Censée garantir un contre-pouvoir puissant, la presse est atteinte de plusieurs maux et ne joue pas vraiment son rôle de quatrième pouvoir. État des lieux d’un secteur en crise
Plus d’une centaine de journaux, des centaines de stations radiophoniques et quelques télévisions qui émettent pour l’instant sans autorisation, le paysage médiatique malien est pour le moins dense. Cette offre est cependant sujette à de nombreuses critiques, nombreux étant les Maliens estimant, à l’instar du président de l’Assemblée nationale, que les journalistes maliens ne jouent plus leur rôle d’acteurs de la construction du pays.
L’Honorable Issiaka Sidibé avait en effet sévèrement tancé, début avril, les journalistes qui seraient aujourd’hui un « danger à la démocratie malienne ». Menace de grève, demande d’excuses publiques, le ton est très vite monté avant de retomber après des rencontres de conciliations entre les deux parties.
L’Assemblée nationale s’est d’ailleurs engagée à désormais soutenir la presse malienne pour lui permettre de jouer pleinement son rôle. Un cadre de concertation a également été mis en place. Cette situation illustre à merveille le climat de défiance qui existe aujourd’hui entre la presse et les « pouvoirs ». Crainte, critiquée, et surtout courtisée, elle doit aujourd’hui, pour avancer et prospérer, se réformer en profondeur.
Pauvreté vs professionalisme
« La presse est presque une entreprise de bénévolat : des employés mal formés, mal payés. Ainsi, elle est exposée à tous les prédateurs », assure Adama Diarra, du quotidien national l’Essor. « Ce n’est un secret pour personne et on peut même dire que cela arrange les gens de nous maintenir dans cette situation de précarité, car ainsi nous sommes plus manipulables », poursuit un autre confrère.
Le journalisme au Mali est un métier fourre-tout, explique pour sa part Birama Fall, président de l’Association des éditeurs de presse (ASSEP). Une situation qui entraîne une mauvaise formation des effectifs et donc des problèmes de respect des règles professionnelles et déontologiques de base. Ce constat ne date pas d’aujourd’hui et au fil des années, la presse est passée du statut de fer de lance de la démocratie, à celui de « parent pauvre du système », comme le déplore M. Fall qui assure qu’elle ne peut jouer pleinement son rôle si elle n’est pas dans les conditions.
Selon lui, l’État devrait, à l’image de ce qui se fait ailleurs, subventionner les organes de presse pour en assurer l’indépendance. Paradoxe ? Non, répond notre interlocuteur qui considère que l’environnement économique ne permettant pas aux journaux d’être viables, il est indispensable de les soutenir pour leur fonctionnement.
La grande majorité des patrons de presse sont de cet avis. À l’opposé, les journalistes employés de ces organes fustigent « le manque de volonté des promoteurs. Tout le monde n’est pas obligé d’avoir un journal, ceux qui ne sont pas viables devront tout simplement disparaitre. Ce n’est pas à l’État de faire vivre les journaux, sinon comment exercer dans ces conditions notre rôle de contre-pouvoir ? », s’interroge un jeune reporter.
Contre-pouvoir ou 4ème pouvoir ?
C’est ainsi que l’on qualifie la presse, en opposition aux trois autres : le législatif, l’exécutif et le judiciaire. La nature de ce pouvoir est cependant devenue floue au fil des années. Ce terme de « quatrième pouvoir » semble supposer que le journalisme dispose des mêmes possibilités que les trois autres. Il n’est pourtant pas figé en institution et appartient plutôt au secteur privé dont les intérêts économiques occupent une place prédominante.
Il convient pourtant de rappeler que dans des jeunes démocraties comme celle du Mali, le journaliste a un rôle de « dénonciation » qui le pose en position de « contrôler l’action de l’État, et donc des autres pouvoirs dans l’intérêt du public », explique Diomansi Bomboté, journaliste et ancien cadre du CESTI de Dakar. La presse est donc, en principe, un arbitre entre les institutions et le peuple, qu’elle informe et dont elle défend les intérêts. « Malheureusement, chez nous, on utilise ce pouvoir le plus souvent comme moyen de pression sur les individus et non dans un but constructif. Cela est à déplorer », poursuit le doyen.
Que faire alors pour éviter les dérapages, malheureusement fréquents, et assurer la crédibilité de la presse dans ce rôle ? Les pistes et même des débuts de solutions existent. Une convention collective, élaborée depuis 2009, propose un cadre réglementaire et moral à l’action du journaliste, dont elle fixe les modalités de travail. Bien que signée par la grande majorité des organes de presse, elle n’est à ce jour quasiment pas mise en application.
L’offre de formation au métier de journaliste, largement insuffisante, vient d’être renforcée par l’École de journalisme dont on attend incessamment l’ouverture. L’École supérieure de journalisme de Lille apporte également sa contribution en offrant, en collaboration avec la Maison de la Presse, la possibilité à quelques journalistes maliens triés sur le volet, de recevoir une formation diplômante à Bamako.
La Haute Autorité de la communication, créée en 2015 et rattachée à la Primature, est désormais chargée de réguler les médias afin d’asseoir plus de professionnalisme et plus de responsabilité dans le secteur. La question de la dépénalisation des délits de presse est également ramenée à l’ordre du jour et les professionnels se mobilisent entre eux pour fournir un cadre de contrôle interne. « La place d’un journaliste, ce n’est pas au tribunal », affirme Birama Fall de l’ASSEP, qui annonce pour 2016 la création d’un « tribunal des pairs », qui permettra de recadrer les contrevenants et assurer une vigie de la profession.
Pour Gisèle Flanda, juriste, la dépénalisation n’est pas la solution car elle mettrait les journalistes à l’abri des sanctions. « Dans ces conditions, objectivement, ils auront du mal à être un autre pouvoir que celui de forte nuisance », assure-t-elle. Ce pouvoir de nuisance est une réalité au Mali et a une résonnance négative auprès de l’opinion publique, dont la perception de la fonction de journaliste est plutôt négative. « Il ne faut pas s’acharner contre la profession », nuance M. Bomboté.
« Il faut mettre les journalistes dans les conditions minimales, leur assurer un salaire décent, la protection sociale. L’État peut aider mais c’est aux professionnels eux-mêmes d’agir », poursuit Adama Diarra. Alors que la liberté de la presse perd encore 4 places dans le classement mondial de Reporters sans frontières, celle du Mali semble avoir décidé de se prendre en main afin de redevenir le socle de la démocratie et que les journalistes puissent réellement assurer et assumer leur « pouvoir ».