Son physique est celui d’un bon athlète. Sa démarche renvoie à un technicien et un bon dribbleur. Les anciens auront compris qu’il s’agit de Kader Gueye, l’ancien attaquant du Djoliba AC, considéré par plusieurs observateurs avisés comme le plus grand dribbleur de l’histoire du football malien. De Saint Louis (Sénégal) à Bamako, en passant par Kayes, il a créé la sensation partout où il est passé. Dommage que sa carrière fût écourtée par un coup du sort privant le monde sportif de merveilleux moments de régal dont lui seul, Kader, avait le secret. Que s’est-il passé ? Qui est Kader Gueye ? Découvrons ensemble les pérégrinations de la carrière de notre héros du jour.
Pour l’une des rares fois, nous commençons par présenter nos excuses à nos fidèles lecteurs, pour une erreur. En effet, nous avions écrit la semaine dernière vers la fin de l’article sur Mohamed Djilla que son homonyme a évolué à l’As Réal de Bamako. Il fallait plutôt lire le Centre Salif Keïta, son club formateur. L’erreur est humaine, nous demandons plus d’indulgence à nos fidèles lecteurs. Sinon l’histoire est très récente, pour que nous mélangions les pédales.
Le geste de cœur de Bagadadji Moussa
Pour rencontrer notre héros du jour, Kader Guèye, nous n’avons pas fourni assez d’efforts. Il est l’intime ami de Modibo Doumbia. C’est chez Modibo 10 que nous l’avons trouvé pour réaliser son interview. Puisque l’article sur Seydou Traoré dit Guatigui a défrayé la chronique, Kader Guèye commença par une histoire concernant l’ancien gardien de but de l’As Réal et de l’équipe nationale du Mali. Cela a l’allure d’une anecdote : « Un après-midi, je suis parti avec mon ami Modibo 10 chez feu Moussa Traoré dit Bagadadji Moussa. Quand le prêcheur nous a reçus, il s’est empressé de demander les nouvelles de Guatigui dont le cas le préoccupait. Je lui ai dit que nous venons de le dépasser à côté de sa fontaine. Et s’il tenait à le voir, je l’amènerais dans les quinze minutes qui suivent. Nous sommes retournés voir l’ancien gardien. Je lui ai dit d’aller avec Modibo 10 et entre temps je me suis occupé de la gestion de sa fontaine. Bagadadji Moussa a dit à Guatigui qu’il est de cœur avec lui et de se résigner parce que tout dépend du Bon Dieu. Il lui donna ensuite beaucoup d’argent. Nous étions tous contents ce jour. Il faut que je fasse ce témoignage avant de commencer l’entretien. Tous les anciens joueurs sont dans le même bateau ».
Nos ainés nous ont enseignés que Kader Guèye était un excellent joueur, doté d’une technicité extraordinaire. C’est-à-dire que nous ne l’avons pas vu jouer au sens réel du terme. Cependant, nous gardons une image de lui, qui date de 1979 à l’occasion de la 19éme édition de la finale de la Coupe du Mali qui a opposé le Djoliba au Stade malien de Bamako. Ce jour-là, juste avant le coup d’envoi, Kader Guèye émerveillait le public avec une séance de jonglage. Un monsieur, venu lui retirer le ballon, l’invita à rejoindre les vestiaires. Apparemment, il lui a dit que le président Moussa Traoré était en route. Mais cela ne semblait rien dire à Kader Guèye dont le seul désir était de démontrer qu’il demeurait ce fin technicien du football malien. Il n’a pas apprécié l’attitude du monsieur, de même que nous qui prenions goût à ces jonglages. Plus de trois décennies après, Kader Guèye se rappelle la scène.
Fils d’un commerçant sénégalais qui évoluait entre Saint Louis et Kayes, Kader Guèye est né le 8 mars 1948 dans la Cité des rails (Kayes). Son père a acheté une maison à Kayes pour stabiliser son commerce. C’est ainsi que Kader Guèye et ses frères, Maguette Guèye et Lat Guèye, y sont installés. L’autre partie de la famille est restée à Dakar. Le « Vieux » faisait la navette.
Un jongleur hors pair
Quelques années après, Kader Guèye est rentré à Dakar pour rejoindre la grande famille. Sa mère étant décédée, il est confié à sa tante Doussouba Tounkara. A Dakar, il est inscrit à l’école, mais il finira par abandonner. Il s’occupait des travaux domestiques, parce que tous ses frères étaient petits. A l’instar de tous les enfants d’Afrique, mordus de football, le jeune Kader et ses amis ont dans le quartier une équipe du nom de l’AS Cosmos. Jusque-là, il est un excellent gardien de but. Les bailleurs de circonstance du Foyer France-Sénégal le transfèrent dans leur club.
Un an après, il déménage à Saint Louis pour voir la tombe de sa mère et faire la connaissance de ses oncles maternels. L’équipe du Réveil Club de Saint Louis le copta pour relever le défi qui s’imposait, à travers les compétitions inter ligues.
Au cours d’une séance d’entrainement, avant l’arrivée du préparateur physique, l’entraineur surprend Kader Guèye en train de jongler le ballon, comme un pensionnaire du centre de formation de Sao Polo au Brésil. Ce jour-là, il décida de permuter son gardien, en lui confiant le couloir gauche. Kader Guèye créa la sensation et mit une croix sur son poste de gardien de but. A son nouveau poste, il joua le championnat national et la Coupe du Sénégal.
En 1970, son grand frère Lat Guèye est allé le chercher et de nouveau il rejoignit Kayes. La nouvelle de l’arrivée d’un Sénégalais pétri de talents dans la capitale des rails fit le tour de la ville. Kader Guèye avait déjà effectué deux séances d’entrainement avec l’Etoile Filante de Kayes. Ce club, jadis abandonné par les dirigeants, est devenu l’équipe chouchou de la ville, grâce au génie Kader Guèye. Son grand frère, Lat Guèye, devient le président du club. L’Etoile Filante rafle toutes les coupes de la région.
En 1971, à la fin d’un match de championnat inter ligues entre l’Etoile Filante et l’AS Réal, un supporter du Stade malien de Bamako résidant à Kayes profite du retour des Scorpions pour embarquer Kader Guèye. Il appelle les dirigeants du Stade afin qu’ils accueillent l’enfant de Saint Louis. Problème : arrivé à Bamako, les Stadistes ne sont pas là pour l’accueillir. Parce que le train a pris du retard et en plus le club préparait un match de Coupe d’Afrique. Tiéba Coulibaly, qui était le délégué du match de Kayes, a compris que Kader Guèye était dans l’angoisse totale. Il s’occupa de lui en l’amenant chez lui à N’Tomikorobougou. A la question de savoir si le dirigeant djolibiste a tenté de le détourner en cours de route, Kader Guèye soutient qu’il ne lui a rien dit à propos du Djoliba. Le vieux lui a tout simplement demandé les informations sur son frère ainé du nom de Fodé Sissoko.
Une fois chez Tiéba Coulibaly, Kader se débarbouilla pour être conduit au domicile de son frère. Celui-ci l’amena le lendemain au terrain d’entrainement du Stade malien, pour faire des remontrances aux dirigeants du club pour leur attitude peu convenante. Devenu du coup l’acolyte de Mamadou Diakité dit Doudou, Kader Guèye se fit beaucoup d’argent le premier jour d’entrainement. Mais il ne restera pas plus de quarante-huit heures à Bamako, la cité des rails lui manquait. Il décida de rentrer, avant d’être rappelé par les dirigeants des Blancs.
300 000 F maliens, trois costumes
Mais sur le tronçon, il croisa, à Toukoto, Cheickna Hamala Bathily qui lui fit une proposition alléchante : 300 000 F maliens, trois costumes. Cette promesse avait forcément balancé le cœur du jeune Kader Guèye. Arrivé à Bamako, il rendit compte à son frère qui l’amena immédiatement au Djoliba. Pour ne pas le perdre pour de bon, Tiéba Coulibaly, Kéké et Tiécoro Bagayoko lui demandèrent ses conditions. Très sûr de ses qualités, Kader Guèye se rappelle avoir dit aux dirigeants qu’il serait mieux qu’on le teste avant de conclure quoique ce soit. Comme on pouvait s’y attendre, la première séance d’entrainement a mis fin au suspense et voilà Kader Guèye joueur du Djoliba avec les honneurs. Il venait d’envoyer le défenseur Mamadou Keïta dans les rails, à qui les supporters ont rappelé que cet endroit est réservé aux trains.
A partir de cette date, il est de toutes les campagnes du Djoliba et remporte trois coupes du Mali : 1973-1974-1975.
Trois fractures, fin de carrière !
Son premier malheur, sous la forme d’une fracture du pied, lui arriva le 18 mai 1974 en éliminatoires de la Coupe d’Afrique des clubs champions, contre le Bendel Insurance du Nigéria. Kader Guèye suit les traitements appropriés et les séances de rééducation pendant quelques mois. Il reprend service et continue à amuser les spectateurs par ses gris-gris. Une seconde fois, il est victime d’une fracture sur le même pied, plus exactement le 11 avril 1976. Deuxième coup dur pour le jeune prodige de Dakar, de Saint-Louis, de Kayes et de Bamako. Heureusement que le puissant directeur des Services de Sécurité, Tiecoro Bagyoko, est toujours là pour le bonheur du Djoliba. Il l’envoie en France pour un traitement à la Clinique Pasteur de Passy 16ème Arrondissement.
Finalement, Kader Guèye a fini par comprendre que son destin était ailleurs que sur un terrain de football. La raison de cette résignation : il a subi une troisième fracture un an après son retour de la France, suite à un accrochage avec Bakary Traoré dit Alliance Bakary, au cours d’un match amical. Fin de carrière.
Durant son récit et jusqu’à la troisième fracture, l’homme n’a pas fait allusion d’un quelconque passage en équipe nationale. Et c’est là où nous avons profité d’une ouverture pour glisser la question de savoir s’il a été sélectionné une fois en équipe nationale ? Kader Guèye, surpris par notre question, nous rassura que dans sa narration, c’est de façon délibérée qu’il a classé son parcours en deux phases : son temps au Djoliba et avec les Aigles de 1971 à 1976, après sa deuxième blessure. Et la CAN de Yaoundé 1972 ? Kader Guèye avoue que c’est à cause de son indiscipline qu’il n’a pas été retenu pour le voyage du Cameroun.
Malgré le fait qu’il n’a pas eu une longue et riche carrière comme promettait logiquement son talent, Kader Guèye retient, comme temps fort, ce but qu’il a marqué contre la Tunisie sur un centre de Moussa Traoré dit Gigla et tous ces voyages dans le cadre des rencontres des Aigles.
Ses mauvais souvenirs ne peuvent être que ses durs moments de fractures.
Selon lui, l’argent ne comptait pas trop pour lui. Sa génération avait un seul souci : l’amour de la patrie.
Le football l’a-t-il servi ? L’enfant de Saint-Louis témoigne : « Je ne pourrai en aucune manière dire que le football ne m’a pas servi. On m’a donné du boulot dans trois entreprises différentes : l’Inps, la Régie des Chemins de Fer et le Garage Administratif. En réalité, je ne travaillais pas, je ne prenais que mon salaire pour ensuite disparaitre. J’étais une vedette et pour moi tout s’arrêtait là. Malheureusement, je ne me suis même pas occupé des aspects administratifs pour bénéficier aujourd’hui d’une pension ».
O. Roger Sissoko
Aujourd’hui-Mali