Organisée en marge d’une visite d’Etat que le président de la République, Ibrahim Boubacar Keïta, effectuera en France, la rencontre de Paris devrait permettre au Mali et ses partenaires d’échanger sur les grandes priorités de développement de notre pays. Mieux, il s’agira d’identifier les nouvelles actions prioritaires à mener dans le cadre de l’après-Pred (Plan pour la relance durable du Mali), deux ans après la conférence des donateurs de Bruxelles.
Du 21 au 22 octobre 2015, le Président IBK séjournera à Paris dans le cadre d’une visite d’Etat, une première dans l’histoire des relations de nos deux pays, si l’on en croit des sources diplomatiques françaises. Au cours de son séjour, le chef de l’Etat rencontre s’entretiendra avec les plus hautes autorités françaises, notamment, son homologue François Hollande. Aussi, donnera-t-il une conférence avant de recevoir les honneurs militaires aux Invalides. Ibrahim Boubacar Keïta se rendra ensuite à l’ossuaire de Douaumont, en hommage à son grand-père tué à Verdum pendant la première guerre mondiale, alors qu’il combattait dans l’armée française. Le clou du séjour parisien du chef de l’Etat sera sans nul doute, la Conférence pour le Développement du Mali dont il co-présidera l’ouverture des travaux avec le président Hollande, le 22 octobre. Cet appel de fonds organisé par l’Ocde résulte, faut-il le rappeler, de l’Accord de paix, notamment en son Chapitre 12 et son Annexe 3 et regroupera, outre la cinquantaine de pays qui composent l’Ocde, les délégations des parties signataires de l’accord de paix, la société civile et des représentants du secteur privé malien. Il portera essentiellement sur les besoins des régions Nord en termes d’aide d’urgence, de relance économique et de développement. Ce, dans la perspective du développement durable du Mali tout entier, et de son émergence à un horizon de 10 à 15 ans. Envisagée comme une manifestation internationale exceptionnelle de haut niveau, la Conférence de Paris vise à parvenir à un équilibre entre les instruments de financement, les outils de l’aide, les contributions du secteur privé et les recettes internes, pour les mettre au service de la consolidation de la paix, de la réconciliation nationale et de la résilience. L’objectif ultime étant d’améliorer le bien-être des Maliens, de renforcer la cohésion nationale et d’encourager l’intégration régionale. Il faut noter que la particularité de la conférence de Paris, c’est qu’à la différence des précédentes rencontres internationales sur le développement le Mali, le gouvernement malien, en s’engageant de faire l’effort exceptionnel d’injecter 300 milliards en 3 ans dans plusieurs secteurs du développement, va inciter les partenaires techniques et financiers à accompagner cet effort.
En termes d’enjeux à court et moyen termes, la Conférence pour le développement du Mali examinera les conclusions et recommandations proposées par la Mission d’identification et d’évaluation conjointe au Nord qui porte sur les besoins spécifiques des trois régions septentrionales. Aussi, la conférence devrait-elle fournir des éléments pour l’élaboration de la stratégie spécifique de développement de la zone Nord.
Il importe de rappeler que la communauté internationale a déjà mobilisé des budgets importants ainsi que des nombreux programmes et projets qui n’attendent que les conditions sécuritaires soient réunies pour être profitable aux Maliens, comme l’a récemment souligné l’ambassadeur de France au Mali. La conférence de Paris devrait donc servir d’examiner les mesures à prendre sur ce plan pour faciliter la délivrance l’aide.
A moyen et long terme, la rencontre permettra un développement beaucoup plus équilibré des territoires. Surtout quand on sait que les inégalités territoriales ont été au centre des négociations. Sur ce plan, le premier défi sera de veiller à une intégration territoriale, économique et sociale plus poussée des régions du Nord. Ce, dans le but d’atteindre un développement équilibré du pays, de promouvoir une plus grande cohérence et des échanges accrus entre les régions du Nord, du Sud et du Centre du Mali, mais surtout de renforcer la cohésion du développement du pays au bénéfice de tous les Maliens. Mieux, il s’agira aussi de rattraper le retard que les régions supposées être les plus défavorisées accusent, notamment en termes d’investissements structurants (transports, communication, environnement et agriculture) et sociaux (santé, éducation, etc.).
Au cours de la rencontre parisienne, les participants aborderont trois principaux thèmes. Le premier est relatif à la Coopération internationale, l’efficacité de l’aide et la sécurité. En effet, au-delà du fait qu’elle sera l’occasion d’échanger de façon approfondie sur le développement du Nord du Mali dans le cadre de la stratégie global de développement, l’Appel de fonds de Pais est aussi l’opportunité pour discuter des moyens d’améliorer l’efficacité de l’aide et la cohérence des approches régionales ainsi que la relation entre l’humanitaire, la réhabilitation et le développement. Elle permettra ainsi de discuter et d’examiner les contraintes de sécurité et les mesures que le Gouvernement malien et les signataires de l’Accord peuvent prendre pour améliorer et garantir la sécurité des acteurs humanitaires, ainsi que celle des opérateurs économiques. L’autre thème qui fera l’objet de discussion se rapport à la décentralisation, la gouvernance ainsi que la mobilisation de l’aide des ressources internes. Sous ce chapitre la Conférence devrait examiner les dispositions de l’Accord de paix qui correspondent aux reformes en cours, notamment en matière de gouvernance politique et administrative. Le troisième et dernier thème qui sera abordé à Paris porte sur les entreprises et financements nationaux et internationaux, y compris les transferts de fonds des migrants. Ainsi, la question des besoins du Mali en termes d’investissement de capitaux privés devront être pleinement débattue. Il sera aussi question de discuter des besoins de notre pays en termes d’infrastructures, du cadre réglementaire et des politiques macro-économiques et budgétaires nécessaires pour encourager l’entreprenariat, les investissements privés internationaux. C’est ainsi dire que de nouvelles mesures pourraient accélérer les reformes dans le cadre de l’amélioration du climat des affaires par ailleurs, le secteur bancaire malien devra trouver des solutions durables pour financer la constitution des avoirs extérieurs.
Il importe de rappeler qu’une rencontre sera organisée la veille de la Conférence pour présenter aux acteurs économiques privés la situation actuelle, les besoins et les opportunités économiques dans le cadre du processus de préparation du « Forum des investisseurs » que le Gouvernement et la Banque mondiale envisagent d’organiser à Bamako en 2016.
Joindre l’acte à la parole
En prélude du rendez-vous de Paris, le Gouvernement malien, les partenaires au développement et la société civile se sont rencontrés au cours d’une réunion préparatoire le 12 octobre dernier. Ce fut une occasion pour les partenaires techniques et financiers de réaffirmer leur engagement à accompagner le Mali dans la recherche d’une paix durable. Lors de cet atelier, l’Ambassadeur de France au Mali, en sa qualité de chef de file des PTF, a noté avec satisfaction de récentes évolutions positives dans la mise en œuvre de l’Accord. Aussi, Gilles Huberson a-t-il salué les efforts du gouvernement malien, notamment dans les domaines de l’assainissement des finances publiques, le développement rural et les politiques de relance économique. Et le diplomate français d’insister sur le rôle de chaque partie signataire de l’Accord dans le processus de paix et de facilitation des actions de développement du pays.
Si le représentant de l’Algérie, Nourredine Ayadi, non moins chef de file de l’équipe de médiation, a estimé que la rencontre de Paris est une opportunité pour le peuple malien, le président du Comité d’aide au développement de l’Ocde a, lui, mis l’accent sur le leadership de l’Etat malien. «D’autres pays ont connu pareilles situations. Mais ils ont pu s’en sortir non pas seulement avec l’aide des partenaires, mais surtout grâce au leadership de l’Etat. C’est au Mali de montrer la voix à suivre dans la mise en œuvre de l’Accord», a fait remarquer Erik Solheim.
De son côté, le Premier ministre malien a magnifié l’accompagnement constant de l’ensemble des partenaires du Mali, notamment la France. Si la conférence des donateurs de Bruxelles de mai 2013 a permis la relance des investissements dans plusieurs secteurs de l’économie, Modibo Keïta a espéré que celle de Paris soit une rencontre de l’espoir. «Le Mali a aujourd’hui besoin d’investissements productifs dans tous les secteurs et au niveau des différentes régions», a-t-il rappelé. Partant, le chef du gouvernement a émis le vœu que les engagements qui seront pris dans la capitale française soient suivis d’effets.
Sur le plan sécuritaire du processus de paix, Modibo Keïta a estimé que la sécurité doit être prise en compte dans les aspects à la fois militaire, économique, de la justice sociale, de la protection de la nature et de l’émergence d’une gouvernance sévère avec la corruption. «Ceci nous paraît être une des conditions du succès. Nos compatriotes sont décidés à emprunter résolument le chemin de la paix, nos populations veulent avoir les dividendes de la paix», a-t-il souligné, après avoir pris acte de l’engagement des PTF.
Les Maliens et les retombées de la Conférence de Bruxelles
Les observateurs du processus de sortie de crise au Mali se souviennent qu’en mai 2013, une conférence de cette nature avait regroupé, dans la capitale belge, 108 délégations des représentants d’institutions régionales et internationales, des institutions de coopération, des collectivités locales, des organisations de la société civile malienne et internationale et des représentants du secteur privé. A l’issue de la conférence, 56 pays et/ou institutions ont annoncé une aide financière inédite de l’ordre de 3,285 milliards d’euros, soit environ 2155 milliards de francs CFA, pour appuyer les politiques de réformes et les programmes de développement du Mali. Si en février dernier, une réunion du Groupe de suivi des donateurs a annoncé que 94% de ces fonds ont été engagés dont 76% décaissés, le Malien lambda a toujours du mal à mesurer l’impact réel de ces milliards sur sa vie quotidienne. Du côté du Groupe de suivi, on répond que ces fonds ont servi à renforcer la paix et la sécurité; à répondre aux urgences humanitaires; à organiser les élections; à approfondir la gouvernance; à garantir le bon fonctionnement de la justice et la lutte contre la corruption; à relever le défi de l’éducation; à garantir l’accès à des services sanitaires, entre autres. C’est ainsi dire que si la Conférence de Paris devrait faire naître un nouvel espoir en ce qu’elle ouvre une nouvelle page de l’économie de notre pays, des Maliens ne verront forcément pas les choses sous le même angle. Surtout que des organisations de la société civile, telle la CAD-Mali, estiment que la Conférence de Bruxelles a plutôt servi à alourdir davantage la dette du Mali, l’essentiel des contributions étant fait sous forme de prêts.
Bakary SOGODOGO
source : Le Prétoire