuses pour un nouveau Mali. D’où la tenue très prochaine des Assises nationales de la refondation qui regrouperont toutes les forces vives de la nation. Une belle occasion en perspective pour discuter de l’ensemble des préoccupations nationales afin d’impulser une vraie dynamique de changement. A ce rendez-vous historique, doivent pendre part tous les Maliens soucieux de l’avènement d’un nouveau Mali ».
Toutefois, si le Premier ministre a ratissé large autour des ANR, le talon d’Achille pourrait être la non-participation des forces politiques les plus représentatives de l’échiquier national, fraude électorale ou pas. Réussira-t-il à sortir de cette chausse-trappe ? Le challenge a son pesant d’or.
L’apaisement du climat social
Sur le front social, en attendant l’adoption du Pacte de stabilité qui est un des axes du Plan d’action gouvernemental, les acteurs veillent dans les tranchées.
Le président de la Transition n’y va pas par 4 chemins dans le diagnostic et la réponse à apporter : « Dans le but d’apaiser le climat social, le Gouvernement est toujours resté attentif aux revendications des différentes structures syndicales. En dépit de cette volonté permanente d’arriver à une situation consensuelle, force est de constater que la satisfaction systématique de toutes les revendications d’augmentation salariale, aurait pu sérieusement compromettre les investissements de développement et la satisfaction des besoins sociaux des populations. Une des options a donc été d’éviter les inégalités salariales en adoptant l’harmonisation de la grille qui a été saluée, à juste titre, par la majorité des fonctionnaires ».
Il n’y a aucun doute qu’il y a une embolie de l’Etat providence devenu impécunieux.
Mais, si la centrale UNTM se satisfait de l’option du Gouvernement, il n’en est pas de même des syndicats de l’éducation signataires du 15 octobre 2016 arc-boutés à l’article 39 de la loi n°2018-007 du 16 janvier 2018 portant «statut du personnel enseignant de l’enseignement secondaire, de l’enseignement fondamental et l’éducation préscolaire et spéciale», dont l’application était jugée non-négociable.
Au cours d’une conférence de presse, en août dernier, le porte-parole des Syndicats de l’éducation signataires du 15 octobre 2016, Ousmane ALMOUDOU, a rappelé que l’article 39 a pour objet de répondre à une demande d’alignement des salaires des enseignants maliens avec ceux des enseignants de la sous-région, d’apaiser le climat social et d’éviter que les enseignants ne partent en grève chaque fois qu’il y a une augmentation sur le statut général. Il vise aussi, dit-il, à rendre la fonction enseignante plus attrayante.
Selon lui, le Gouvernement, en adoptant la grille unifiée des salaires des fonctionnaires de l’Etat, remet en cause les acquis des syndicats de l‘éducation signataires du 15 octobre 2016 et des enseignants du Mali. Le leader syndical a expliqué que l’unification des grilles souhaitée par le gouvernement visait à accorder une augmentation de 15.17 % au statut général qui passe de 1200 à 1382. Une augmentation qui doit être appliquée aux enseignants du secondaire, du fondamental et de l’éducation préscolaire et spéciale.
Autant dire que les enseignants restent campés sur leur position. Aussi, si la stratégie de boycott des examens a été contournée avec plus ou moins de fortune, il reste l’équation de la reprise des cours. Va-t-on recourir au plan Boubou de recruter des volontaires de l’éducation pour remplacer les grévistes ? L’option serait lourde de conséquence comme ont eu à le démontrer par le passé les enseignants grévistes. Aussitôt faudrait-il passer d’un traitement symptomatique à un traitement en profondeur pour le bonheur des enfants et le salut de l’école malienne.
La lutte contre l’impunité
Une lutte implacable contre la corruption, la délinquance financière et l’impunité est un des socles du renouveau de la gouvernance.
« La soif de justice du peuple malien est bien compréhensible, car s’appuyant sur des faits évidents de corruption, de délinquance financière et d’impunité qui ne font que renforcer le malaise et le ressentiment des populations qui sont en réalité, les premières victimes de ce système destructeur. Fort heureusement, des mesures vigoureuses viennent d’être prises dans ce sens. Une preuve supplémentaire, s’il en était besoin, du principe de séparation des pouvoirs qui garantit à la Justice la plénitude de son exercice.
Une vaste campagne d’audit des services publics est actuellement en cours par les soins des différentes structures de contrôle et de lutte contre la corruption et la délinquance financière. A travers cette lutte, nous rassurons le peuple malien que ses attentes seront comblées car aucun privilège ne sera accordé aux personnes impliquées. Ces mesures sont tout aussi valables pour les départements de la Défense et de la Sécurité dont les lois d’orientation et de programmation sont déjà en cours d’audit ».
A moins qu’il ne s’agisse de mise en scène pompeuse, des actes commencent à être posés.
Mais, ce qu’attendent les Maliens, ce n’est pas une justice sélective, les effets d’annonce, mais la justice dans ce qu’elle a de plus juste et d’équitable, ni acharnement ni complaisance.
La restauration de la sécurité
La dégradation de la situation sécuritaire est une Lapalissade et l’annonce d’une hypothétique contractualisation avec Wagner.
Pour relever le challenge, « un accent particulier a été mis sur les besoins opérationnels des Forces de défense et de sécurité ».
« Dans le souci de renforcer davantage les effectifs afin de faire face aux défis sécuritaires complexes du moment, une politique volontariste et inclusive de recrutement a été adoptée. Également, la gestion des Ressources humaines de l’Armée vient de connaître une innovation majeure avec la mise en place du Système Intégré de Gestion du Personnel de la Défense (SIGPD) ».
« A toutes ces réalisations, s’ajoute l’ouverture très prochaine d’une École de Guerre dans notre pays ».
Nonobstant ces efforts, des populations continuent de payer un très lourd tribut à l’insécurité. Ce qui explique les cris du cœur venant de presque partout. Le président de la Transition ne peut y être insensible lui a commandé le Bataillon autonome des forces spéciales.
« J’entends et comprends avec une attention particulière, les complaintes de certaines populations qui souffrent par endroit de l’absence de l’État pour diverses raisons. Plutôt que de se dérober, l’État met tout en œuvre au quotidien pour assurer la sécurité des personnes et des biens. Cependant, il demeure évident que c’est seulement ensemble que nous pourrons relever le défi de la sécurité collective ».
Par ailleurs, il calme le déchaînement de fureur suite à l’affaire Wagner.
« C’est le lieu, une fois de plus, d’inviter nos partenaires à une meilleure lecture de la situation du Mali, marquée par une crise multidimensionnelle profonde.
Cependant, leur (NDLR : les forces internationales) engagement à nos côtés doit, de toute évidence, contribuer à la résolution durable des problématiques sécuritaires et servir de déclic pour notre résilience. C’est à ce seul prix que l’assistance internationale aura tout son sens ».
PAR BERTIN DAKOUO
Source : Info-Matin