Le second tour de l’élection présidentielle malienne aura lieu le 12 août. Le chef de l’Etat sortant, Ibrahim Boubacar Keïta, apparaît en position de force. Ce qui soulage et inquiète à Paris
Comment gérer une nouvelle présidence IBK ? Pour la France, dont l’armée déployée dans le Sahel (avec 4000 hommes au titre de l’opération «Barkhane») continue de tenir à bout de bras les autorités de Bamako, l’issue du premier tour de l’élection présidentielle malienne est annonciateur d’un nouveau casse-tête.
Annoncés jeudi, soit quatre jours après le scrutin de dimanche, les résultats créditent d’une large avance le président sortant Ibrahim Boubacar Keita (candidat du Rassemblement pour le Mali), avec 41,42% des voix contre 17,80% à son adversaire habituel, Soumaïla Cissé (candidat de l’Union pour la République et la démocratie), qu’il avait battu en août 2013 avec 77% des suffrages au second tour. La répétition du scénario d’il y a cinq ans semble donc probable le 12 août, date du prochain tour, vues les dissensions de l’opposition dont un nom émerge toutefois nettement: celui de l’homme d’affaires Aliou Diallo, enrichi dans l’exploitation minière et crédité de 7,95% des voix, juste devant l’ancien premier ministre Cheick Modibo Diarra (7,46%).
Le problème, si tel est le cas, est que ce statu-quo politique n’est pas une bonne nouvelle. Soupçonné d’avoir partie liée avec la criminalité organisée – notamment les trafiquants de drogue latino-américains qui utilisent le nord du Mali comme plaque tournante pour acheminer leurs cargaisons vers l’Europe – l’entourage familial d’Ibrahim Boubacar Keitaa largement contribué, en 5 ans, à saper l’autorité d’un Etat Malien par ailleurs incapable de reconquérir les populations «perdues» des provinces du nord où les combats perdurent avec les groupes djihadistes Touaregs.
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La mise sur pied en 2014 de l’opération militaire multinationale G5 Sahel (Mali, Burkina Faso, Niger, Mauritanie, Tchad), après l’intervention de l’armée française au Mali en 2013, sert surtout de rempart contre de possibles offensives djihadistes. Mais elle n’empêche ni les attentats (l’un des derniers, en juin, a fait 5 morts au quartier général de la force à Mopti, dans le centre du pays, suite à une attaque suicide), ni la déliquescence des services publics dans ces régions déshéritées où les populations n’ont aucune confiance dans la capitale.
Un scrutin qui s’annonce controversé
«Dans le nord Mali, IBK reste synonyme d’abandon», nous confiait en mai le journaliste mauritanien Isselmou Ould Salihi, expert reconnu du Sahel, lors d’une conférence organisée au Maroc par le think-tank OCP-PC. «S’il est réélu, à fortiori si le scrutin est controversé, le pays demeurera une poudrière». Or à ce stade, tous les indices concordent pour créditer cette analyse. La participation au premier tour n’a été que de 43%.
La réalité de 300 000 électeurs a été questionnée par l’opposition qui dénonce des fichiers «frauduleux» malgré le satisfecit électoral de l’ONU. Et la tenue du vote au nord, dans les villes de Gao ou Kidal s’est déroulée sous surveillance d’anciens combattants rebelles, ralliés après les accords de paix d’Alger signés en 2015, mais dont l’allégeance peut à tout moment changer. Il a d’ailleurs fallu attendre le 20 juillet pour qu’en fin de campagne électorale, le président sortant se rende à Kidal où il n’avait pas mis les pieds depuis son élection de 2013. De quoi douter de sa promesse, faite alors sur place, d’y construire durant son prochain mandat un aéroport international et un hôpital moderne. L’essentiel de l’infrastructure médicale y est toujours, pour l’heure, assurée sur place par la mission des Nations Unies (Minusca) et par le Comité International de la Croix Rouge (CICR).
L’opposition malienne a pour sa part échoué, avant le premier tour, à incarner une alternative crédible. Avec plus d’une vingtaine de candidats sur la ligne de départ, le scrutin présidentiel a continué d’attiser les divisions, même si la figure émergente d’Aliou Diallo peut préfigurer une nouvelle donne. En axant sa campagne sur le besoin d’infrastructures de base (route, eau, électricité) et en mettant en avant son profil d’entrepreneur privé, le PDG de la société minière Wassoul’Or a su enrôler une bonne partie des petits commerçants et de l’élite musulmane. Une plateforme associative a aussi rejoint sa candidature.
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L’homme d’affaires pourra-t-il, en dix jours, réussir à rassembler face à un IBK passé maître dans l’art d’enrôler ses opposants au gouvernement, avant de s’en séparer ? «Une relève a eu lieu dimanche dans l’opposition malienne», confiait jeudi sur RFI le chercheur Gilles Yabi, du groupe de réflexion Wati basé à Dakar. «La question est maintenant de savoir, au delà du second tour, si la France est prête à parier sur le nouveau venu Aliou Diallo.»
Source: letemps