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Réformer l’Union africaine pour que l’Afrique décide elle-même de son destin

Lors de la création de l’Organisation de l’unité africaine (OUA) en 1963, son premier président, l’empereur Haïlé Selassié, a lancé un appel : “Nous avons besoin d’une organisation africaine unique qui permettra de faire entendre la voix de l’Afrique, d’étudier et de résoudre ses problèmes. Il nous faut une organisation qui favorise la résolution des conflits sur le continent en proposant des solutions acceptables, qui encourage l’étude et l’adoption de mesures en faveur d’une défense commune, ainsi que de programmes de coopération dans le domaine économique et social.”

En favorisant l’intégration économique de l’Afrique, en veillant à sa souveraineté et à son intégrité, en faisant entendre sa voix et en défendant ses intérêts sur la scène internationale, l’OUA visait à libérer entièrement le continent et à lui assurer la maîtrise de son destin. Il en est de même de l’organisation qui lui a succédé, l’Union africaine (UA), mais pour cela elle a besoin de ressources qui lui soient propres. Il s’agit bien plus d’une question d’état d’esprit que de moyens. Et heureusement, l’état d’esprit commence à changer.

En dépit de ses succès, l’UA manque d’efficacité, son budget est insuffisant, son fonctionnement laisse à désirer et souvent elle ne parvient pas à mettre en œuvre ses décisions. Tel est le constat qu’on fait les dirigeants africains lors du sommet de l’UA en 2016 à Kigali. Pour relancer l’Union, ils ont chargé le président rwandais Paul Kagame  de conduire un processus dans lequel ils se sont tous beaucoup impliqués.
Moins de trois ans plus tard, Kagame et un comité d’experts dont il s’est entouré (au moyen d’un processus consultatif intégrant les dirigeants africains et les autres parties prenantes) ont émis un ensemble de recommandations  en faveur d’un plan de réformes dont certaines entrent en application. Elles concernent le financement de l’UA, l’harmonisation de ses institutions, la répartition des tâches entre ses organes régionaux et ses pays membres, ainsi que leur responsabilisation face à elle et la pertinence de son travail pour les citoyens ordinaires.
Veiller au financement “adéquat, prévisible et durable” de l’UA était la première des priorités. Dans le passé, ce financement était des plus erratiques, beaucoup de pays membres (souvent confrontés à des dépenses à la hausse et à une mauvaise gouvernance financière) ne payant pas leur part. De ce fait, l’UA est excessivement dépendante de seulement 6 pays qui couvrent 55% de son budget, et de plus en plus, de partenaires extérieurs. Pire encore, les opérations de sécurité ou de maintien de la paix sont de plus en plus coûteuses en raison de la complexité des conflits modernes hybrides comme au Sahel et dans la Corne de l’Afrique.

Pour résoudre ces problèmes et parvenir à l’autofinancement de l’Union à long terme, plusieurs pays membres ont accepté le principe d’une taxe de 0,2% sur les importations. Par ailleurs, elle a adopté un modèle de financement fiable et prévisible en faveur de la paix et de la sécurité sur le continent. Il s’agit du Fonds pour la paix qui va bientôt atteindre 100 millions de dollars – une somme suffisante pour permettre à l’UA d’intervenir pour des missions de prévention ou de médiation.

Il n’est jamais facile de réformer une organisation internationale. C’est tout aussi vrai pour l’UA que pour l’ONU ou les institutions issues des accords de Bretton Woods. Il est délicat de trouver le point d’équilibre entre la nécessité de réforme et les pressions politiques souvent divergentes exercées par les pays membres.

Pour certains, les réformes ne vont pas assez loin, tandis que pour d’autres elles vont trop loin et trop vite. Et il reste une petite minorité convaincue qu’il ne faut rien changer, parce que l’UA était supposée être un organe politique plutôt que technocratique, à l’image de l’ONU, bien que ce point de vue ignore le lien entre légitimité politique et efficacité.

En décidant des prochaines étapes, les Africains seraient bien inspirés de ne pas oublier les leçons de la crise financière mondiale de 2008. A son apogée, le point de vue dominant était que sans aide extérieure de grande ampleur, l’Afrique serait en grand danger. A ce moment là, l’UA et la Banque africaine de développement (que je dirigeais) ont appelé à une réunion d’urgence des ministres des Finances et des gouverneurs des banques centrales pour décider des mesures à prendre.

C’est essentiellement grâce à cette réaction purement africaine que la plupart des pays du continent ont émergé de la crise sans trop de dommages, même si l’économie réelle de plusieurs d’entre eux a encaissé ultérieurement un contrecoup (une baisse du prix des matières premières et une baisse des investissements).

D’autres problèmes, allant du réchauffement climatique à l’insécurité, nécessitent eux aussi de toute urgence une réponse africaine, car l’ordre multilatéral mondial montre des signes d’essoufflement. Moins de quatre ans après l’adoption par les dirigeants du monde du Programme de développement durable  à l’horizon 2030, on voit apparaître des guerres commerciales et des revirements quant aux engagements pris sur le réchauffement climatique. Le populisme, le protectionnisme et l’isolationnisme gagnent du terrain, notamment dans les pays qui figurent de longue date parmi les principaux donateurs en faveur de l’Afrique.

Dans ce contexte, les institutions et les dispositions régionales jouent un rôle plus important que jamais, qu’il s’agisse de l’UA ou de la zone continentale de libre-échange en Afrique incluant 50 des 55 membres de l’Union qui va être effective dans quelques mois. L’objectif de cette zone n’est pas seulement d’abaisser les barrières douanières et d’encourager le commerce intracontinental, mais aussi d’approfondir et libérer le potentiel d’investissement de l’Afrique.

La période est certes dangereuse, mais c’est aussi un moment clé qui s’offre à nous, Africains, pour tracer notre propre avenir. La réforme en cours de l’UA ne répondra pas à tous les problèmes du continent, mais elle constitue une fondation sur laquelle consolider l’Union africaine pour qu’elle devienne plus efficace et plus indépendante. Les Africains pourront alors s’appuyer sur elle pour faire face aux défis d’aujourd’hui et de demain.
Traduit de l’anglais par Patrice Horovitz
Donald P. Kaberuka est haut représentant du Fonds pour la paix de l’Union africaine et membre du Centre pour le développement mondial. Il a été président de la Banque africaine de développement.

Lejecom

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