Pulchérie Gbalet, initiatrice de gilet Orange, a été la première
activiste de la société civile à dénoncer et appeler à dire non au
troisième mandat d’Alassane Ouattara. Malgré son séjour carcéral
pour ses opinions et prises de position, Pulchérie Gbalet continue de
dénoncer et de décrier la gestion actuelle du pouvoir d’Abidjan. Dans
cette interview qu’elle a bien voulu nous accorder, elle parle sans
détour des sujets brûlant de l’actualité ivoirienne.
Pulchérie Gbalet, le procureur de la République, alors que tous
appellent à un dialogue politique pour tracer les sillons de la
réconciliation vraie, annonce des poursuites à l’égard de certains
leaders politiques, quelle analyse en faites-vous?
Relativement à la sortie du procureur menaçant les responsables de
l’opposition d’arrestation ; vu le contexte et le timing, nous pensons qu’il faut
sauver le soldat » Adou ! » Car à notre humble avis, il rame à contre-courant.
Non seulement c’est inopportun par rapport à la réconciliation et à la réussite
du dialogue politique en vue, mais la justice devrait être impartiale et
considérée comme un moyen déterminant au service du dialogue politique, il
ne faut pas les opposer. Si notre « soldat Adou Richard » veut bien faire son
travail, qu’il commence par condamner celui qui est la base de la
désobéissance civile, notamment son Patron, le chef de l’Etat qui a violé la
Constitution avec son troisième mandat. Il y a par ailleurs les coupables des
3000 morts de la crise post-électorale de 2010 dont on ne connaît toujours
pas les coupables, puisque le président Gbagbo et Blé Goudé ont été
acquittés. Il faut vraiment « sauver le soldat Adou » !
Des opérations de déguerpissements ont eu lieu çà et là causant de
nombreux désagréments au sein des populations, qui estiment que
leur droit ont été violé, qu’elles ont même été abusées. Est-ce que les
normes ont été respectées?
Pas du tout. On assiste à deux types de déguerpissements, il y en a qui sont
faits dans un cadre formel, comme celui des personnes impactées par le
projet du métro d’Abidjan. Il entre dans le cadre des principes pilotés selon
les normes. Et les normes, c’est quand on veut libérer un site pour l’affecter à
un projet, on réalise ce qu’on appelle l’étude d’impact environnemental et
social. Dans le cadre de cette étude, on évalue les impacts sociaux. Dans le
cadre de ces impacts, on organise des réunions publiques avec toutes les
personnes concernées qui sont dans la zone d’influence directe et indirecte du
projet pour les informer du projet et leur dire les conditions qui vont régir
leur déplacement. C’est après cette réunion publique qu’on fait ensuite les
enquêtes pour recenser toutes les personnes concernées. Tous ceux qui
occupent l’emprise d’une manière ou d’une autre.
Après cela, il y a une évaluation des biens qui est fait par le ministère de la
Construction pour les bâtis, par le ministère de l’Agriculture pour les
plantations et souvent le ministère de l’Economie pour les activités
économiques. C’est à l’issue de tout ce recensement et des évaluations qu’un
barème d’indemnisation est proposé aux populations. Et dans les principes, la
personne déplacée ne doit pas avoir un niveau de vie inférieur au précédent.
Mais quand le nombre de personnes affectées par le projet est élevé très
souvent au-dessus de 200 personnes, un plan d’action de réinstallation est
envisagé. C’est dans ce plan d’action de réinstallation qu’on définit toutes les
mesures d’indemnisation. Après cela, on rencontre les populations pour leur
dire la valeur des indemnisations.
Mais comment est-ce que cela peut être possible ? Comment se fait-il
qu’un maire puisse venir détruire une maison, etc. ?
Mais c’est parce qu’il y a du désordre dans ce pays. On ne respecte aucun
principe, depuis la Constitution jusqu’aux dernières lois, on ne respecte rien.
Sinon quand on prend le cas de Yopougon Banco, ils ont été éligibles à un
projet de redressement. Le ministère de la Construction a lancé un appel
d’offres pour sélectionner, selon des critères bien définis, des quartiers qui
allaient être redressés et ils ont été éligibles. Et le ministère était dans la
procédure. Le ministère demande de faire des enquêtes de commodo et
d’incommodo. La mairie ne s’exécute pas. Les populations se plaignent.
Et la mairie a égaré les documents que le ministère leur a transmis, et ils
demandent aux populations de payer un millions. Le ministère redonne les
documents de base, les extraits topo et tout ce qu’il faut, le ministère lui-
même décide de payer les un million aux populations en reversant cet argent
à la mairie pour qu’elle se charge de la redistribution. Malgré cela, la mairie
se lève un matin, et on surprend toujours les gens, sans mise en demeure.
Elle vient et casse les maisons des gens. D’abord il y a un dysfonctionnement
au niveau de l’administration parce que ce n’est pas normal qu’il y ait cette
incohérence, que la mairie fasse ce qu’elle veut alors que le ministère était
dans un projet avec ces gens.
La seconde chose, je ne comprends pas pourquoi, on fait ces
déguerpissements dans la précipitation et le désordre. On aurait pu attendre
et programmer tous les déguerpissements en pleines vacances. Mais en
pleine année scolaire, parfois même en pleine saison pluvieuse, on fait des
déguerpissements abusifs. Et on vient avec des forces de l’ordre, c’est ainsi
qu’on a vu, en 2018, des gens dormir au cimetière. Et cela s’est fait pendant
les écrits du Bac. Et à cause de cela, des candidats n’ont pu composer et le
site,jusque-là, n’a pas été exploité. C’est quoi le problème. On a l’impression
que les gens ont besoin des populations que pendant les périodes électorales,
et après cela, les gens n’ont plus d’importance…
Le cas de Koumassi est grave, parce que c’est un quartier qui avait été loti.
Et comme chaque ministre fait ce qu’il veut, un ministre vient, un quartier
loti, il annule le lotissement et le renomme et fait d’autres lotissements et
d’autres attributions. Vraiment trop de désordres dans notre administration et
cela n’est pas normal.
Qu’est-ce qu’il faut pour remédier à tout cela, parce que c’est un gros
tort qui est fait aux victimes ?
C’est une question de volonté politique. La volonté politique n’y est pas parce
que chacun fait ce qu’il veut. Il faut arrêter ces déguerpissements, ce qui va
réduire le nombre de personnes affectées. Et ensuite réparer ce qui peut
l’être encore et respecter les règles. Les mairies ne peuvent pas agir en
dehors des ministères.
La loi dit qu’avant de déguerpir, il faut payer les indemnités et
trouver un nouveau site ?
Oui, en principe on l’a vu avec le président Bédié, on a vu deux cas qui sont
des exemples. Le cas de « Washington ». Au moins on leur a donné des
logements, on ne les a pas bafoués. Il y a eu le cas du projet du 3 ème pont.
C’est dire qu’on peut conduire un projet d’envergure sans bavure. Mais là, on
ne sait pas ce qui se passe. Et on ne cesse de dénoncer. Il y a un problème
d’incivisme chronique dans ce pays qui ne dit pas son nom. Le président de la
République ne respecte pas la Constitution, les ministres ne respectent pas
les lois, les maires…Personne ne respecte quoi que ce soit.
Et pourtant le Premier ministre Patrick Achi avait dit que des
solutions idoines allaient être trouvées pour ces personnes…
Au lieu de dire, il aurait fallu qu’il se mette à la place des victimes, on aurait
pu éviter tout cela. Maintenant que c’est créé, on n’a jamais vu le ministre de
la Solidarité auprès de ces personnes. Il faut réparer. A Yopougon, on nous
dit qu’on veut construire un lycée, mais pour construire un lycée, a-t-on
besoin de détruire la vie de 617 élèves ? L’objectif du lycée finalement c’était
quoi ? Il y a trop d’incohérences et ce n’est pas normal.
Il y a eu les manifestations contre la vie chère, vous avez eu aussi à
vous prononcer là-dessus, qu’en est-il ?
C’est une question qui est vraiment très complexe, c’est pour cela que nous
ne nous sommes pas associés à ceux qui voulaient manifester. Parce qu’il ne
faut pas manifester pour manifester. Quand tu manifestes, tu demandes un
changement précis. Pour cela, il faut comprendre toute la situation. D’abord il
y a le transport. Chez nous ici, on ne sait comment le prix du carburant est
fixé, même dans les pays enclavés, proches de nous, le carburant est moins
cher qu’ici. Alors qu’on a la mer, un peu de pétrole. Or, le coût du carburant
joue énormément sur le transport des produits vers le consommateur. En
plus, il y a des frais non officiels, dits les faux frais, les commerçants
subissent dans le transport des produits. Tout cela joue sur le coût des
denrées, donc c’est une affaire interministérielle…
Au regard de tout cela, nous comprenons que l’Etat est complice, parce qu’il
dit être libéral, entretemps il tient le monopole. Donc il est
forcément complice parce que c’est lui qui surcharge les commerçants avec
les taxes, c’est la Douane de l’Etat qui fatigue les commerçants, donc c’est
l’Etat qui est complice de tout cela.
Aujourd’hui, on assiste à une opération que certains appellent
« Mains propres »sur le plan de la gestion des Entreprises publiques
nationales, EPN. Où des détournements ont été constatés…quels
commentaires vous en faites ?
Pour moi, tout cela c’est de la comédie. Pour moi, ce n’est pas trop tôt.
Ensuite, toutes les personnes épinglées ne sont pas en prison. Quand une
personne est fautive par rapport à quelque chose, il doit subir la rigueur de la
loi. Une fois qu’il n’y a pas de jugement, cela veut dire qu’il y a un problème.
Parce que tous nous savons que ces EPN sont des caisses noires. Donc si ces
directeurs généraux sont devant la justice, ils seront obligés de révéler
certaines choses qu’on ne veut pas qu’on révèle. Du coup, ce n’est pas une
vraie opération main propre.
Certains parlent de règlement de compte au sein du parti au
pouvoir ?
Oui c’est possible, parce qu’on sait comment cela se passe au sein des partis
politiques, si c’est tel qui vous avait placé là, et qu’il est en disgrâce avec le
mentor ou quelqu’un du parti, on cherche à éliminer ses hommes. Pendant ce
temps, il y a des gens qui continuent de voler et ils sont à leur poste. Je
pense qu’il y a un ménage à faire dans toute la société ivoirienne. Parce que
le problème de la corruption est le problème numéro un de notre société.
C’est la corruption qui a détruit toute la société ivoirienne.
Même le problème de l’école, c’est la corruption qui nous a conduit à cela.
Quand l’élève sait que quand il offre un vin au professeur, il aura de bonnes
notes… Pendant les périodes d’examens, tu sais ce que tu dois donner pour
avoir de bonnes notes à l’oral ; tu saisce que tu dois donner pour avoir de
bonnes notes à l’écrit…Il n’y a plus de compétitivité. Ils ont tout tué dans la
société.
Au regard de tout cela, est-ce qu’on peut dire que l’Etat a échoué
dans toute sa politique ?
Absolument, puisque la société se dégrade sur tous les plans. Moi je ne
connais pas un seul secteur où tout va bien. Il y a un véritable problème. Si
cela ne tenait qu’à moi, je dirai que l’Etat a échoué sur toute la ligne.
Il a été annoncé l’ouverture du dialogue politique, les choses
piétinent. Comment interprétez-vous tout cela ?
C’est le 5 ème round et on piétine à chaque fois pour plusieurs raisons.
La première, c’est le choix des personnes qui participent au dialogue. Par
rapport au politique, il n’y a pas de problème puisque les principaux partis
sont représentés. Par rapport à la société civile, on n’implique pas la société
civile engagée. Parce qu’il y a la société civile et la société civile. Il y a des
organisations de la société civile qui se sont engagées dans plusieurs
domaines, développement et traitement de plusieurs questions sans
s’engager au plan politique. Mais qu’on dise la vérité dans ce dialogue
politique, il faut des organisations comme la nôtre qui soient engagées au
plan politique pour dire la vérité.