Le deuxième tour de l’élection présidentielle malienne opposera, le dimanche 11 août, Ibrahim Boubacar Keïta à Soumaïla Cissé. Qui sera élu président de la République ? Jeune Afrique dresse les points forts et points faibles des deux candidats.
L’Histoire joue parfois des tours. En 2002, Ibrahim Boubacar Keïta et Soumaïla Cissé étaient déjà candidats à l’élection présidentielle malienne. IBK avait manqué le second tour pour un peu plus de 4 000 voix. Soumaïla Cissé, lâché par l’ancien président Alpha Oumar Konaré, s’était lui incliné face à Amadou Toumani Touré (ATT) dans le sprint final.
Onze ans plus tard, les deux rivaux se retrouvent, déterminés à enfiler le costume d’homme providentiel d’un pays meurtri par dix-huit mois de crise sécuritaire et politique. Le dimanche 11 août, ils s’affronteront lors du deuxième tour de l’élection présidentielle. Après avoir laissé entrevoir un possible « takokele » (une victoire dès le premier tour, en bambara) d’IBK, les autorités maliennes ont finalement annoncé qu’une seconde manche serait nécessaire pour départager les deux favoris du scrutin.
IBK, éléphant de la scène politique malienne
Ibrahim Boubacar Keïta, 68 ans, candidat du Rassemblement pour le Mali (RPM), est en pôle position. Fort de son score élevé au premier tour – près de 40% des voix -, le palais de Koulouba lui semble enfin promis après ses échecs en 2002 et 2007. Éléphant de la scène politique malienne, c’est un ancien protégé de l’ex-président Alpha Oumar Konaré, dont il a été successivement ministre des Affaires étrangères (1993-1994) puis Premier ministre (1994-2000). Ce CV politique bien garni se double d’un solide réseau africain et européen. IBK est proche du président guinéen Alpha Condé, de son homologue nigérien Mahamadou Issoufou, ou encore du chef de l’État ivoirien Alassane Ouattara. Il connait aussi François Hollande, quitte à parfois être décrit comme le « candidat de la France ». Outre ses connexions diplomatiques, IBK bénéficie officieusement du soutien de certains chefs religieux maliens. C’est un intime de Mahmoud Dicko, leader du Haut conseil islamique du Mali (HCIM), qui a toutefois pris soin de ne pas appeler à voter pour son ami.
Figure connue et respectée à travers le pays, « Kankeletigui » (« L’homme qui n’a qu’une parole ») s’est présenté tout au long de la campagne comme l’homme du renouveau national. Deux lignes directrices se dégagent de son discours : la rupture avec l’ancien régime d’ATT et la renaissance d’un Mali fort, un et indivisible. IBK se montre notamment ferme sur la question des rebelles touaregs, ne voulant pas entendre parler d’Azawad indépendant sans pour autant fermer la porte à une plus grande décentralisation du Nord-Mali.
Un point noir pourrait toutefois l’empêcher de gagner ce qu’il définit comme « son dernier combat ». Bien qu’il s’en défende vigoureusement – voire se braque – dès qu’on aborde le sujet, IBK est perçu comme le candidat des putschistes du capitaine Amadou Haya Sanogo. Au lendemain du coup d’État contre ATT, il a en effet été l’un des rares responsables politiques maliens à ne pas avoir subi de brimades des militaires de Kati, dont il serait le candidat favori. Pour beaucoup, cette proximité supposée avec les pro-putschistes, jugés responsables de l’effondrement national, est impardonnable. Pour d’autres, désireux d’en finir avec l’ancien régime et de restaurer l’honneur de l’armée malienne, c’est au contraire un atout supplémentaire d’IBK.
Cissé, l’économiste outsider
Face à lui, Soumaïla Cissé, 64 ans, fait office d’outsider. Le candidat de l’Union pour la république et la démocratie (URD) est arrivé deuxième lors du premier tour, avec près de 20% des voix, soit environ deux fois moins que son vieil adversaire IBK. Malgré ce gros retard, Soumaïla Cissé n’est pourtant pas battu d’avance.
Ancien ministre des Finances d’Alpha Oumar Konaré et ex- président de la Commission de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA) de 2004 à 2011, ce natif de Tombouctou est un économiste aguerri. Technocrate de formation, il s’est progressivement fait une place de choix dans la vie politique nationale, notamment grâce à son parti, l’URD, créé en 2003. Totalement mobilisée derrière la candidature de son champion, cette formation est une redoutable machine électorale, disposant de centaines d’élus locaux et de dizaines de députés à l’Assemblée.
Outre le soutien de l’URD, « Soumi » dispose aussi de l’appui non-négligeable du Front uni pour la sauvegarde de la démocratie et la République au Mali (FDR), une coalition de partis anti-putschistes dont fait notamment partie l’Adema, principal mouvance politique du pays. Son candidat, Dramane Dembélé, a fini troisième du premier round avec près de 10% des suffrages exprimés. Grâce à ces alliances, Soumaïla Cissé dispose donc d’une importante réserve de voix pour le second tour. Reste à savoir si le pacte électoral du FDR résistera aux sirènes du camp IBK, dopé par les bons résultats du premier tour. Un Modibo Sidibé, quatrième du premier tour avec 5%, pourrait par exemple se faire approcher par la partie adverse qui ne manquera sûrement pas d’arguments.
Maniant aussi bien le français que le bambara ou le peul, Cissé a l’image d’un homme compétent et droit dans ses bottes. Il est toutefois régulièrement attaqué sur son manque de charisme et son profil un peu lisse. Un trait de personnalité qui, face à l’imposant IBK, pourrait se payer cher dans la course au fauteuil présidentiel.
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Benjamin Roger
Source: Jeune Afrique