Afrik.com : Qu’avez-vous pensé de l’attitude de Hissène Habré lors l’ouverture de son procès qui a été très agité, le 20 juillet dernier ?
Reed Brody :
C’est un peu normal, c’est ce que tous les dictateurs et tyrans font. Ils fuient le combat, ils n’osent pas regarder leurs victimes en face. Hissène Habré fait tout sauf parler des faits. Il dénigre les vrais victimes, il conteste la compétence de la Cour, il essaye d’attirer l’attention pour que les gens regardent ailleurs, il parle de la France-Afrique, de l’impérialisme. Ces juges des chambres africaines spécialisées ne sont pas des valets au service de la Françasfrique. Ce sont des femmes et hommes qui ont décidé de se battre pour que justice soit faite. Il est sûr que Hissène Habré n’a pas dit son dernier mot. Il est assez têtu. Mais il ne pourra pas échapper à ce procès. Mais le plus remarquable dans toute cette affaire, c’est la façon remarquable, dont les rescapés se sont organisés pour demander justice et le fait qu’ils n’aient pas baissé les bras jusqu’à qu’on leur rende cette justice. Les gens qui ont suici le combat de leur avocate Jacqueline Moudeina voient que c’est vraiment une quête de justice et rien d’autre.
Dans quel état d’esprit se trouve les victimes depuis l’ouverture du procès le 20 juillet dernier ?
L’ouverture du procès a été un moment de grande émotion pour ceux qui étaient dans la salle et pour ceux qui étaient à N’Djamena. Il y avait beaucoup de monde, les gens applaudissaient, c’était l’aboutissement d’un long travail. Lorsque nous avons commencé il ya 15 ans, beaucoup pensaient qu’on n’était fous, surtout dans des pays ou l’injustice est coutume et qu’il est assez rare que les gens osent demander réparation. Pour eux, les victimes étaient rêveurs. Ils estimaient que ça n’allait jamais marcher. Mais l’élection de Macky Salla a été une chance. Beaucoup d’autres pays ont suivi notre exemple. On a reçu des invitations dans des pays comme le Togo, la Gambie, le Mexique. Ils ont envie de faire la même chose que nous, ils veulent qu’on leur explique comment on a réussi à faire traduire Hissène Habré en justice. Les victimes de Hissène Habré ont elle-même été inspirées par l’expérience chilienne avec Pinoché. Au moment où Pinoché était à Londres, elles ont compris qu’il pouvait être arrêté n’importe où dans le monde malgré son statut de chef d’Etat. Elles se sont alors dit que c’est donc aussi possible que Hissène Habré soit lui aussi traduit en justice.
Idriss Déby qui a aussi un moment participé au gouvernement Habré est soupçonné d’exactions à cette période. Ne devrait-il pas être mis sur le banc des accusé ?
Il n’était pas le numéro 2 ni le numéro 5 du régime. Beaucoup d’autres personnes bien sûr ont parciticipé aux exactions sous Habré. Idriss Deby était en effet chef militaire du fameux septembre noir mais même à la période où il était aux affaires il était subordonné à Hissène Habré, qui est le principal repsonsable de son gouvernement. Idriss Deby était un exécutant. Le sort veut qu’Idriss Deby soit toujours président. Mais dans l’histoire, chaque fois qu’il y a eu ce genre de procès, on a toujours jugé les principaux responsables, ça a toujours été comme ça. On ne s’est jamais posé la question de savoir pourquoi Charles Taylor ou Barbie ont été jugés seuls.
Selon vous doit-il s’inquiéter ou non ?
Je dirai qu’il n’a pas à s’inquiéter mais il a l’air de s’inquiéter. Je pense que pendant toutes ces années au pouvoir, il aurait pu profiter de ce procès pour montrer que son régime était différent et que lui est en faveur de la justice. Mais malheureusement depuis un certain moment, il a décidé qu’il voulait limiter la circulation des victimes de Hissène Habré, qu’il avait peur de ces poursuites qu’il voulait circonscrire et controler toutes leurs actions.
D’autant que des violations des droits de l’Homme sont également dénoncées sous son régime actuel…
C’est exact. Mais on ne va pas comparer les violations sous Idriss Deby dont des arrestations arbitraires, des disparitions sont avérées avec un régime de violation massif sous Habré où il n’y avait aucun journal d’oppositon, où on avait une archipel de prison. Non il n’y a pas de comparaison possible.
Quelle est la part d’apport du Tchad, dont on sait finance ce procès ? Cela ne crée-t-il pas un conflit d’intérêt ?
Le gouvernement tchadien finance à hauteur de 30 et 35% le procès. Le Tchad est toutefois minoritaire dans le financement en terme absolu. Il y a aussi la participaton de l’Union Africaine et de l’Union Européenne. Ce procès aurait pu avoir lieu au Tchad. Mais tout le monde était d’accord qu’il n’y avait pas les conditions nécessaires pour que Hissène Habré ait un procès équitable là-bas. Même un moment, Abdoulaye Wade a voulu renvoyer le procès au Tchad. Mais les avocats de Hissène Habré, en passant par le Commissaire des droits de l’Homme se sont opposés à cette éventualité, affirmant que ce n’était pas possible de faire le procès au Tchad. Mais ça ne me choque pas que le pays concerrné par ces crimes participe à financer le procès. A partir du moment ou ses finances n’impliquent pas une atteinte à l’indépendance des juges.
Qu’en est-il selon vous de la responsabilité de la France et des Etats-Unis qui ont aussi soutenu le régime Habré ?
C’est une question de différents niveaux et de responsabilité. Ce que doit déterminer les chambres africaines c’est est-ce que Hissène Habré est coupable ou non des faits qui lui sont reprochés. Actuellement c’est Hissène Habré qui est devant le tribunal. Concernant la France et les Etats-Unis on a aussi fouillé dans les archives de la police politique de Hissène Habré, on a rassemblé des milliers des documents pour essayer de voir tout ça. Mais je pense qu’il ne faut pas mélanger les choses. La presse française d’ailleur a longuement évoqué les responsabilités historiques de la France et des Etats-Unis. Nous travaillons beaucoup d’ailleurs sur ces questions et pensons que le procès est un moment priviligié pour revenir sur ce dossier et également pour se demander comment la France et les Etats-Unis ont pu soutenir de bout en bout quelqu’un qui a autant réprimé son peuple.
La deuxième partie de l’interwiew de Reed Brody, qui revient sur son parcours, à suivre…
Source: afrik