Mandatées pour protéger les populations de toute agression, les forces de sécurité déployées à Koro s’adonnent actuellement à des pratiques très peu orthodoxes. Ces forces, composées d’éléments de la police, de la gendarmerie et de la garde nationale, ont transformé leur mission de protection en un simple business, en rackettant de paisibles citoyens. C’est du moins ce qui ressort de notre enquête.
Des victimes, la mairie, la jeunesse et le conseil de cercle, sont tous unanimes que les forces de sécurité ne font que racketter les populations à Koro. Depuis quelques mois, la pratique semble exister dans cette ville. Selon nos investigations, ce sont des agents de sécurité composés de policiers, de gendarmes et surtout de gardes nationaux, notamment de la 52ème Compagnie d’Intervention Rapide (CIR) qui mènent cette pratique contre de paisibles citoyens qui viennent des différents villages pour la foire hebdomadaire ou pour d’autres besoins dans la ville de Koro.
Aujourd’hui, toutes les sorties et entrées de Koro sont occupées par ces agents de sécurité. Au rond-point central de la ville, on les rencontre également. Sur place, ils arrêtent tous ceux qui bougent par engins à deux, trois ou quatre roues. Selon les victimes, il n’y a pas d’autre alternative : vous payez, vous êtes libres. «Vous payez deux mille francs CFA (2000F CFA) contre un bout de papier comme reçu », souligne une victime. Ce reçu dont nous avons eu une copie ne contient qu’une date et une signature qui permet à l’intéressé de circuler durant une période de vingt quatre heures seulement. Selon nos sources, le contrôle concerne et la personne et l’engin.
« Nous sommes terrorisés… »
Youssouf Guindo, l’une des victimes, témoigne : «Nous sommes terrorisés. Nous n’avons aucune activité dans nos villages respectifs. Nous venons à Koro pour acheter des marchandises. Moi par exemple, je viens acheter du carburant que je revends dans mon village. Mais, on m’arrête pour des raisons soi-disant de sécurité. Lesdits agents me disent souvent que c’est suspect le fait que je vende de l’essence et ils me demandent de payer deux mille francs CFA sous peine de bloquer mon produit. Pour moi, c’est un abus de pouvoir et rien d’autre. S’il s’agit de la sécurité, qu’ils viennent surveiller mes activités dans mon village. »
Ces populations, il faut le dire, sont depuis l’éclatement de la crise sécuritaire dans le centre du Mali, privées de tous leurs droits citoyens. Pas d’école, pas de centre de santé, encore moins des services administratifs. Comment des populations sans services de l’Etat, peuvent mettre à jour leurs pièces d’identité et administratives ? Le paradoxe est bien là. Pire, les victimes estiment également que les forces de sécurité sont souvent animées de mauvaise foi. «Ils savent bien que nous avons peur d’eux. Ainsi, ils font ce qu’ils veulent. Ils nous intimident par tous les moyens. Si tu refuses de coopérer, ils vont dire qu’ils te feraient passer pour un suspect ou pour un complice des terroristes. Tu as beau être juste, ils trouveront toujours des motifs pour te soutirer de l’argent. Les plus chanceux s’en sortent avec mille francs CFA (1000F CFA), cinq cent Francs CFA (500F CFA) ou mille cinq cent francs CFA (1500F CFA). Sinon c’est deux mille francs CFA (2000F CFA) clash », précise Bocar Kodio, un vendeur de bétail.
Le premier adjoint au maire de Koro accuse !
Interrogé, le premier adjoint au maire de Koro, Issa Sagara, dénonce non seulement la pratique qu’il qualifie d’illégale, mais souligne aussi que les forces de sécurité bénéficient du soutien d’une partie de la collectivité. «Personnellement, j’ai déjà essayé de combattre cette pratique. Au début quand ces forces ont été déployées alors que l’insécurité montait en flèche, pour faire de l’argent au niveau de la mairie, une partie de la collectivité avait demandé à faire la vignette. J’ai dit personnellement que cela n’a aucun sens du moment où ces populations sont privées de tout. Même avoir à manger, était devenu un parcours de combattant. C’est comme ça que ces élus se sont passés de moi pour comploter avec d’autres personnes au sein du personnel d’appui de la mairie et avec le soutien du maire principal basé en France depuis son élection. Le maire a même délégué quelqu’un à côté de ces agents de sécurité et avec la complicité du Conseil communal pour mener ces rackets. Aujourd’hui, ces gens ne font pas seulement le contrôle de vignette, mais ils font tout pour soutirer de l’argent aux populations et cela par tous les moyens. C’est illégal et c’est illégitime. Pour moi, le maire n’a pas joué son rôle, en tout cas pas de bonne manière et le Conseil communal est complice », nous a-t-il confié.
Le Conseil de la jeunesse dément et recadre
Joint par téléphone, le président du Conseil communal de Koro, Aboye Djimdé, dément formellement ces accusations. Mais, il estime plutôt qu’il y a une incompréhension. «Je réponds par oui ; ces pratiques existent et nous sommes au courant. Elles ont commencé il y a longtemps et c’est dû en partie à l’insécurité. Cependant, le fait de dire que nous avons encouragé cette pratique est loin d’être réel. Nous sommes à la mairie au nom de la population et nous ne serons en aucun cas complices d’une situation qui va à l’encontre de la même population. Cela n’est pas vrai. Nous sommes dans une stratégie beaucoup plus efficace qui n’est pas tout à fait comprise par certains. Pour nous, il est bien qu’il y ait le contrôle parce que nous sommes dans une situation d’insécurité et je pense que les forces de l’ordre sont là pour ça. Alors, nous avons encouragé ce contrôle afin de neutraliser tous les djihadistes et leurs complices. Cela permet d’identifier qui est qui et qui fait quoi. Sinon jamais, nous n’avons dit de sanctionner des gens parce qu’ils ne sont pas munis de pièces d’identité. Non ! Cela est faux. Nous sommes même en train de travailler à veiller sur ces salles pratiques de racket. Mais pour l’heure, nous sommes en train de chercher des preuves palpables pour saisir les autorités compétentes. En résumé : je démens formellement cette accusation. Le Conseil communal de la jeunesse n’est ni de prêt ni de loin d’accord avec cette pratique. Au contraire, nous combattons rigoureusement cette sale pratique avec tous les moyens légaux », a-t-il souligné.
Le CAJPD menace !
Du coté du Collectif des associations des jeunes du pays dogon (CAJPD), l’on ne compte pas croiser les bras face à une pratique dite honteuse : « Le CAJPD va farouchement combattre cette pratique honteuse qui consiste à sucer le sang de nos pauvres paysans. Toutes les brebis galeuses (allant des simples agents postés pour prendre les 2000 FCFA, au grands chefs qui les couvrent) impliquées dans ces rackets seront démasquées et un rapport sera adressé à qui de droit. Entre-temps, des investigations sont en cours pour réunir toutes les preuves. Une minorité d’agents cupides ne peut pas salir toute la corporation des FAMAs. Vous avez intérêts à cesser ces actes de déshonneur ou vous ferez face à la jeunesse », peut-on lire dans un communiqué du CAJPD publié la semaine dernière.
Amadou Kodio
Source : Ziré