Le prix de la viande, de l’huile, ainsi que des ingrédients de tous les plats ont connu une hausse. Alors, la palabre a de beaux jours devant elle, entre maris et épouses
De plus en plus, il est admis que les femmes contribuent aux charges du foyer. Elles aident l’homme à assurer à la famille les trois repas quotidiens.Mais contribuer à « la popote », pour les femmes, n’est pas un exercice aisé. Il s’agit, pour elles, de suivre au centime près son budget au quotidien. Le sujet suscite beaucoup de débats dans les foyers maliens. Devant la gestion du prix de condiments, l’homme et la femme sont-ils réellement à charges et responsabilités égales ? La gestion de la « popote » relève-t-elle de la responsabilité de l’homme ?
Depuis toujours,de nombreuses femmes au foyer, soutiennent qu’elles complètent le prix des condiments. Elles font ainsi plaisir à leur époux et aux autres membres de la famille. Tous les jours, les repas sont succulents. Mais le sujet de controverse dans le couple est le montant fixé conventionnellement. Le mariremet à son épouse, tous les matins ou tous les mois une certaine somme. Parfois, c’est un thème de plaisanterie entre époux ou, souvent,de dispute entre eux.
Ousmane Diarra et Assitan Keita sont mariés depuis plus de 10 ans. Le couple a accepté de nous parler, l’un en présence de l’autre. La scèneest digne des joutes orales. Le mari dit à son épouse : « Assitan, chaque fois que tu prépares, je te remets 2.000 Fcfa. Tu ne complètes pas le prix de condiments. Tu utilises une partie de cet argent à d’autres fins». Alerte, la femme répond aussitôt à l’accusation. Elle soutient qu’avec 2.000 Fcfa, elle achète un demi kilogramme de viande à 1.500 Fcfa et le bois à 500 Fcfa. Ainsi, le tour du montant est fait.
«Après, je complète pour acheter de la pâte d’arachide à 700 Fcfa, des légumes et autres condiments à 400 Fcfa», ajoute Assitan Kéïta, en enfonçant le clou. En réponse à son époux qui soutient revenir à la maison, parfois, avec des légumes ou de la viande, la dame rétorque : «Tu peux rester six mois sans apporter de condiments. Acceptes que je complète ton prix de condiments ».
INSUFFISANT-Après, en discutant avec nous, Assitan Keïta admet que tous les deux doivent faire quelques sacrifices. Ils contribuent tous les deux à cette charge récurrente de la famille qu’est le prix de condiments. Et elle assène : « Sinon, personne ne pourra manger le plat familial ». Elle soutient que ce que les hommes donnent « est toujours insuffisant ».« Je vends de la nourriture devant chez-moi. Mes bénéfices sont engloutis dans le prix de condiments », explique-t-elle.
Mme Coulibaly Astou N’diaye, infirmière, est mariée depuis plus de six ans. Elle habite à Kalaban Coura, dans la grande famille de son mari. Elle, aussi, nous dit qu’elle complète le prix des condiments.Elle soutient que toutes les femmes au foyer en font autant. Mme Coulibaly va plus loin en précisant que celles qui vivent dans les grandes familles sont les plus fatiguées. « Car, justifie-t-elle,dans la grande famille, il faut beaucoup plus de condiments pour que la nourriture soit acceptable ». « Mon mari me donne 1.500 Fcfa, par jour. Je complète cette somme à 2.000 Fcfa pour préparer seulement à midi. Le repas du soir ? C’est moi-même qui m’en occupe. Parfois, je peux dépenser 1.000 Fcfa ou plus», dit la dame.
Quant à Mme Sissoko Oulématou Diagouraga, ménagère depuis quatre ans, elle plaint les femmes qui souffrent beaucoup en ce qui concerne la gestion du prix de condiments. Car, selon Mme Sissoko, « sur les marchés, tout est cher et, tous les jours que Dieu fait, les commerçants augmentent les prix des produits ».En plus de cela, la famille s’agrandit au fil des années, avec l’arrivée des enfants. « Depuis le début de mon mariage, mon mari a fixé le prix de condiments à 1.000 Fcfa, tous les jours. Jusqu’au moment où je vous parle, il n’a pas augmenté d’un kopeck ce montant. Depuis longtemps, ces 1.000 Fca n’apportent pas beaucoup dans la cagnotte.
Le prix de la viande, de l’huile, ainsi que des ingrédients de tous les plats ont connu une hausse. «Au début, je pouvais ajouter seulement 100 ou 200 Fcfa . Mais, aujourd’hui, je débourse jusqu’à 1.000 Fcfa ou plus. Car, il y a les enfants et la cherté de la vie », dit notre interlocutrice. Face à cette situation, elle plaide la compréhension des hommes. Elle les prie « de revoir à la hausse le prix des condiments afin de soulager un peu les femmes ».
Compléter le prix de condiments est plus aisé pour les femmes qui vivent dans des familles nucléaires. Qu’importe la somme qu’on vous remet. Penda Touré, agent comptable, en convient. « Je suis mariée depuis 11 ans. J’arrive à gérer ce que mon mari me donne comme prix de condiments. Je vis avec mon époux et mes enfants seulement.Même si je complète, le montant n’est pas très important. Et il y a des jours où je ne complète même pas », dit Penda.
RARE CATÉGORIE-Certaines femmes n’ont jamais complété le prix des condiments. Farima Sacko, ménagère à Lafiabougou, mariée à Ousmane Diaby, depuis plus de 20 ans, est de cette rare catégorie. Cette mère de six enfants, affirme qu’elle n’a jamais ajouté un franc au prix des condiments, depuis qu’elle s’est mariée. «Dès le début de mon mariage, mon mari m’a demandé de ne jamais dépenser un rond dans la préparation de sa nourriture quelque que soit sa quantité, sans son accord. Sinon, il ne me le pardonnera jamais de toute sa vie », explique Farima. « Depuis ce jour, s’il manque un condiment qui coûte, ne serait-ce que 25 Fcfa, je lui dis et il paye, sans problème. Il veut être sûr que c’est de sa poche que vient tout ce qui sera mis dans la nourriture de la famille», dit-elle.
De nombreuses femmes de la capitale ne perçoivent pas de prix de condiments de leur époux.Soit parce que le mari est malade, invalide ou en chômage. C’est le cas d’Oumou Bakayoko, une femme dévouée à son mari. Mariée à Aboubacar Zan Diarra, depuis, dix-neuf ans, notre interlocutrice est mère de quatre enfants. Des chaussures dans les mains, une baignoire remplie de marchandises en équilibre sur la tête, le front dégoulinant de sueur, Oumou est commerçante ambulante au «marché Railda» de Bamako.
Elle nous explique qu’elle ne connaît même pas le phénomène du complément du prix des condiments, car c’est elle qui pourvoie à cette charge dans son foyer. La dame assure que depuis le licenciement de son mari, il y a 11 ans, elle est la seule à s’occuper des frais des condiments. «Je ne me plains pas car, quand on parle de mariage, on parle aussi d’entraide. Le mariage n’est pas uniquement l’union» affirme-t-elle.
Ba Bintou Camara, communément appelée « Founè Bintou » habite à Médina Coura. Du haut de ses 82 ans, elle explique que depuis la nuit des temps, cette situation existe dans notre pays, certes sous une forme différente de celle d’aujourd’hui. « Avant, les femmes étaient dévouées et s’intéressaient beaucoup à la nourriture et l’alimentation du foyer », car à leur époque, tout ce que les femmes percevaient, comme argent, était consacré à faire bouillirla marmite et bien nourrir la famille.
« Aujourd’hui, les femmes complètent peu le prix de condiments. Certaines épouses coupent même dans le montant que leur époux leur remet et les utilisent à des fins propres », soutient la grand-mère. « On ne peut plus manger la nourriture des femmes d’aujourd’hui, car elles n’ajoutent rien. Elles se contentent seulement de ce que le mari donne. Or, le mari ne peut toujours donner de gros montants pour le prix des condiments, car il a d’autres charges », poursuit-elle.
FAIRE DE LA BONNE CUISINE-Elle explique cette situation chez les femmes de notre temps, par leur forte propension à bien s’habiller lors des mariages et baptêmes. « Du coup, elles ne s’occupent plus de la nourriture du foyer. Elles ont des problèmes dans leur mariage », dit encore Founè Bintou. « Être une femme, c’est faire de la bonne cuisine», dit-elle avec sagesse.
Contrairement à Ba Bintou Camara, Mme Keïta Maïmouna Ouattara, sexagénaire, soutient que toutes les femmes complètent le prix des condiments, « même si le mari est riche ». Selon Mme Keïta, la différence entre le temps passé et le présent, est que les condiments n’étaient pas chers. « à mon époque, argumente-t-elle, il fallait peu d’argent pour compléter le prix des condiments ».
« Maintenant, tu peux rajouter le double de ce qu’on te donne», poursuit Mme Kéita. «Les femmes d’aujourd’hui souffrent beaucoup. Le prix des condiments augmente quotidiennement. En plus, les jeunes de notre époque n’ont pas de revenu élevé », argue-t-elle. Elle conseille à toutes les femmes d’avoir une activité économique, donc un revenu, même si les bénéfices sont faibles. « Cela stabilisera leur foyer», pense la sexagénaire.
DÉPENSES NOMBREUSES-Oussouby Kanté, ouvrier à Lafiabougou, explique que les hommes doivent accepter que les femmes complètent le prix de condiments. Selon lui, à Bamako, les chefs de famille supportent des dépenses plus qu’il n’en faut. Il cite en exemple des hommes en charge des dépenses d’alimentation, d’habillement, de logement, de santé, la scolarisation des enfants, les frais d’électricité et d’eau.
« Notre salaire nous suffit à peine pour les charges de la maison et, souvent, certains n’arrivent même pas à assurer les trois repas quotidiens de la famille. Face à cette situation, beaucoup ont démissionné de leur obligation et devoir de nourrir les leurs. Et, en ces temps durs, il n’est pas rare de voir des femmes assurer la relève des hommes pour la nourriture», fait-il remarquer.
Moriba Dembelé, enseignant, n’est pas d’accord avec Kanté. Selon le pédagogue, les femmes ne complètent pas le prix des condiments. « Au contraire, elles utilisent une partie pour l’investir dans des tontines journalières », accuse-t-il. M. Dembélé soutient que « sur dix femmes, il y a seulement une qui complète le prix des condiments ».
Pour le sociologue Oumar Touré, les foyers connaissent de réelles difficultés à cause de cette situation. Il affirme que les salaires ne couvrent pas les dépenses du foyer. Les fins de mois, au lieu d’être des moments de réconfort, deviennent des moments de stress, d’angoisse et de soucis pour la majorité des ménages.
«Les chefs de famille naviguent entre les dépenses de nourriture, les factures, les frais scolaires et de santé », dit-il. Le sociologue estime que de plus en plus, les femmes interviennent, en apportant un complément, pour aider l’homme, afin d’assurer aux enfants les trois repas. La plupart des ménages s’en accommodent avec le sourire.
Baya TRAORÉ