Acclamés puis vilipendés. Les soldats français, qui avaient sauvé le régime malien des djihadistes en janvier 2013, ont définitivement quitté le pays lundi après-midi.
C’est la fin d’une des plus longues interventions extérieures de l’armée française, qui a empêché les djihadistes de reproduire au coeur de l’Afrique occidentale un califat islamiste sur le modèle des talibans en Afghanistan ou de Daech en Syrie. Mais qui aura coûté la vie à 59 soldats français, sur un total de 775 depuis 1960, et qui s’achève dans l’acrimonie.
Accusations de néo colonialisme
Sur fond d’accusations récurrentes de néocolonialisme envers l’ancienne métropole, les relations entre Bamako et Paris se sont dégradées depuis le second coup d’Etat de la junte militaire , en mai 2021. Le Mali, qui n’a plus d’ambassadeur à Paris depuis deux ans, a expulsé début février le représentant français à Bamako et demandé à l’armée française de quitter le pays « immédiatement ».
Paris et ses partenaires de la bande sahélo-saharienne (Mauritanie, Burkina Faso, Niger et Tchad) impliqués dans la lutte contre les djihadistes avaient jugé impossible, le 17 février, de continuer à coopérer avec la junte. L’armée française, qui avait commencé dès 2021 à réduire son engagement, monté à 5.500 hommes sur le terrain l’année précédente, faisait valoir qu’il faudrait un an pour évacuer en sécurité hommes et matériels. L’affaire a finalement été bouclée sans accrocs en cinq mois.
La junte a également coupé les ponts avec les autres pays occidentaux, notamment l’Allemagne et le Danemark, engagés dans la lutte anti-djihadiste, et certaines nations africaines (elle a emprisonné, en juillet, 49 soldats ivoiriens de la Minusma, la mission de l’ONU au Mali), pour se tourner vers les mercenaires russes de la force Wagner. Ses 800 combattants ne réussiront certainement pas à annihiler des djihadistes ayant survécu, malgré l’élimination de leurs chefs, aux efforts des forces françaises Serval, puis Barkhane.
Ils n’ont d’ailleurs pour seule mission que d’assurer la sécurité des chefs de la junte. Le groupe Wagner est réputé pour ses exactions sur les civils là où il est déjà déployé en Afrique centrale et en Libye, ainsi que pour les pillages, notamment d’or.
Paris ne se désengage pas du Sahel
« L’armée française va rester engagée au Sahel, dans le golfe de Guinée et la région du lac Tchad avec tous les partenaires attachés à la stabilité et à la lutte contre le terrorisme », a souligné l’Elysée lundi. Elle va ainsi redéployer une partie de son dispositif au Niger (1.000 hommes, drones, hélicoptères, avions de chasse). Le Tchad continuera à héberger une emprise française à N’Djamena et la France espère conserver un contingent de forces spéciales à Ouagadougou, la capitale burkinabé, malgré le coup d’Etat de l’an dernier. Paris propose aussi son appui aux pays riverains du golfe de Guinée. Mais le contingent français au Sahel sera divisé par deux, à 2.500 hommes en fin d’année.
La France n’avait pas intérêt à rester engagée longtemps au Mali au vu du coût humain et financier , de la « fatigue » de l’opinion publique française et de la montée d’un ressentiment local. On estimait toutefois à Paris jusqu’à l’an dernier, et en privé encore aujourd’hui, que le départ de l’armée française ouvrirait la voie aux djihadistes en raison de la faiblesse au combat de l’armée malienne, malgré l’assistance en armes, formation et argent occidental dont elle avait bénéficié.
Alain Antil, spécialiste du Sahel à l’Institut français des relations internationales (Ifri), estime que cette intervention a montré « les limites des grosses opérations, avec beaucoup d’hommes, beaucoup de présence sur le terrain et beaucoup de visibilité politique ». Le commandant de l’opération Barkhane, le général Laurent Michon, estimait pour sa part récemment auprès de l’AFP : « Nous allons vers davantage d’opérations de coopération, conditionnées de façon plus stricte aux demandes des pays africains, qui viendront en soutien de et non pas à la place de ».
Une quarantaine d’interventions en Afrique
La France est intervenue militairement à une quarantaine de reprises en Afrique depuis l’indépendance de ses colonies en 1960, au nom de la protection des populations civiles, ou de l’application d’accords bilatéraux de défense. Son armée constitue aussi, en collaboration avec des Etats-Unis très impliqués dans le renseignement aérien, un élément moteur d’opérations aux côtés de troupes africaines, occidentales ou de l’ONU contre les terroristes dans la bande du Sahel (« bordure », en arabe).
Les djihadistes, au nombre d’environ 2.000 mais très mobiles et se fondant dans un paysage désertique, font régner l’insécurité dans une zone grande comme l’Europe, notamment au Mali, au Niger, en Mauritanie, au Burkina Faso et au Tchad. Ce qui est, depuis une vingtaine d’années, rien de moins que la guerre « la plus vaste et sableuse du monde »…