Il est inconcevable que la Cour constitutionnelle, une si haute institution de la République, interprète la notion « d’atteinte à l’intégrité territoriale» sans tenir compte de la situation réelle du pays. Les sages de la Cour constitutionnelle auraient dû plutôt définir la notion d’atteinte à l’intégrité territoriale à travers la notion d’Etat qui renvoie naturellement à la souveraineté et non en se référant sur une définition du droit international qui ne régit que les relations entre les Etats.
Le processus de révision constitutionnelle n’en finit pas de livrer tous ses secrets. Au regard de la violation flagrante de l’alinéa 3 de l’article 118 qui interdit toute procédure de révision constitutionnelle lors qu’il est porté atteinte à l’intégrité du territoire national. La Cour constitutionnelle représentait le seul rempart des citoyens contre les desideratas du pouvoir en place de réviser la constitution afin de faire échec à ce processus. Hélas ! La Cour constitutionnelle a donné carte blanche au régime en tranchant ainsi : « La loi n° 2017-031/AN-RM du 2 juin 2017 portant révision de la Constitution du 25 février 1992 ne remet en cause ni la forme républicaine, ni la laïcité de l’Etat, ni le multipartisme. L’intégrité territoriale, au sens du droit international, s’entend du droit et du devoir inaliénable d’un Etat souverain à préserver ses frontières de toute influence extérieure. En l’état, celle du Mali n’est pas compromise par l’occupation d’une quelconque puissance étrangère.
Aussi, l’Etat, à travers ses représentants, les organes élus et les autorités intérimaires, exerce la plénitude de ses missions régaliennes sur le territoire national. Dès lors, une insécurité résiduelle à elle seule, ne saurait remettre en cause la régularité d’un référendum. En conséquence, la présente loi est conforme aux dispositions des alinéas 3 et 4 de l’article 118 de la Constitution », déclare la Cour. Certes, les décisions rendues par la Cour sont insusceptibles de recours et s’imposent aux pouvoirs publics, aux autorités administratives, juridictionnelles et à toutes les personnes physiques et morales, mais il n’en demeure pas moins que l’avis de la Cour n’est pas exempt de reproche. D’autant plus que nulle part dans l’article 118 portant révision de la constitution, il n’a été explicitement dit que la notion ‘’d’atteinte à l’intégrité du territoire ‘’ signifie uniquement une occupation étrangère. D’ailleurs, la définition donnée par la Cour en se référant sur une définition du droit international convainc difficilement. Surtout quand on sait que le droit international a été conçu pour régir la société internationale et non les questions relevant de la souveraineté d’un Etat. L’interprétation donnée par l’organe de contrôle à cet égard n’est pas conforme à la réalité du terrain. Il faut le dire sans ambages, en l’absence de définition claire, le contenu de la constitution est susceptible d’interprétations larges voire contradictoires. Car, au regard de la manière dont la Cour a été saisie pour donner son avis obligatoire et la décision qui a été rendue en moins de 24 heures. En effet, la Cour a été saisie le 5 juin 2017 et elle a rendu sa décision le 6 juin. Cela prête à confusion. La célérité avec laquelle la Cour a rendu sa décision atteste une sorte d’allégeance. Et pourtant, ce projet ne devrait pas passer comme lettre à la poste. Il ne faut pas perdre de vue également que l’avis de la Cour devrait être sollicité par le pouvoir avant toute convocation du collège électoral. C’est le contraire qui nous a été donné de constater, une première en République du Mali. En clair, au regard du droit international, l’Etat n’est assujetti à aucun Etat ni soumis à aucune obligation à laquelle il n’a librement souscrit. L’égalité souveraine des Etats est un principe fondamental du droit international. Il trouve son fondement juridique dans l’article 2, paragraphe 1, de la Charte de l’ONU. L’Etat est la seule entité jouissant de la plénitude de la souveraineté en droit international. Les sages de la Cour constitutionnelle auraient dû plutôt définir la notion d’atteinte à l’intégrité à travers la notion d’Etat qui renvoie naturellement à la souveraineté. Il est inconcevable que la Cour constitutionnelle interprète cette notion sans tenir compte de la situation réelle du pays.
Que signifie la souveraineté d’un Etat ?
« L’Etat est une personne morale de droit public, territoriale et souveraine. La souveraineté est une caractéristique essentielle de l’Etat dont elle est une condition nécessaire et suffisante d’existence. La souveraineté confère à l’Etat un droit à l’autonomie de décision. Il n’est soumis à aucun pouvoir politique de décision supérieure. Et dans ses relations avec les autres sujets du droit international à savoir, les Etats, les organisations internationales, il jouit d’une indépendance complète qui est la condition de la souveraineté. En outre, il dispose d’une liberté absolue pour définir son régime constitutionnel. L’Etat seul dispose de la faculté de s’organiser comme il l’entend et d’organiser les groupements qui lui sont subordonnés. Sa liberté est totale, il n’a pas de rivaux. Il dispose l’exclusivité des pouvoirs dits de puissance publique qui l’autorise à intervenir quand il veut, où il veut et comme il veut», précise le Professeur de Droit constitutionnel Mohamed Fakihi de l’Université Sidi Mohamed Ben Bellah, Faculté des Sciences juridiques dans son ouvrage, Théorie général de Droit constitutionnel, édition 2014-2015. Aujourd’hui, force est de constater que l’Etat du Mali n’est pas en mesure d’exercer sa souveraineté sur l’ensemble de son territoire. Kidal et une bonne partie des régions du nord échappent à tout contrôle de l’Etat. L’armée n’est pas présente à Kidal, le pouvoir judiciaire non plus. Alors que la matérialité de l’Etat est conditionnée par l’existence d’un pouvoir politique exercé sur une population et sur un territoire. Le pouvoir est l’élément essentiel de l’Etat. Il garantit son efficacité, tout en assurant sa cohésion et sa continuité dans le temps et dans l’espace. Le Mali demeure toujours un Etat unitaire. Le pouvoir politique dans un Etat unitaire appartient aux seules autorités mises en place par la constitution. L’Etat unitaire ne partage pas sa souveraineté avec une entité quelconque vivant sur son territoire. L’Etat en quelque sorte est le maître des lieux sur son territoire. Il transmet sa volonté sur tout son territoire et sur toute sa population qui est soumis à un même et unique pouvoir. L’Etat détient le monopole du pouvoir de coercition qui lui permet de faire exécuter ses décisions et de faire prévaloir sur les autres. Il a le pouvoir de demander unilatéralement les prestations ou abstentions aux individus sur son territoire et de contraindre les gouvernés à s’exécuter par la force si besoin. La situation qui prévaut sur le terrain prouve à suffisance que l’Etat n’est pas le seul maître malgré la signature de l’Accord et la mise en place des autorités intérimaires de façade. En fait, les membres de la CMA viennent d’opposer un niet catégorique aux velléités de l’Etat de matérialiser son retour triomphal le 20 juin prochain, date anniversaire de la signature définitive de l’Accord par tous les protagonistes. Dans un communiqué daté du 12 juin, Ilad Ag Mohamed, porte-parole des mouvements de la Coordination, informe que la CMA n’est nullement engagée par un document intitulé : « Chronogramme du retour de l’administration à Kidal avant le 20 juin 2017 », signé le 09 juin à Bamako. « Ce document est loin de refléter le résultat des pourparlers convenus entre la CMA et les différents acteurs impliqués dans l’établissement du programme du retour de l’administration à Kidal », explique Ilad Ag Mohamed, tout en dénonçant ce qu’il appelle « toute tentative de tripatouillage de la mise en œuvre de l’Accord et exhorte la médiation internationale, les parties signataires de l’Accord et la communauté internationale à mener des actions consensuelles sans absurdité pour réussir une paix effective ». La position exprimée par la CMA est assez illustrative que l’Etat malien ne détient pas la réalité du pouvoir dans les régions du nord, nonobstant que les parties se sont engagées à reconnaitre l’intégrité et l’autorité de l’Etat. La reconnaissance de l’autorité de l’Etat affirmée par les autres parties maliennes ne doit pas rester à l’état de simple affirmation, mais elle doit être traduite dans les faits. L’urgence au Mali dans le cadre de la mise en œuvre de l’Accord n’est pas la révision de la constitution. C’est plutôt le processus de démobilisation, désarmement et réinsertion (DDR). Les sites de cantonnement sont construits, mais les signataires de l’Accord ne sont ni cantonnés ni désarmés encore moins réinsérés. La révision de la constitution peut attendre jusqu’à ce que toutes les conditions soient réunies.
Boubacar SIDIBE
Le Prétoire