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Quel avenir constitutionnel pour le Mali ?

Envisager l’avenir du Mali est une gageure qui tient de l’imprudence, car le pays ne s’est toujours pas extirpé du cycle continuel dans lequel il est pris depuis 1960. Les actes que les putschistes ont commis en un an et demi ont définitivement écrasé la Constitution de la IIIe République. En cela, ils ont imité leurs nombreux prédécesseurs. Mais leur œuvre de destruction touche aussi désormais leurs propres institutions, celles grâce auxquelles ils tiennent le pays. En comptant sur la défaite, à plus ou moins long terme, de la dictature militaire, nous pensons déjà au contenu d’une future Constitution. Cet exercice peut certes trouver sa limite dans l’optimisme un peu naïf qui l’anime, mais il a ceci d’intéressant qu’il met en lumière les fautes que la junte commet actuellement et qui annoncent, déjà, les difficultés à venir, notamment en matière de droit constitutionnel.

 

La mort de la Constitution de la IIIe République

Si la Constitution de 1992 demeure officiellement en vigueur, elle ne trouve plus à s’appliquer, supplantée qu’elle est par la Charte de la Transition, que la junte a créée au lendemain de son coup d’État et qu’elle a adoptée peu après, le 12 septembre 2020. Dès lors, l’article 26 de la Constitution de la IIIe République, qui dispose que « la souveraineté nationale appartient au peuple tout entier qui l’exerce par ses représentants ou par voie de référendum », n’est plus qu’une déclaration de bon sentiment. Rappelons en effet que ce document seul réglemente l’organisation de l’État depuis que les juges constitutionnels ont publié un arrêt, le 28 mai 2021, dans lequel ils se reconnaissaient compétents pour constater la vacance de la présidence de la Transition. Ce faisant, les Conseillers assimilaient la fonction de président de la Transition, telle que la prévoit la Charte, à celle de chef de l’État, telle que la définit la Constitution de la IIIe République. Cette décision suffisait à achever ce texte, moribond depuis plusieurs mois.

L’agonie de la Charte de la Transition

En arrivant au pouvoir, Assimi Goïta avait beau affirmer qu’il allait « organiser dans des délais raisonnables des élections générales pour permettre au Mali de se doter d’institutions fortes », en ce début 2022, ses promesses ne sont toujours pas tenues. Pire encore ! Si la junte suit la septième des quarante recommandations émises par les Assises nationales, les Maliens devraient encore attendre pour retourner aux urnes, puisque la durée de la Transition pourrait être allongée de six mois au moins, de cinq ans au plus ! Pour cela, réviser la Charte est nécessaire, mais rien de plus facile pour le colonel Goïta, car il peut recourir à l’article 21 de ce précieux texte, qui dispose que « l’initiative de la révision appartient concurremment au président de la Transition et des membres du Conseil national de la transition ». Cette manœuvre révèle au grand jour le projet de la junte : se maintenir au pouvoir. Cependant, pour elle, le risque est grand d’abîmer les précaires institutions qu’elle a imaginées, au premier rang desquelles la Charte de la Transition elle-même. Mais celle-ci n’est plus à une atteinte près : Assimi Goïta a déjà fragilisé sa crédibilité, par exemple en laissant vacant le siège de vice-président, en réduisant les fonctions du Premier ministre, ou en octroyant une prérogative régalienne à une force étrangère.

Le risque de l’ingérence russe

 

Il faut le dire d’emblée. Le Mali avait conclu jusqu’ici des accords militaires avec la France pour lutter contre le terrorisme. Les études d’impacts sur lesdits accords traduisent « une ingérence militaire » qui s’est avérée inefficace. En vérité, la coopération franco-malienne n’est pas arrivée à instaurer une stabilité sécuritaire durable. Elle a plutôt abouti à une instabilité chronique ayant conduit, récemment, le Mali a signé une coopération militaire avec la Russie qui risque de subir le même sort.

En effet, et bien qu’il s’en défende, l’État malien a passé un accord, fin 2021, avec une société militaire privée russe, le Groupe Wagner, qui emploie des mercenaires. Son but est de sécuriser le pays, menacé par l’islamisme. Mais ces aventuriers de l’Oural, ces têtes brûlées, se sont déjà fait remarquer en Afrique : ils forment les soldats de la République centrafricaine, en protègent la Présidence, et, en Libye, leurs méfaits sont reconnus. Cette organisation est donc très controversée. Il est vrai qu’elle semble agir pour son seul intérêt et la proximité entre ses dirigeants et le président de la Fédération de Russie, Vladimir Poutine, laisse envisager une emprise extérieure grave pour le Mali. La situation donne l’impression que « Wagner va […] aider [la junte] à rester au pouvoir et qu’elle va s’affranchir du cadre politique qui a été fixé par la communauté internationale ». Plus encore, nous pensons que le président de Transition, en laissant agir des hommes incontrôlables, délègue une partie de la souveraineté du Mali à une puissance étrangère. Il est à craindre que cette ingérence oblige Bamako à se plier aux volontés de Moscou et que le Mali perde son autonomie, cette autonomie qu’il voulait obtenir en gagnant son indépendance en 1960. Par ailleurs, du point de vue constitutionnel, il est inadmissible que les questions de défense et de sécurité soient assurées non par le vice-président, comme l’indique l’article 7 de la Charte, mais par une force occulte ou, pour ainsi dire, que le Président russe détienne les prérogatives de la vice-présidence malienne. Dès lors, il est légitime de se demander si parler de droit constitutionnel au Mali a finalement du sens.

 

Le Mali à l’heure de choix constitutionnels

 

Par définition, tout régime de transition n’est pas censé durer. Aussi, parce que « le sort des démocraties est lié, pour une large part, aux institutions qui donnent consistance et réalité aux valeurs qu’elles promeuvent », le moment viendra d’élaborer des textes rendant pérenne le Mali. Mais ce dernier aura-t-il encore assez de liberté pour décider de son avenir en matière constitutionnelle ? Sur lui, en effet, pèsent de très nombreuses contraintes. En 2013, Mohamed Salah Helali écrivait que le Mali « État défaillant désormais mis sous curatelle puis sous triple tutelle, celle de l’État français, de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest […] et de la MINUSMA onusienne ». Or, cette analyse reste la même en 2022 : le 11 janvier, par exemple, la CEDEAO a sanctionné le régime militaire, donc indirectement le peuple.

Par ailleurs, l’histoire a prouvé que les Constitutions des trois premières Républiques avaient été mal rédigées, qu’elles étaient des quasi-calques de la Constitution française de la Ve République. L’histoire africaine a aussi confirmé le danger produit par les révisions constitutionnelles, qui risquent de se transformer en pouvoir constituant originaire. Un renouvellement fort de la pensée, dans tous ses domaines, est donc impératif, comme l’a écrit Maurice Kamto dans l’Urgence de la pensée.

Enfin, à l’heure du choix, le droit constitutionnel malien devrait faire l’expérience de mesures inédites : un régime parlementaire, l’accès à l’instruction pour tous, la moralisation de la vie publique, l’instauration de la laïcité, le contrôle des lois révisant la Constitution, la décentralisation… Il lui faudra montrer qu’il est à la hauteur de ses aspirations.

Balla CISSÉ, docteur en droit public de l’Université Sorbonne-Paris-Nord ; diplômé en Administration électorale de l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne et avocat au Barreau de Paris.

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