La voix suave de Mme Faye Fatoumata Berthé, pleine de gentillesse et de courtoisie nous a tellement séduits, que nous étions pressés de la rencontrer. Et quand elle est venue nous accueillir à la porte de son domicile, sis à Missira, l’ambiance s’est vite créée comme si nous nous connaissions depuis des années. Très sincèrement, à l’image d’Aminata Coulibaly dite Waraba 10, Fatoumata Berthé dite L’Homme, par son accueil chaleureux, nous encourage à continuer à animer avec courage et abnégation notre rubrique commune “Que sont-ils devenus ?”. L’ancienne internationale de basket-ball et d’athlétisme du Stade malien de Bamako n’a rien perdu de la vivacité qui l’a révélée et propulsée au-devant de la scène au début des années 1980 dans le Pavillon du stade Omnisports. Elle n’avait alors que 16 ans. Flash-back sur le parcours d’une ancienne gloire du basketball malien.
Pour l’une des rares fois, nous avons révélé à notre héroïne un aspect important dans l’animation de notre rubrique ou tout simplement dans le travail journalistique.
Nous lui avons dit que le journaliste se renseigne toujours d’abord sur une personne avant de la rencontrer. L’Homme a vite compris que nous connaissions beaucoup de choses sur sa carrière sportive. Elle en était éblouie.
Une fille surnommée “L’Homme”
La transition était alors toute trouvée pour savoir avec Fatoumata Berthé comment une femme pouvait être surnommée “L’Homme” ? C’est à l’école primaire que notre héroïne a pris ce sobriquet, pour la simple raison qu’elle ne se bagarrait qu’avec les garçons. Un jour, pendant la récréation, au retour d’une commission de la maîtresse de classe, un petit garçon lui retira le sandwich qu’elle tenait en main. Fatoumata Berthé ne lui donnera pas le temps de s’enfuir. Elle le tacle pour ensuite lui infliger une correction dont il se souviendra longtemps.
Convoqués à la direction de l’école pour s’expliquer, les deux protagonistes se retrouvèrent devant la maîtresse. Celle-ci, estomaquée par le style de Fatoumata Berthé (tête garçonnée), et son agressivité même devant les garçons la surnomma L’Homme. Depuis lors, ce surnom lui colle à la peau, jusque dans la famille Faye où elle est mariée. Elle est aujourd’hui mère de cinq enfants.
Elle a admiré le basket-ball par la fréquentation du stade Omnisports. Sa grand-mère y était logée, et elle passait plus de temps auprès de cette vieille. Bien lui en prit, car ce penchant pour la balle au panier au début des années 1980 va donner un sens à sa vie. Le Stade malien de Bamako, la seule équipe qu’elle a connue, l’a vue grandir sous la toile du doyen Amadou Daouda Sall et Dramane Coulibaly dit Draba. Vivacité, contre-attaque et lancer franc étaient ses spécialités.
Dans les ultimes minutes, le seul fait que Fatoumata Berthé saisisse le ballon contribuait à enflammer la salle. Surtout lorsque le Stade tenait le bon bout. Sa carrière de haut niveau dans la famille Blanche a duré de 1985 à 1999, soit 14 ans. Elle n’a pas attendu trop longtemps pour s’inviter en équipe nationale la même année de sa montée au Stade malien de Bamako.
A son actif : dix coupes du Mali et de titres de champion cumulés, 11 années de carrière internationale pour 3 championnats d’Afrique féminins, une phase finale des Jeux de la Francophonie et une multitude de tournois internationaux avec son club et le COB.
“Je suis ‘Blanc’, je le reste” !
Détentrice d’un Cap, option secrétariat, les dirigeants du Stade lui ont trouvé un emploi aux Ets Bèsago de Diaby Gassama au lendemain de son refus d’accéder aux propositions du Djoliba. Les Djolibistes l’avaient approchée en 1991 pour l’enrôler. Quelles étaient les propositions de l’équipe rivale du Stade ? Pourquoi L’Homme a-t-elle décliné l’offre ? Elle s’en souvient : “Cette tentative de débauchage des Djolibistes est intervenue en 1991, au moment même où je tenais l’équipe du Stade en main. Le président de la section basket-ball du Djoliba a fait des propositions concrètes : une parcelle, une moto Piaggio, plus un million, un emploi, un salaire mensuel de 200 000 FCFA. J’ai dit non parce que le Stade malien est mon équipe de cœur, mais aussi pour respecter l’idéal de mon mentor Aïssata Guinto, qui m’a beaucoup soutenue dans ma progression. Pour éviter les pressions des dirigeants, j’ai déménagé chez ma grand-mère. Après, j’ai rapporté au président du Stade ce qui s’est passé, il a été reconnaissant et compréhensif à mon égard. Certes, mon équipe n’avait pas les moyens de faire dans l’immédiat autant que ce que le Djoliba me proposait, mais le président s’est engagé pour me trouver un boulot”.
Au cours de notre entretien, nous avons découvert une autre face cachée de Fatoumata Berthé, c’est-à-dire son statut d’athlète avec spécialités sur la piste les 800 et 400 m et le relais 4 x 400 mètres, le saut en longueur. Nous l’avons connue en tant que basketteuse, et nulle autre discipline sportive. Pourtant, elle a été aussi une athlète de haut niveau au Stade et en équipe nationale avec lesquels elle a participé au championnat d’Afrique d’athlétisme tenu au Nigéria en 1986, à quatre tournois de solidarité respectivement au Burkina Faso (1994 et 1995), au Niger (1996) et au Bénin (1999).
Comment elle a pu pratiquer les deux disciplines, qui demandent chacune des efforts parce qu’il lui arrivait de quitter une compétition d’athlétisme à 18 h, juste le temps de se débarbouiller, manger et mettre le cap sur le Pavillon des sports pour animer la salle de basket-ball ? Avait-elle un secret ?
Fatoumata Berthé soutient que sa vie était bien organisée, et elle avait la volonté de pratiquer et de réussir dans les deux disciplines, pour faire honneur au drapeau national et au Stade malien de Bamako.
A chacun son destin !
Comme mauvais souvenir, elle se rappelle d’un fait qui aurait pu donner une autre dimension à sa carrière sportive : “Un expert anglais est venu au Mali en 1991 pour former les arbitres, les entraîneurs, les anciens joueurs. Pour mieux accentuer ses cours de théories, il m’utilisait comme cobaye à travers les dribbles, les passes et autres mouvements. A la fin du stage, l’expert m’a promis un centre de formation en Angleterre. Donc, une semaine après son départ, il devait m’envoyer une invitation. Tout cela s’est passé devant Kandé Sy. Effectivement, il a envoyé l’invitation et la lettre a atterri à la Fédération malienne de basket-ball, et personne ne m’a informée. C’est par hasard que je suis partie à la Fédération pour toucher ma prime, et là je vois une enveloppe sur le bureau portant mon nom. J’ai posé la question de savoir comment cela a pu arriver ? Personne ne m’a répondue. Néanmoins, j’ai pris la lettre pour mon beau-frère qui travaillait à l’ambassade américaine. Celui-ci m’informa que la correspondance devrait être répondue une semaine après sa réception. Malheureusement, cela faisait pratiquement un mois que j’avais reçu la convocation. J’ai quand même envoyé ma réponse. Dommage, la lettre me fut retournée sans autre forme de commentaire. Cette réaction des Anglais concluait tout. Cela m’a fait mal, parce que je ne pouvais pas imaginer qu’entre nous Maliens, de tels comportements inqualifiables étaient possibles. J’ai pris les choses avec philosophie et continué ma vie et ma carrière normalement jusqu’à ma retraite”.
Après le mariage de L’Homme, l’entraineur du Stade d’alors, Cheick Oumar Sissoko “Yankee” est allé voir sa belle-famille afin qu’on autorise sa meilleure joueuse à continuer la pratique du basket-ball. Le mari, M. Faye n’a posé aucun problème. Mais en 1999, avec 3 enfants dont des jumeaux, Fatoumata Berthé a pris sa retraite pour se consacrer à son foyer. Elle reste néanmoins attachée à la discipline, et était membre du dernier bureau de la Ligue de Bamako que dirigeait Sérigne Thiam.
Le basket-ball a-t-il eu un impact positif sur sa vie, autrement dit a-t-elle bénéficié des retombées conséquentes ? A ce niveau, notre héroïne affirme avoir gagné plus dans les relations créées par la discipline, et en plus elle s’est fait un renom qui lui facilite beaucoup de situations partout où elle va. Selon elle, c’est le côté moral satisfaisant qui l’enchante le plus. Quand on sait qu’en leur temps les primes de matches n’étaient pas aussi conséquentes comme aujourd’hui. Juste des montants d’encouragement et les gestes de certains dirigeants et supporters.
Notre entretien avec L’Homme a commencé dans une ambiance tellement amicale que nous avions omis de lui demander comment elle a fait ses premiers pas dans la discipline ? Quand on sait qu’à 11 ans déjà c’est la période propice pour les jeunes filles de gambader dans les rues, pour faire des jeux de chandelles. Fatoumata Berthé rebondira sur la question et rassurera que le plus important pour elle à l’époque constituait l’amour et son désir pour le basket-ball. Tout s’est joué à ce niveau. Comment ? Elle s’est trouvée dans un dilemme quand sa maman lui a sèchement dit de s’éloigner du basket-ball parce qu’à son avis, le sport est l’affaire des hommes. Désobéir à sa mère ou se priver d’un désir ? Elle trouva l’idée géniale de s’entraîner à 15 h avec les petits garçons, et rejoindre ensuite sa grand-mère comme si de rien n’était.
Un jour, “L’Homme” est repérée par l’infatigable Amadou Daouda Sall, qui l’encouragea dans sa démarche. Fatoumata Berthé n’était pas enchantée par la main tendue de Sall. Mais le vieux qui ne cessait de la cajoler réussira à l’embarquer dans son bateau. Il l’affectera au groupe B du Stade malien de Bamako, en compagnie des Mastan Diallo, Coumba Sy, Oumou Traoré, Binta Konaté. A ce niveau, cette pépinière jouait bien son rôle. Autrement dit, Amadou Daouda Sall faisait évoluer des éléments du groupe B, pour compléter les ainées.
La surveillance stricte d’Aïssata Guinto, et la patience du vieux Sall feront de L’Homme une basketteuse sur laquelle on pouvait compter.
En 1984, elle intègre l’équipe type du Stade, et devient un an après une relève sûre sous la coupe de feu Dramane Coulibaly dit Draba. Parce que la famille Blanche est victime d’un clash : Sali Dembélé se marie, Fouky s’envole pour la Côte d’Ivoire, Guinto entreprend des études en ex-URSS. Bref, le trio infernal est disloqué. Pour éviter les dégâts et empêcher une démotivation dans le groupe, les Tchoutchou, Mariam Diarra “Bozo”, Koura Traoré se chargent de prendre le relais, en assistant à leur tour leurs cadettes. A l’époque, le Stade gagnait, mais le Djoliba lui damait toujours le pion. Progressivement “L’Homme” tissera sa toile et se fera une place dans l’histoire du basket-ball et de l’athlétisme maliens.
A présent, elle demeure attachée à son club. La preuve, quand nous avions pris rendez-vous avec elle pour parler de sa vie sportive, liée au Stade malien, elle nous a accueillis tout de blanc vêtue. Une manière, selon elle, de nous démontrer que le Stade malien est son club de cœur. Cela s’appelle amour du club dans le sang.
O. Roger Sissoko
Source: Aujourd’hui-Mali