Cependant, de transition en transition, le Mali n’a eu à ce jour ni d’Institutions fortes ni d’hommes forts capables de réaliser le bonheur collectif que les militaires, les libérateurs ont toujours fait miroiter au peuple en proie au mal vivre sous différents régimes politiques au Mali. Que d’occasions ratées de refondation véritable de l’Etat du Mali pour le développement socio-économique et sécuritaire au bénéfice des populations et résidents étrangers du pays. Ce constat éveille en nous la curiosité de chercher à comprendre les insuffisances des gestions faites par des acteurs civils et militaires des différentes transitions que le pays a connues de 1968 à 2020. Pour ce faire, nous nous interrogeons sur les pratiques des animateurs des transitions précédentes qui devaient incessamment stabiliser le pays et le mettre à l’abri d’autres ruptures mais sans succès. Car le coup d’Etat du 18 Août 2020 de la junte militaire contre le régime d’IBK illustre bien l’échec des successifs attelages politico-institutionnels issus des transitions passées et mis en œuvre par les autorités post-transitions pour une entrée réussie du pays en mode de gestion démocratique en principe antinomique de coups d’Etat militaires.
Tel un nouveau retour à la case départ pour le pays, la transition en gestation doit nous permettre de préparer un attelage politico-institutionnel suffisamment mûr afin que pour la prochaine entrée en démocratie pour notre pays soit la bonne pour le bonheur du peuple malien tout entier. Ainsi, on peut se poser la question suivante : Que doit-on retenir des transitions passées pour réussir la présente dans ce contexte de crises sans précédent pour le pays ? Il serait téméraire voire prétentieux de notre part de vouloir répondre de façon exhaustive à la question ci-dessus posée ici et maintenant à travers ce texte modeste contribution citoyenne pour une transition réussie dans notre pays. Cependant, la question ci-dessus posée peut nous permettre d’attirer l’attention des militaires et probablement des civils devant conduire l’historique transition de trop sur quelques problématiques majeures constatées dans les gestions faites des périodes exceptionnelles du pays en vue de contribuer à éviter ces écueils qui ont empêché lesdites gestions d’atteindre leur principal objectif : la construction d’un Mali démocratique et socialement viable. En 1968, la première problématique à laquelle furent confrontés les militaires putschistes du CMLN sous la direction de lieutenant Moussa a été la tenue de leur promesse de remettre le pouvoir aux civils après avoir mis de l’ordre dans les affaires publiques du pays.
En effet, les dix-neuf-novembristes n’ont pas pu lier leur acte à leur parole de militaire, c’est pourquoi ils ont fait vingt-trois ans de transition militaire d’abord puis militaro-civile de 1968 à 1991. Une si longue transition militaire qui, au demeurant, devrait pas être courte selon le lieutenant Moussa TRAORE, instituteur et homme de terroir, dont le règne fut jalonné d’atrocités innommables entre militaires eux-mêmes d’abord et contre des civils insoumis à l’autorité politico-militaire improvisée des gouvernants usurpateurs de pouvoirs publics sans aucune forme de redevabilité vis-à-vis du peuple malien. Les colonels putschistes du 18 Août 2020, vous devez être vigilants dans l’observation de votre promesse, en particulier, de remettre le pouvoir d’Etat aux civils, faite lors de votre première prise de parole publique à la radio et à la télévision du Mali. Car vous devez valoir votre parole au risque de décevoir les Maliens qui ont cru en vous sur parole malgré l’antécédent historique fâcheux de promesse militaire non tenue de lieutenant Moussa TRAORE en 1968. De la transition de 1991, nous pouvons convoquer la problématique relative au parti pris ou partialité politique d’acteurs civils et militaires majeurs de celle-ci dans la conduite des affaires publiques pour expliquer, avec recul, certaines insuffisances congénitales de notre démocratie naissante. Au nombre de ces insuffisances, nous pouvons citer les combines de certains acteurs du mouvement démocratique pour leurs ambitions personnelles au détriment de l’intérêt collectif du peuple dont le sacrifice a permis l’instauration de la démocratie comme mode de gestion publique du pays. Au lieu de travailler sérieusement pendant cette période exceptionnelle mais déterminante pour notre démocratie naissante en vue de lui conférer des bases juridico-institutionnelles réellement solides pour sa viabilité sociale, non, certains acteurs ont préféré emprunter le chemin de la facilité, de compromissions les conduisant à des jeux troubles et faciles de la poursuite d’intérêts partisans voire personnels. Deal, recyclage des structures de l’UDPM, truquage de résultats d’élections générales, achat de conscience, politisation de l’administration……. que sais-je encore, rien n’a été épargné par certains acteurs, non moins importants, de la transition de 1991 pour parvenir à leurs fins électoralistes en 1992 et d’autres de revenir aux affaires en tant que candidats indépendants à la faveur de nombreuses acrobaties politico-judiciaires lors des élections générales de 2002.
La victoire du candidat indépendant ATT à l’élection présidentielle de 2002 a participé à la fragilisation chronique des partis politiques et amplifié davantage le nomadisme des élus vers désormais des tenants de pouvoirs publics. Si vous voulez réussir la transition que vous avez occasionnée au Mali par votre putsch du 18 Août 2020, les membres du CNSP, vous devez être impartiaux et équidistants des différentes forces socio-politiques concurrentes ou adversaires qui seront en compétition ininterrompue pour le contrôle de pouvoirs publics au Mali avant, pendant et après les élections générales devant mettre fin à ladite transition. Pour y arriver, vous devez impérativement vous oublier vousmêmes pour ne pas faire de compromissions avec les acteurs politiques au détriment de l’intérêt du peuple malien pour vous aménager des plans de carrières post-transition comme vos devanciers putschistes de 1991 et 2012. De la transition de 2012, il est possible de retenir comme enseignement majeur de celle-ci la problématique cohabitation du coup d’Etat et la Constitution du 25 Février 1992. En 2012, le coup d’Etat avait plus émergé que la Constitution dans la conduite des actions de la transition d’alors c’est pourquoi nous avons assisté à toutes sortes de désordres socio-politiques débouchant sur des violences inqualifiables des manifestants militaires déguisés ou civils soutenus par des militaires contre le camp de la légalité constitutionnelle. Pour illustrer l’ampleur des manifestations violentes sans précèdent de 2012, nous pouvons faire cas de l’agression barbare du Président de la République Dioncounda TRAORE par des manifestants jusque dans son bureau à Koulouba. Aussi, nous devons mettre à l’index la précipitation et l’impréparation avec lesquelles les élections générales de 2013 furent organisées sans un début d’application réelle de l’accord préliminaire à l’élection présidentielle de Ouagadougou conformément au nom dudit accord car l’Etat du Mali devrait contrôler au préalable certaines parties du territoire national qui lui avaient échappées et en son temps toujours contrôlées par des forces rebelles et terroristes. Au regard des problématiques ci-dessus évoquées au compte de la transition de 2012, nous voulons attirer l’attention des acteurs militaires en particulier de la transition en préparation de procéder au préalable à la clarification des domaines et activités qui seront couverts par le coup d’Etat c’està-dire l’Acte Fondamental ou Charte de la transition et ceux qui relèveront de la Constitution du 25 Février 1992. Aussi, ils doivent éviter la précipitation et l’impréparation dans la conduite des différentes opérations de la transition devant être choisies conséquemment, cela voudrait dire en fonction d’un ordre prioritaire logique et d’un chronogramme d’exécution réaliste. Enfin, ne vous surestimez pas et surtout ne surévaluez pas le rôle de la transition que vous allez mettre en place ce temps-ci, car elle ne pourra pas tout construire à suffisance mais, plutôt, elle doit poser les jalons des digues d’Institutions fortes pouvant résister aux probables turbulences socio-politiques pour mettre fin au sempiternel cycle de coups d’Etat pour notre pays définitivement ancré en mode de gestion démocratique. Somme toute, tirer les enseignements des transitions précédentes du pays, cela est une obligation historique pour les acteurs de la présente période exceptionnelle afin qu’elle serve à mettre en place des institutions fondamentales fortes tant attendues par le peuple. Et conduites par des hommes d’Etat qui seront habités par le souci constant de construire des résistantes digues socio-économiques et culturelles contre toutes les éventuelles érosions socio-politiques crisogènes favorables aux coups d’Etat répétitifs dans notre pays.
La construction du Mali démocratique où le peuple tout entier peut bénéficier des fruits du travail collectif doit commencer par cette transition dont la réussite dépendra de : – la rigueur intellectuelle et morale de ses acteurs à lier leurs paroles aux actes à poser c’est-à-dire de faire ce qu’ils disent et de dire ce qu’ils font pour l’épanouissement du peuple qui souffre encore des affres des multiples crises du pays ; – la grande capacité patriotique de résistance des acteurs aux assauts répétés de leur propre égo d’abord en présence des délices du pouvoir et des sollicitations de courtisans plus orientés vers des fins personnelles que collectives ; – mettre en place des bases législatives et réglementaires consistantes pour le renforcement des partis et organisations de la société civile car il y va de la consolidation de la démocratie de notre pays ; – l’organisation des élections générales de fin de transition crédibles, transparentes permettant l’expression libre et véritable des urnes pour les choix des hommes et femmes que le peuple désire mettre aux commandes du pays pour l’intérêt collectif. ; La mise en place par la CEDEAO d’un mécanisme relatif à l’implication des armées de la sous-région dans le dénouement pacifique des conflits socio-politiques inhérents au vivre ensemble sous le mode de gestion démocratique des affaires publiques pour éviter des ruptures institutionnelles dans l’avenir au sein des pays membres.
Par M. Seydou CISSE, professeur de philosophie politique et morale à l’ENSup
Source : Sud Hebdo