Jusqu’au bout, le procès de Simone Gbagbo aura réservé bien des surprises. Poursuivie pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité, l’ancienne première dame était jugée pour sa responsabilité supposée dans des violences liées à la guerre civile de 2011, qui a fait quelque 3 000 morts en Côte d’Ivoire. Elle a été acquittée ce mardi 28 mars. L’issue de ce nouvel épisode judiciaire – l’épouse de Laurent Gbagbo purge déjà une peine de prison pour « atteinte à la sureté de l’État » – était plutôt inattendue. Certes, ces 10 longs mois de procès ont été émaillés d’accrocs : retrait d’organisations de défense des victimes dès l’ouverture, reports d’audience, boycott des avocats de la défense… Mais ces derniers jours n’auguraient pas un tel verdict. À cet égard, le site d’info ivoirien L’Infodromeévoque un « coup de théâtre ».
La défense quasi absente du procès
« Cette décision apparait comme un véritable coup de théâtre tant la défense de l’ex-Première dame s’était estimée lésée tout au long de cette procédure. Aly Yéo, le procureur, avait par ailleurs requis une peine d’emprisonnement à vie contre l’épouse de Laurent Gbagbo », écrit Abraham Kouassi dans L’Infodrome, titre abidjanais plutôt réputé pour viser la neutralité dans un paysage médiatique marqué par la presse partisane.
En novembre, la défense décidait en effet de déserter la cour, après que cette dernière eut refusé de citer certains témoins à comparaître. Des avocats commis d’office furent alors désignés, lesquels jetèrent l’éponge à leur tour, mi-mars, arguant d’irrégularités dans la composition de la cour. De fait, à la veille du verdict, les avocats de la défense étaient absents. Seules les plaidoiries de la partie civile ont pu être entendues. L’Infodrome en livre une synthèse sous la plume de Cyril Djedjed. Il relate que parmi les cinq avocats à prendre la parole ce lundi 27 mars, « Me Coulibaly Soungalo, a demandé au Parquet général de requérir une peine sévère contre l’ex-première dame de Côte d’Ivoire car elle est une ”stratège de guerre” ». Cet avocat dépeint l’accusée comme l’« auteur intellectuelle des faits », celle qui incite, qui a de l’ « emprise » sur les partisans, qui va acheter des armes jusqu’en Israël ou fait « entrer des jeunes à la gendarmerie, à la police et dans l’armée ». Un autre avocat, Me Diomandé Vafougbé, insiste sur son poids politique. « Mme Gbagbo a reçu 44 fois le ministre des Finances. Son mari 13 fois. Elle a reçu 37 fois le ministre de la Défense, son mari Laurent Gbagbo 8 fois. (…) Il lui suffisait de lancer un mot d’ordre allant dans le sens de l’arrêt des atrocités, des violences, pour que cela se fasse. Mais, elle ne l’a pas fait », a-t-il plaidé, avant de dénoncer un silence « coupable ».
L’acquittement ou le choix de la « logique »
En dépit de la charge de ces plaidoiries et de la réquisition du procureur général à une condamnation à la prison à vie, Simone Gbagbo a donc été acquittée. L’accusation n’a pas pu apporter de preuves suffisantes de son implication dans ces faits en particulier : tirs d’obus sur le marché d’Abobo à Abidjan en novembre 2011 et participation à une cellule qui organisait des attaques menées par des milices et militaires proches du régime de son époux Laurent Gbagbo.
Aussi le verdict de la cour apparaît-il aux yeux de l’éditorialiste du site guinéen Le Djely, Boubacar Sanso Barry, comme « une décision des plus logiques ». La partie civile et le ministère public, explique-t-il, « sont restés sur des approximations, des suppositions et des procès d’intention. (…). Dans le meilleur des cas, ils se sont bornés à évoquer sa présence dans des réunions avec les éléments du dispositif de sécurité qui entourait Laurent Gbagbo ou des contacts qu’elle aurait eus avec des marchands d’armes. Le reste n’était que des déductions et des raccourcis qui n’auront pas bluffé les juges. Son acquittement est donc dans l’ordre normal des choses. Et c’est une humiliation pour le pouvoir ivoirien, vu toute l’énergie et la propagande médiatique qui avaient été mises en branle pour présenter Simone Gbagbo comme l’incarnation de Satan. »
s à Laurent Gbagbo, ou « se sont empêtrés dans une confusion monumentale, à faire douter du professionnalisme des juges de la haute juridiction internationale. »
Le Pays abonde dans ce sens. « Simone et Laurent sont tous les deux poursuivis pour crimes contre l’humanité. Si aujourd’hui, la Cour d’assises d’Abidjan a estimé que le dossier de l’épouse est vide alors que la partie civile a eu toute la latitude de parcourir le pays en long et en large pour réunir les éléments de la culpabilité de l’ex-première dame, l’on peut imaginer la difficulté qu’aura la procureure de la CPI, à convaincre les juges de la Haye quant à l’implication de Laurent Gbagbo dans les crimes liés à la crise post-électorale et ce, d’autant plus que ses visites en RCI, dans le cadre des enquêtes préliminaires, ont été rarissimes. Les mêmes causes produisant les mêmes effets, les avocats de Laurent Gbagbo pourront, dès lors, demander l’acquittement de leur client pour manque de preuves. »
Simone Gbagbo toujours réclamée par la CPI
Pour l’heure, rien de tel ne se profile. La CPI rappelle de surcroît que Simone Gbagbo est toujours poursuivie pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité. Jusque-là, les autorités ivoiriennes ont refusé de l’extrader à La Haye, faisant en sorte de pouvoir juger l’ex-première dame en Côte d’Ivoire. Le procès de Simone Gbagbo a ainsi permis aux autorités ivoiriennes d’invoquer l’irrecevabilité de la requête de la CPI. Selon le Statut de Rome, en effet, la CPI ne peut juger une personne qui a déjà « été jugée pour le comportement faisant objet de la plainte » (article 17). Joint par Le Point Afrique, le porte-parole de l’instance pénale internationale Fadi el-Abdallah explique cependant qu’il revient à la Cour de juger de se prononcer sur ce point. « La recevabilité d’une affaire ne peut être contestée qu’une fois devant la Cour. Cependant, « dans des circonstances exceptionnelles, la Cour peut autoriser qu’une exception soit soulevée plus d’une fois ou à une phase ultérieure du procès. » Il reviendra aux juges de la CPI de décider en la matière le cas échéant si une telle demande est soulevée à nouveau », souligne-t-il. Il précise que les juges de la CPI avaient déjà « rejeté cette demande considérant que les paramètres factuels et la nature des crimes poursuivis devant la CPI étaient différents de ceux devant la justice nationale. »
Le feuilleton judiciaire n’est donc pas près de se terminer. Quant à sa portée sur la réconciliation nationale, elle est aussi conditionnée aux poursuites visant des responsables politiques et militaires pro-Ouatta. Certains ont été inculpés par la Cellule spéciale d’enquête et d’instruction de la Côte d’Ivoire, mais aucun procès n’est en vue. Quant à l’enquête de la CPI sur les crimes commis par des commandants pro-Ouatta durant la guerre civile de 2011, elle n’a pas encore abouti à l’émission de mandat d’arrêt, relève Human Rights Watch.
Source: lepoint