Le continent africain, particulièrement subsaharien, s’accroche encore en grande partie à des croyances plus que millénaires. C’est le cas de la République démocratique du Congo, où des malades atteints d’Ebola à Mbandaka (nord-ouest) refusent purement et simplement de se faire soigner dans les hôpitaux, convaincus mordicus qu’ils sont frappés par le mauvais sort. Incursion dans de vieilles croyances plus que coriaces.
Pour Mme Lobali, habitante de Mbandaka, l‘épidémie à fièvre hémorragique n’est autre qu’“un mauvais sort jeté sur ceux qui ont mangé une viande volée” en brousse.
Croyant que l’épidémie d’Ebola relève de la sorcellerie, certains malades refusent de se faire soigner, préférant la prière.
Même les religieux y coient dur comme fer. C’est le cas d’un pasteur terrassé par Ebola. Ce dernier, croyant lui aussi au mauvais sort, a été contaminé par un malade atteint par l’agressif virus après avoir “prié” pour lui. Un médecin rapporte que le pasteur en question est mort quelques jours seulement après la séance de prière.
Julie Lobali, infirmière en première ligne contre l‘épidémie en RDC : “croyant que l‘épidémie d’Ebola relève de la sorcellerie, certains malades refusent de se faire soigner, préférant la prière.” Julie, qui travaille à l’hôpital général de Mbandaka, est elle-même vue comme un ‘‘cas suspect’‘.
Des croyances profondément enracinées dans les esprits
Blandine Mboyo est habitante du quartier de Bongondjo, à Mbandaka. Elle ne déroge pas à la règle générale. Pour elle, cette épidémie est tout simplement le “résultat d’un mauvais sort jeté sur ce village par un chasseur qui s‘était fait voler un gros gibier.’‘ Et d’ajouter : “c’est une maladie mystique.”
Et ce ne sont pas les adeptes de cette thèse sans fondement qui manquent. Nicole Batoa, vendeuse : “ce mauvais sort est trop puissant parce qu’il frappe ceux qui ont mangé cette viande, entendu parlé de ce vol ou encore vu l’animal volé.” Guy Ingila, vendeur clandestin de carburant, renchérit volontiers : “cette maladie est incurable. Ils le disent eux-mêmes à la radio, c’est parce qu’il s’agit de sorcellerie.”
L’OMS (Organisation mondiale de la santé) et les autorités congolaises ont recensé une cinquantaine de cas. Parmi eux, 27 morts. Mais, comme cela est souvent constaté sur le continent africain, une mort ou une maladie n’est jamais acceptée aussi simplement. La thèse de la “sorcellerie” est très largement évoquée dans la majorité des cas. Et Ebola n‘échappe pas à ces croyances fortement ancrées dans les esprits.
Zacharie Bababaswe, spécialiste congolais de l’histoire des mentalités, nous éclaire un temps soit peu sur la question. Il affirme que du point de vue culturel, “autant de morts est la manifestation d’un mauvais sort et ne peut être provoqué que par un mauvais génie”.
M. Bababaswe fait de même savoir qu’avant l’arrivée des églises évangéliques (encore appelées églises de réveil spirituel) en RDC, les Congolais avaient pour habitude de se rendre chez le guérisseur ou le féticheur du coin, pour y trouver la guérison. Ces derniers faisaient régulièrement office de ‘‘médecins’‘.
Quand le charlatanisme fait miroiter des espoirs de guérison
“Avant les années 1980, n’importe quelle maladie avait une origine mystique”, ajoute M. Bababaswe. Les féticheurs sollicités proposaient très souvent une solution dite mystique.
Aujourd’hui, cette forme de charlatanisme s’est adaptée, changeant de forme, donc, de stratégie. Après la vague des années 1980, “des charlatans se sont transformés en pasteurs pour prendre le relai des guérisseurs et des féticheurs” et proposer des solutions mystiques aux problèmes de santé, rappelle M. Bababaswe : “à un problème spirituel, la solution n’est pas médicale”, selon la croyance populaire.
Des témoins racontent qu’il y a quelques semaines, deux personnes venues de Bikoro (épicentre de l’actuelle épidémie) et atteintes par le virus Ebola, ont fait le choix de se rendre directement dans des églises, plutôt que de prendre le chemin de l’hôpital pour y recevoir des soins adéquats.
Dans la même veine, un autre malade, qui était interné à l’hôpital général de Mbandaka, a préféré quitter son lit. Destination : le guérisseur. Et bien sûr, des choix aussi hasardeux que dangereux ne manquent pas d’inquiéter les professionnels de la santé, ainsi que les leaders communautaires.
De nos jours, les fétiches et autres amulettes sont mal vus, même en terre africaine. L’alternative ? L‘église. La bas, de nombreuses personnes en quête de guérison et de bonheur sont convaincues d’y trouver des miracles que “le pasteur peut obtenir de Dieu”.
De la nécessité d’une communication de masse
Vu de telles attitudes, il y a forcément urgence. La sensibilisation de masse est donc de rigueur, pour espérer freiner l’avance de l’un des virus les plus agressifs que l’humanité ait jamais connus. Pour cela, Zacharie Bababaswe pense qu’“il faut une communication adaptée”, parce que les gens ne changeront pas en un jour “leurs habitudes séculières”.
Bavon N’Sa Mputu est député, élu de Bikoro. Il abonde dans le même sens, soulignant qu’il faut “expurger de la tête des villageois que la maladie à virus Ebola est un mauvais sort jeté sur les villages”.
Mais, même un communication de masse s’avère improbable, compte tenu de la misère qui frappe les populations. Misère qui apporte souvent du grain à moudre aux églises, celles-ci misant sur l’espoir qu’ont les fidèles de sortir du trou, grâce aux ‘‘miracles’‘.
C’est le 8 mai dernier que l‘épidémie de l‘épidémie d’Ebola a été déclarée à Bikoro (600 km de Kinshasa), à la frontière avec le Congo-Brazzaville. La RDC fait face pour la neuvième fois à cette épidémie, qui fait des ravages dans ses rangs depuis 1976.
La dernière apparition de la fièvre à virus Ebola en République démocratique du Congo date de l’année dernière. Elle avait officiellement fait quatre morts.
Avec africanews
Source: afriquemedia