L’accord pour la paix et la réconciliation au Mali, issu des pourparlers inclusifs inter-maliens en Alger, a été signé le vendredi dernier dans une ambiance particulièrement singulière. Singulière tant au regard de la portée historique de l’accord, que des moments on ne peut plus décalés qui ont marqué ledit évènement. Il va sans dire que le fameux sésame, l’accord, a certes été décroché par les différents acteurs impliqués dans le processus ; mais qu’il a également engendré de nombreuses plaies dont la guérison nous promet un véritable feuilleton diplomatique. D’où l’expression, un accord et ses désaccords.
Signature de l’accord, sans certains protagonistes…
Le premier désaccord est relatif à la volonté de certains mouvements armés de la coordination de briller par leur absence à la cérémonie de signature. Une absence qui prend une allure de non évènement, dans la mesure où ils ont adhéré officiellement au document en le paraphant la veille en terre algérienne. Une absence encore moins remarquée, avec la signature de l’accord par certains groupes issus de la même coordination. Des éléments qui n’écartent pas pour autant quelques préoccupations majeures à savoir, le désaccord qui pourrait naitre désormais entre les parties signataires et celles non signataires de la CMA. Un désaccord qui pourrait se faire sentir sur le terrain et remettre en mal le processus de paix, à travers des rapports de force, si des mesures anticipatives ne sont pas prises par la communauté internationale. Outre élément de réflexion, l’entêtement de certains groupes armés à ne pas signer malgré les ‘’multiples pressions’’ de la communauté internationale.
A analyser de près ce comportement, l’on serait tenté de croire que le paraphe tardif n’était qu’un stratagème pour la CMA d’éviter des sanctions et faire plaisir à la médiation algérienne ainsi qu’à la communauté internationale. Ses désaccords vis-à-vis de l’accord et du gouvernement Malien quant à certains points non résolus restent d’actualité. Quitte au gouvernement, à travers ses premières actions relatives à la mise en œuvre de l’accord, de rassurer les réfractaires et de les amener à adhérer à la dynamique de paix enclenchée. Et à la communauté internationale, en faisant preuve d’une plus grande fermeté et de beaucoup de concessions sur certains dossiers chauds comme ceux d’Iyad Ag Ghali et des poursuites judiciaires, de s’assumer en tout état de cause comme garante des dispositions contenues dans l’accord.
Quid du départ anticipé de certaines délégations ?
Le second désaccord dans la signature de l’accord, si l’on s’autorisait volontiers à des interprétations politico-diplomatiques, pourrait porter sur le départ précipité de certaines personnalités dont les Chefs d’Etat ivoirien et nigérian et la secrétaire d’Etat française au développement.
La logique aurait voulu qu’ils restent présents jusqu’au terme de la cérémonie. Où du moins que les raisons, réelles ou fictives, de leurs départs anticipés soient portées à la connaissance de l’assistance.
Ces impératifs protocolaires n’ayant pas été respectés, la même logique nous pousse aujourd’hui à nous poser des questions. Ces départs avaient-ils un lien avec le programme ? Une question qui a tout son sens, surtout quand on sait que le programme officiel qui avait été remis aux délégations n’était pas le même que celui qui s’exécutait. Démarrée avec une quinzaine de personnalités au présidium, la cérémonie s’est achevée seulement en présence du tiers de ce nombre.
Le discours politique justifierait cette attitude par les multiples occupations desdites personnalités. Tandis que le discours journalistique, celui auquel nous restons assujettis, ne pose qu’un problème de principe. Lequel pourrait tirer son origine d’une série de désaccords. Désaccord sur le plan organisationnel. Désaccord quant à la durée de la cérémonie. Désaccord quant au non respect du programme initial. Désaccord quant à la trajectoire des interventions. Mais aussi et surtout désaccords idéologiques et politiques. Ce dernier semble le plus objectif, dans la mesure où sont restés que les chefs d’Etat que le Président IBK a lui même qualifié d’amis dans son allocution.
IBK s’adresse plus à l’ONU, qu’aux Maliens…
Le troisième désaccord, le plus explicite, lie apparemment le Président IBK au secrétaire général des Nations Unies, Banki Moon. Le second aurait ‘’dicté’’ une série de mesures (4 exactement) au premier dans le cadre de la poursuite du processus de paix et de réconciliation. Une initiative très peu appréciée par le Chef de l’Etat, qui n’a pas manqué de le faire savoir en fustigeant la communauté internationale et la MINUSMA dans son discours. Il a été d’ailleurs on ne peut plus clair à ce sujet. ‘’Plutôt que de lire un discours, j’ai préféré parler avec le cœur’’, avait-il déclaré aux termes de son propos. Entre le cœur et la raison, le temps édifiera sur laquelle des deux voies était la mieux appropriée dans de telles circonstances. D’ici là, le vain étant tiré, il nous revient de le boire. En analysant les conséquences de l’intervention du Président IBK, l’on comprend aisément que le fameux accord de paix et de réconciliation a été acquis au prix de multiples concessions et sacrifices. Sa mise en œuvre, à n’en point douter, fera naitre autant de désaccords et de tracasseries politico-diplomatiques.
Et le ton de ces désaccords a été lancé par le Président IBK le vendredi dernier à l’endroit de l’ONU et de la MINSUMA, qu’il accuse d’impartialité et de légèreté vis-à-vis des groupes armés.
Le 15 mai dernier, restera à jamais graver dans les annales de l’histoire du peuple Malien. Car consacrant la signature d’un accord historique de paix et de réconciliation dont les premiers jalons remontent aux évènements tragiques de l’année 2012. Et si la vocation primordiale de tout accord est de rassembler, celui qui vient d’être signé dans notre pays a jeté les bases de multiples désaccords tant sur le plan national qu’à l’échelle internationale. Des désaccords qui méritent d’être résolus, impérativement et le plus rapidement possible, pour permettre une meilleure mise en œuvre de l’accord de paix et éviter de donner au processus un goût amer d’inachevé.
Fousseyni MAIGA
xxx
Accord de paix au Mali : après la signature, s’ouvre l’étape délicate de la mise en œuvre
L’accord de paix et réconciliation au Mali a été signé, le vendredi 15 mai dernier au centre international des conférences de Bamako, en présence d’une dizaine de chefs d’Etat africains et de plusieurs personnalités. Nonobstant quelques groupes armés de la coordination, tous les acteurs impliqués dans le processus de dialogue ont répondu à l’appel. L’évènement a été marqué par de nombreuses interventions et la signature solennelle de l’accord par les différents protagonistes et représentants du groupe de médiation internationale.
Au sujet des allocutions, essentiellement quatre ont marqué l’attention de l’assistance. La 1ère, et l’une des plus attendues certainement, était celle de la secrétaire d’Etat française au développement. Annick GIRANDIN a rappelé l’ensemble du processus de dialogue, avant d’exprimer le satisfecit de son pays face à son aboutissement. Elle a invité les groupes armés de la CMA à rejoindre le processus, en signant le document, et l’ensemble des acteurs à maintenir le cap qui a prévalu tout au long des négociations dans le cadre de la mise en œuvre de l’accord.
La 2ème allocution marquante reste, à n’en point douter, celle de la représentante des Etats-Unis. A l’antipode des autres intervenants, elle a tenu un langage de fermeté vis-à-vis des groupes armés de la coordination. Tout en les invitant à signer le document sans condition, elle a souhaité que des sanctions drastiques soient prises par la communauté internationale à l’encontre de tous ceux qui tenteront de remettre en cause le procssus de paix et de réconciliation nationale.
3ème intervention attendue, celle du représentant du sécrétaire général des nations unies. Hervé Ladsous, en qualité de représentant de la mission des nations unies au Mali, était porteur d’un message de Banki Moon. Un message d’appel pour le respect du cessez-le-feu et la poursuite du dialogue pour ramener les mouvements armés dans la dynamique de la paix. Un message très bien compris par le Chef de l’Etat Ibrahim Boubacar KEITA qui, visiblement très déçu des Onusiens comme une grande partie des Maliens, en a profité pour recadrer les choses.
La 4ème intervention, la plus emblématique de cet évènement, a été ce que bon nombre de Maliens ont qualifié des vérités du Président IBK à l’ONU. ‘’Nous demandons aux missions des nations unies de faire preuve d’un peu de respect pour notre peuple. Nous les invitons de faire en sorte que le jeu soit transparent’’. Le Président IBK a explicité décrié l’impartialité de la MINUSMA sur le terrain et les traitements de faveurs de l’ONU vis-à-vis de certains acteurs du processus, notamment les groupes armés rebelles.
Si le discours du Chef de l’Etat a choqué les diplomates présents et les cadres de l’ONU, il a été fortement apprécié par les populations maliennes qui ont toujours décrié le comportement de la MINUSMA.
Tous les autres intervenants à cette cérémonie, au delà du Mali, ont salué les efforts de l’Algérie et mis l’accent sur la nécessité du respect du cessez-le-feu. Ils ont par ailleurs souhaité la signature de l’accord par les groupes armés de la coordination et une meilleure réalisation du calendrier de mise en œuvre.
La situation actuelle dans les régions du Nord ne permet pas d’identifier les groupes armés des autres mouvements liés au terrorisme, au djihad et au trafic de drogues. La signature de l’accord prévoit le cantonnement de tous les combattants. Ce qui permettra de mieux cerner le terrain et de relancer les activités socio-économiques. Aussi, les groupes armés se sont engagés à œuvrer en faveur de la lutte contre le terrorisme et le trafic de tout genre.
Le plus important aujourd’hui n’est pas d’obtenir un accord parfait, l’ont rappelé tous les intervenants, mais plutôt celui qui garantit les principes fondamentaux de la République, ne crée pas des sentiments d’injustice, favorise le redéploiement de l’administration, ramène la stabilité et la sécurité dans les régions du Nord. Le document signé prend en compte toutes ses aspirations : ce qui fait d’ailleurs sa particularité et justifie du reste sa signature.
Toutefois, et l’arbre ne devant pas cacher la forêt, le document présente un certain nombre d’inquiétudes qu’il convient d’analyser et de résoudre notamment dans la mise en œuvre. Il s’agit, entre autres, du calendrier de mise en œuvre, des besoins de financement, des garanties juridiques et judiciaires relatives aux poursuites contre les coupables de crimes et d’exactions, des risques de mauvaise interprétation des termes.
A ceux-ci s’ajoutent les multiples silences et non-dits portant sur le concept de libre administration des collectivités. Un concept qui, devant en principe s’appuyer sur les acquis du processus de décentralisation, a bénéficié d’une grande marge manœuvre. Laquelle est susceptible de remettre en cause l’existence de l’Etat et ses missions régaliennes dans certaines régions. En d’autres termes, le document résout aujourd’hui de nombreux problèmes, tout en ouvrant la porte à bien d’autres qui doivent être pris en compte par anticipation dans la mise en œuvre. Autant de situations dénoncées par l’opposition politique et plusieurs acteurs de la société civile. Et qui méritent d’être pris en compte pour des mesures de précautions.
La signature de l’accord est un grand pas vers le chemin qui mène à la paix. Le plus important et périlleux reste aujourd’hui la mise en œuvre. Comme pour dire que le plus dur reste à venir.
FM
source : Le Flambeau