La visite le 17 octobre 2021 au Mali du Président en exercice de la CEDEAO Nana Akufo-Addo du Ghana n’apparaît que comme la dernière en date des élucubrations de cette organisation sous régionale qui ne brille plus que par ses ambitions extravagantes de gendarme auto proclamé de la démocratie, en violation de ses propres textes fondateurs et de ses actes communautaires.
Nana Akufo-Addo est tout simplement venu s’enquérir de la seule réponse possible de silence bruyant qu’un État en Transition politique mais souverain, puisse réserver au chantage malsain de la CEDEAO dans la gestion de la crise malienne, à l’instar de la dernière en date de sa session extraordinaire de la Conférence des chefs d’État et de gouvernement du 16 septembre 2021.
A propos de la Transition politique du Mali, cette Conférence est « demeurée très préoccupée par la lenteur dans la préparation des élections prévues en République du Mali pour fin février 2022 » et a « réitéré sa demande pour un respect strict du calendrier de la transition devant conduire à la tenue effective des élections dans le délai non négociable de février 2022 ». Un délai non négociable, paraît-il ! Les illégitimes Chefs d’États de la CEDEAO, dans un paternalisme inqualifiable, vont pousser le bouchon jusqu’à décider, comme si le territoire du Mali relevait de leur souveraineté, des types de réformes répondant à la soif de changement à l’origine d’une lutte au coûteux bilan humain, qu’ils vont circonscrire « aux seules réformes nécessaires pour la tenue des élections ». On frôle ici l’indécence mal enveloppée dans une couverture communautaire. C’est de la pure vérité vraie !
L’État souverain du Mali est ainsi sommé de respecter soi-disant ses engagements, en organisant les élections présidentielle et législatives d’ici fin février 2022. On lui rabâche également de s’être engagé à rendre public un chronogramme de tous les actes à poser jusqu’à la fin de la Transition. Le tout avec une arrogance d’autant plus humiliante et choquante que la plupart des États membres de cette organisation discréditée aux yeux des populations communautaires, sont totalement disqualifiés à professer des leçons de démocratie et de bonne gouvernance au Mali.
UNE PRETENTION SUPRANATIONALE BANCALE AU PLAN POLITIQUE
La CEDEAO reste avant tout une organisation internationale d’intégration économique. Si son domaine de compétence s’aventure depuis ces derniers temps sur le terrain politique au fin fond des souverainetés étatiques dans ce qu’elles ont de plus profond, c’est parfois au prix d’impostures juridiques intenables d’une prétention supranationale complètement bancale.
Ni le Traité révisé de la CEDEAO de 1993, ni même les deux Protocoles additionnels (Protocole de Lomé de 1999 relatif au Mécanisme de règlement des conflits, de maintien de la paix et de la sécurité, et Protocole de 2001 sur la démocratie et la bonne gouvernance) ne sont venus à bout des espaces de souveraineté qui demeurent dus aux États membres au sein du périmètre communautaires.
Si tant est que le pouvoir d’une organisation internationale ne se présume pas, mais découle expressément de la lettre de ses textes, il apparaît très clairement que sur le terrain politique de la démocratie et de gouvernance, la CEDEAO tend de plus en plus à fonctionner comme une marionnette organisationnelle sans foi ni loi, instrumentalisée par des intérêts extra régionaux, qui méprise les peuples et les nations des États membres. Les plus scandalisés par ses errements la qualifient de petit club illégitime de Chefs d’États qui n’appréhendent la question de la démocratie qu’à l’aune de leurs trônes de petits dictateurs masqués du « démocratiquement élu » pour s’exonérer du « démocratiquement gouvernés ».
PAS DE CONSTITUTION DE LA CEDEAO SUBSTITUABLE A LA CONSTITUTION/CHARTE DU MALI
La CEDEAO a certes eu à faire des propositions allant dans le sens d’une limitation conséquente de la durée de la Transition malienne. Il avait même été question d’une Transition d’un an maximum.
Mais force est de constater que jusqu’à ce jour, aucune disposition communautaire ne fixe en tant que telle la durée d’une transition post coup d’État qui soit imposable aux États membres en rupture constitutionnelle. Ce qui explique d’ailleurs qu’en ce qui concerne le cas du Mali, la CEDEAO n’a pu en la matière, faire que des propositions de durée de Transition à faire entériner par le droit malien.
La CEDEAO n’étant pas à un niveau institutionnel de « supranationalité » politique formellement constitutionnelle qui soit opposable aux États membres, vouloir aborder la question de la fin de la Transition dans le déni arrogant de la souveraineté de l’État du Mali n’est que pure aberration. C’est une injure au peuple malien.
Aucune disposition communautaire ne dénie à un État membre sa compétence souveraine de se faire régir par une constitution comme le cas actuel de la Transition doublement « constitutionnalisée » par la Constitution de 92 et la Charte du 1er octobre 2020.
Nonobstant tous les vœux pieux y compris dans la bouche démagogique de la CEDEAO tendant à imposer une durée de Transition à la République souveraine du Mali, il reste que le seul engagement de nature obligatoire relatif à la durée de la Transition est celui découlant de la loi fondamentale du Mali que n’a pu à aucun moment supplanter la CEDEAO à travers l’arbitraire des Chefs d’États faisant délirer les textes communautaires au mépris de leur lettre et de leur esprit. Le délai des 18 mois impartis à la Transition procède avant tout de l’article 22 de la Charte de la Transition et non d’une autre source formelle qui soit juridiquement obligatoire.
Sinon cela n’aurait aucun sens de constitutionnaliser la question prise en charge par la Charte de la Transition.
De la même manière que les autres États membres de la CEDEAO souverainement dotés de leurs propres Constitutions, le Mali en tant qu’État souverain demeure doté d’une Constitution. Pour être encore plus précis, il faudrait même dire qu’il est doté de deux textes constitutionnels. Or, la durée de la Transition a été formalisée par la Charte de la Transition en son article 22 qui l’a fixée à « dix-huit (18) mois à compter de la date d’investiture du Président de la Transition ».
Si l’on admet que la durée de la Transition a été fixée par la Charte en son article 22 à 18 mois et que celle-ci ne considère pas cette disposition comme une norme intangible, aucun obstacle juridique y compris de nature communautaire, ne saurait s’opposer à la relecture de l’article 22 dans le sens de la prorogation de cette durée, pour autant qu’on respecte dans le fond et dans la forme, les conditions de la révision de la Charte de la Transition fixées en son article 21.
LES IMPLICATIONS SANS EXKUSIVE DU RESPECT DU DELAI DES 18 MOIS
On entend comme une rengaine qui commence décidément à bien faire, que l’engagement des autorités de la Transition de respecter le délai des 18 mois doit être respecté.
Dans le fond, le respect du délai des 18 mois révèle trois dimensions qui exonèrent les autorités de la Transition des accusations dont elles font l’objet.
Ce serait faire preuve sinon de mauvaise foi, du moins de méconnaissance du droit, que de comprendre l’engagement des autorités de la Transition de respecter le délai des 18 mois autrement que comme la simple réaffirmation, à la limite du superfétatoire, de l’obligation constitutionnelle qui leur incombe de respecter la Charte de la Transition qui fixe justement ce délai. De ce point de vue, s’engager à respecter le délai des 18 mois de la Transition revient tout simplement à respecter la Charte de la Transition. A contrariori, on ne saurait déduire que le respect du délai de 18 mois, donc de la Charte de la Transition, emporte interdiction pour les autorités de la Transition d’user de cet autre droit que cette même Charte leur reconnaît, qui est celui de pouvoir réviser souverainement des dispositions révisables de la Charte.
Respecter le délai des 18 mois, c’est-à-dire respecter la Charte de la Transition, n’est nullement en contradiction avec l’exercice du pouvoir constitutionnel de révision de la Charte notamment dans sa disposition fixant à 18 mois la durée de la Transition.
Il faut d’ailleurs préciser au passage qu’en dépit du brouhaha qui entoure la prorogation du délai de la Transition, l’article 22 de la Charte relatif à cette question n’est absolument pas de la même teneur constitutionnelle que par exemple son article 9 consacré à l’inéligibilité du Président et du Vice-président aux élections présidentielle et législatives de fin de Transition qui « n’est pas susceptible de révision ».
Malgré les enjeux qui y sont attachés, l’article 22 de la Charte relatif au délai des 18 mois ne présente aucun trait d’intangibilité constitutionnelle. La Charte ne fait assortir ses modalités de révision d’aucune conditionnalité particulière. Comme pour laisser libre cours à ceux habilités par la Charte à le modifier.
Le régime juridique du sort de l’article 22 de la Charte renvoie tout bonnement aux modalités de sa révision telles que fixées à l’article 21 ainsi qu’il suit : « L’initiative de la révision de la présente Charte appartient concurremment au Président de la Transition et au tiers (1/3) des membres du Conseil national de Transition. Le projet ou la proposition de révision est adopté à la majorité des 4/5ème des membres du Conseil national de Transition. Le Président de la Transition procède à la promulgation de l’acte de révision ». Comme quoi le chemin du respect du délai des 18 mois, donc du respect de la Charte, passe également par le respect du droit de réviser la Charte dans les conditions de forme et de forme prévues à l’article 21.
On aboutit en fin de compte au triptyque suivant :
- Respecter le délai des 18 mois, c’est aussi respecter la Charte de la Transition !
- Respecter la Charte de la Transition, c’est l’appliquer comme telle tout en revendiquant de manière souveraine, le droit de pouvoir la réviser dans les conditions de fond et de forme prévues par la Charte elle-même
- Réviser la disposition de la Charte relative au délai des 18 mois de la Transition dans le sens de sa prorogation, revient donc finalement à respecter la Charte.
PAS DE CALENDRIER ELECTORAL FORMEL SANS CONVOCATION DE COLLEGE ELECTORAL
De la même façon que pour le respect du délai des 18 mois, on entend également comme une rengaine que le chronogramme électoral annoncé par le gouvernement doit être respecté. De quel chronogramme parle-t-on ? S’est-il jamais tenu un quelconque Conseil des ministres ayant adopté à titre de législation, un quelconque projet de décret de convocation d’un collège électoral ?
A entendre les récriminations qui s’abattent sur le gouvernement, on n’a pas l’impression que le fameux calendrier électoral dont on parle tant, se ramène à ce vague et aléatoire chronogramme précipitamment concédé à titre indicatif par le gouvernement OUANE mis sous pression internationale pour qu’on lui foute la paix : un référendum constitutionnel envisagé pour le 31 octobre 2020, des élections locales et régionales espérées pour le 26 décembre 2020, et la présidentielle et les législatives souhaitées pour le 27 février 2022.
Ce chronogramme électoral sans valeur juridique quelconque n’a pu à aucun moment engager les autorités de la Transition en l’absence de décret de convocation de collège électoral en bonne et due forme comme stipulé dans la loi électorale n°2016-048 du 17 octobre 2016 modifiée par la loi n° 2018-014 du 23 avril 2018 en son article 86 selon lequel « les électeurs sont convoqués et la date du scrutin est fixée par décret pris en Conseil des ministres et publié au Journal Officiel soixante (60) jours au moins avant la date du scrutin. ..». Il n’existe point d’élection juridiquement programmée en l’absence de décret formel de convocation de collège électoral.
En somme, la CEDEAO se trouve piégée par l’étau de la souveraineté du Mali qui subsistent à la rupture constitutionnelle que ces textes ambitieux et prétentieux à la fois au regard de sa nature d’organisation internationale en quête de supranationalité politique, gèrent dans l’improvisation et la cacophonie.
Dr Brahima FOMBA, Université des Sciences Juridiques et Politiques de Bamako (USJPB)
Source: LE PAYS