Au-delà de l’enthousiasme et l’espoir qu’entretiennent les réformes politiques et administratives préconisées par la transition, force est de constater que la dimension humaine est inscrite en minuscule dans les projets, comme pour dire que l’instabilité politique et institutionnelle n’est imputable qu’à l’insuffisance et à la vétusté de nos textes de lois. Sans vouloir alimenter la polémique, ne vaudrait-il pas mieux interroger l’histoire récente des troubles politiques que notre pays a connus avant d’engager les réformes ?
Toutes organisations sociales reposent sur des lois, lesquelles dépendent à leur tour de la qualité morale et de l’engagement des hommes et femmes chargés de leur mise en œuvre. Sans prétention aucune, on peut dire que le Mali est l’un des pays de la sous-région parmi les mieux dotés en meilleure législation, qu’il s’agisse de la gouvernance ou de la gestion de la vie publique. Code de la famille, droit coutumier et foncier, charte des partis politiques, code électoral, loi sur la propriété intellectuelle, Haute Cour de justice … sont quelques-unes de ces dispositions législatives qui font la fierté de toute une nation, et dont l’application correcte aurait mis le pays à l’abri des tumultes qu’il traverse depuis plusieurs décennies. Pour autant, le pays demeure l’un des plus instables à cause des remous sociaux et des dissensions politiques. Le législateur malien, dans son souci de préserver la cohésion sociale et prévenir les conflits de tous genres, a légiféré sur tous les domaines.
Avec cette infinie sagesse qui caractérise le peuple malien, le législateur a prévu tous les mécanismes de règlements des différends dans le pays. La volonté de refondation sous-tendue par les réformes politiques et administratives des autorités de la transition, est certes salutaire ; cependant les troubles socio-politiques qui secouent le pays depuis 2012 nous enseignent que la fragilisation du pays est plus imputable au non-respect des lois de la République par les responsables chargés de leur application qu’à une insuffisance quelconque des textes.
Dans la crise post-électorale de l’ère IBK, l’attitude du ministre de l’Administration territoriale et la gestion des contentieux électoraux par la présidente de la Cour constitutionnelle de l’époque, ont cristallisé la colère populaire. L’évolution de la crise a révélé une crise de confiance orientée vers les personnalités qui, à tort ou à raison, ont outrepassé les limites de leurs compétences. Les lois n’ont pas fait l’objet de dénonciation ni de critique. Ce sont plutôt ceux et celles chargées de les appliquer qui ont trahi le serment de leurs fonctions.
La même crise de confiance a failli être source de dissensions lors du premier mandat d’IBK à cause d’une maladroite déclaration du Général à la retraite Sinko Coulibaly, alors ministre de l’Administration du territoire.
En tirant les enseignements de la récurrence des crises socio-politiques, il ne serait pas exagéré d’en attribuer la source au non-respect des lois par les responsables chargés de veiller à leur application, d’une part, et de la méconnaissance de ces lois par l’immense majorité de la population à laquelle les leaders d’opinions et les acteurs de la classe politique ont faire croire qu’il n’y a que la rue pour régler les contentieux. Exacerbée par l’impunité ambiante, la violation généralisée des lois de la République est, depuis des années, le cancer qui ronge le Mali. Cette violation, qui s’est enracinée dans leurs mœurs politiques, demeure l’unique menace qui plane sur toutes les réformes dans notre pays car, quelle que soit la qualité d’une loi, elle ne vaudra que par la qualité morale et l’engagement de celle ou de celui qui a la charge de son application.
Au Mali, plus que l’insuffisance de lois, c’est donc l’impartialité des cadres qui est en cause. Les réformes, même en profondeur, ne résoudront pas de facto cette problématique inscrite en lettre minuscule dans les recommandations des Assises nationales. La véritable refondation du Mali commencera avec l’élaboration d’une politique d’éducation citoyenne qui fera émerger un nouveau type de Malien respectueux des lois de la République. Cela passe nécessairement par une prise en compte conséquente de la dimension humaine dans les réformes envisagées.
Bakary Sangaré
Source: Les Échos