Les responsables du Pool d’observation citoyenne du Mali (POCIM) étaient face aux hommes de médias le mardi 12 mars 2019 pour la présentation officielle des rapports d’observation de la présidentielle et des concertations régionales de 2018. Le POCIM a été mis en place par des organisations de la société civile maliennes avec le soutien de l’Institut Électoral pour une Démocratie Durable en Afrique (EISA). Ceci dans le cadre de la mise en œuvre du «Projet de renforcement du rôle de la société civile dans la promotion de la paix, la cohésion sociale et le processus électoral au Mali ».
Ce projet bénéficie d’un financement de l’Union Européenne. Bénéficiaire direct et partenaire de mise en œuvre dudit projet, le POCIM est constitué de quatre organisations. Il s’agit de l’Observatoire, du Groupe Pivot/Droit et Citoyenneté de la Femme, du CNJ-Mali et des Volontaires Pour le Mali. Le Pool d’Observation Citoyenne du Mali (POCIM) a déployé, lors des deux tours de l’élection Présidentielle des 29 juillet et 12 août 2018, 84 observateurs à long terme et 1.980 observateurs à Court Terme sur toute l’étendue du territoire national. Le POCIM a aussi déployé, dans le cadre du suivi des consultations régionales, deux observateurs par région et trois dans le district de Bamako. Ces vingt-trois observateurs ont bénéficié de la coordination d’un Comité central technique comprenant cinq superviseurs.
Les enseignements tirés de l’organisation du scrutin présidentiel de 2018
La mission d’observation du POCIM, suite aux scrutins des 29 juillet et 12 août 2018, note un certain nombre de constats relatifs au processus électoral, à la participation de la population et à la société civile. Relativement au processus électoral, la Mission d’observation du POCIM, note que le processus électoral de 2018 s’est traduit par la faiblesse de l’implication des Organisations de la société civile malienne ; le retard dans la promulgation de la Loi électorale, à seulement trois (3) mois de la tenue de l’élection Présidentielle ; la faible vulgarisation de la Loi électorale auprès des populations dont la très grande majorité est non alphabétisée en français ; le grand écart constaté entre le taux de distribution des cartes d’électeurs (75% soit 6.073.181 , à la date du 10 août 2018) et le taux de participation des citoyens a été de 34,42% au deuxième tour du 12 août 2018, soit 2.753.698 électeurs). Il y a aussi la persistance du défi sécuritaire au Centre et au Nord du pays ; la présence des forces armées et de sécurité qui a permis de maintenir un environnement serein et de confiance en plusieurs endroits.
Relativement aux populations, le POCIM note la confirmation de la maturité citoyenne des populations. Le POCIM constate la volonté et la capacité de la société civile malienne à s’organiser et à s’engager en bonne synergie dans le processus de démocratisation pour l’avènement d’une société pacifique ; la mise en œuvre de la veille électorale et de l’alerte précoce dans l’observation des élections qui a permis de prévenir et de régler des incidents, irrégularités et dysfonctionnements liés au processus électoral.
Les recommandations finales du POCIM après le scrutin présidentiel des 29 juillet et 12 aout 2018 au mali
Au regard des observations effectuées dans les bureaux de vote couverts lors des deux tours de la Présidentielle et de tous les constats faits en amont ainsi qu’en aval du processus électoral de 2018, la Mission du POCIM fait plusieurs les recommandations.
Au Gouvernement de créer un cadre propice à l’exercice pacifique, par toutes les sensibilités, des droits et libertés politiques, en particulier les libertés de réunion et de manifestation ; d’intégrer dans le dispositif légal des élections en République du Mali, l’exigence de la publication en ligne des résultats du scrutin par bureau de vote dans un souci de transparence ; d’inscrire, par souci de transparence, dans les textes électoraux de la présence systématique de observateurs à toutes les étapes du processus électoral, y compris les phases de centralisation locale et nationale des votes ; de favoriser l’usage biométrique de la liste électorale dans les bureaux de vote par l’équipement de ceux-ci de terminaux électroniques de contrôle des électeurs a l’accès au vote.
De tels terminaux permettraient, par ailleurs, de minimiser ou dissiper totalement les risques d’incohérence issus du recensement manuel des voix dans les bureaux. Le POCIM demande aussi de favoriser la diligence dans la centralisation et la proclamation des résultats provisoires afin d’éviter tout risque de suspicion ; de mettre en place un organe indépendant et unique de gestion des élections au Mali dans un souci de cohérence et d’efficacité technique et financière ; d’améliorer le cadre organisationnel logistique des futures élections ; de poursuivre un dialogue politique inclusif et fécond pour la gestion consensuelle des dysfonctionnements constatés lors du déroulement du scrutin présidentiel.
La mission d’observation souhaite que le gouvernement formalise, systématise et dynamise les cadres de concertation avec les partis politiques et la société civile ; d’assurer la représentation des femmes à tous les niveaux organisationnels du processus électoral ; de constituer un vivier d’agents électoraux (AE) et le renforcement continu de leurs capacités ; d’élaborer et faire adopter un code d’éthique des agents électoraux (AE) ; d’intensifier les activités de formation, de sensibilisation/éducation électorale pérenne pour une appropriation véritable de la démocratie par les citoyennes et les citoyens du Mali.
Aux candidats et aux partis politiques, le POCIM souhaite faire preuve, en toute circonstance, de modération en vue de bâtir et préserver un cadre propice au dialogue et à la conciliation sur toutes les questions de l’heure ; de recourir aux voies légales pour le règlement du contentieux électoral ; d’accomplir leur mission de service public notamment par la formation, l’éducation et la sensibilisation des militants ainsi que l’encadrement des élus ; d’intégrer et appliquer dans le cadre de leur stratégies politiques, le recrutement et la formation de leurs délégués et mandataires appelés à assurer leurs intérêts dans les bureaux de vote. Cette activité devra être faite assez tôt afin de permettre la pleine et entière appropriation de la matière par ces derniers ;
A la Cour Constitutionnelle de créer un cadre de communication avec tous les acteurs du jeu politique et électoral en vue de susciter leur compréhension des missions et pouvoirs de la Cour ; de communiquer avec les partis politiques et les candidats sur les règles et subtilités du contentieux électoral afin de permettre l’exercice judicieux de leur droit à un recours.
Aux citoyennes et citoyens du Mali de mobiliser et participer davantage aux différents scrutins du processus électoral en cours afin de faire valoir leurs choix ; de préserver et renforcer, en tout temps, la culture de la paix et de la non-violence qui caractérise le peuple malien.
Aux Partenaires techniques et financiers de continuer à soutenir le processus électoral au Mali ainsi que toutes les initiatives en vue d’un retour à la paix et la stabilité sur l’ensemble du territoire national ; de soutenir davantage, sur l’ensemble du processus électoral, les Organisations de la Société Civile malienne dans l’exercice de leur rôle de vigilance citoyenne et d’éveil des populations ; de privilégier une plus grande synergie d’actions dans le renforcement des capacités des Organisations de la Société Civile malienne en vue de l’accomplissement de leurs missions de veille citoyenne, de contrôle et de sensibilisation à l’exercice des droits civiques et politiques au Mali.
Le contexte de la tenue des concertations régionales
Les concertations régionales sur le découpage territorial sont intervenues dans un contexte marqué par la contestation des élections présidentielles par l’opposition ; un report controversé des législatives de novembre 2018 et une poussée djihadiste vers le sud du pays.
Il faut noter qu’à l’issue du second tour de la présidentielle tenue le 12 août 2018, les résultats définitifs, rendus publics le 20 août 2018 par la Cour constitutionnelle, ont confirmé la réélection du président sortant Ibrahim Boubacar KEITA avec 67,16 % des voix. Si le candidat Soumaila CISSE, crédité de 32,84% des voix, avait rejeté d’avance les résultats du vote dès le lendemain du scrutin, l’arrêt de la Cour n’a nullement mis fin aux contestations. Depuis le 25 août 2018, la capitale politique malienne a enregistré, en effet, presque chaque samedi, une manifestation de l’opposition. Ces manifestations, autorisées, se sont déroulées généralement dans le calme et le respect des droits et libertés des manifestants mais aussi des populations. En revanche, celle du 21 septembre 2018, qui a fait l’objet d’interdiction, a été dispersée par les forces de l’ordre et certains partisans de l’opposition ont fait l’objet d’arrestation.
Controverse sur le report des législatives
S’agissant du report des élections législatives, initialement prévues pour les 28 octobre pour le 1ier tour et 18 novembre 2018 pour le 2ième tour, elles avaient été reportées pour le 25 novembre et le 16 décembre 2018.
Ainsi, dans son avis N° 2018-01/CCM du 12 septembre 2018 relatif à la demande du Premier ministre sur la prorogation du mandat des députés à l’Assemblée nationale, la Cour constitutionnelle du Mali avait souligné que « la prorogation du mandat de député n’étant prévue par aucune disposition constitutionnelle ou législative, il y a lieu de se conformer aux dispositions » en vigueur.
Un mois plus tard, contre toute attente, la même Cour, sur la même matière, mais cette fois saisie par le Président de l’Assemblée nationale, va donner un avis favorable pour la prorogation de la législature jusqu’à la fin du premier semestre 2019. La Cour justifie ce revirement par des raisons de force majeure, qu’elle n’explicite nullement dans son avis, et la nécessité d’assurer le fonctionnement régulier de l’Assemblée nationale.
Malgré le mystère ainsi entretenu sur les difficultés sérieuses auxquelles fait face l’État, le Conseil des ministres a acté un report sine die des législatives de 2018 par l’abrogation pure et simple du décret portant convocation du collège électoral. Ce qui pourrait laisser planer un doute sur le respect du terme – fin du premier semestre 2019 – posé par l’avis de la Cour.
Enfin, il convient de rappeler que la dégradation de la situation sécuritaire dans le nord et le centre du pays a été soutenue, de l’avis de tous les observateurs, par la circulation des armes depuis plusieurs années, la montée des tensions intercommunautaires et la faiblesse de la présence de l’État. Depuis la fin des élections présidentielles, la situation n’a guère changé. Le processus de désarmement, de démobilisation et de réinsertion (DDR) des ex-combattants du nord a été officiellement lancé le 6 novembre 2018 à Gao. Si le symbole est à saluer, il faut reconnaitre que ce processus tarde à atteindre une vitesse de croisière malgré quelques développements heureux.
Des remarques spécifiques des concertations régionales
La quête d’un meilleur développement local favorise, périodiquement et en fonction des contingences du moment, une réorganisation administrative destinée principalement à rapprocher l’Administration des administrés et encourager la participation locale.
Il est, toutefois, nécessaire qu’une telle entreprise d’intérêt national se fasse de manière concertée, tout en n’éludant aucune question majeure. Au-delà de l’opportunité conjoncturelle d’une telle réforme, pourraient se poser les questions relatives à la cohérence d’ensemble (base ou critères) d’une telle réorganisation ainsi que la viabilité économique, financière et infrastructurelle des nouvelles entités.
Il ne faut pas perdre de vue le fait que si l’Administration peut être rapprochée de l’administré par le mécanisme de la création de circonscriptions nouvelles peu étendues, elle le peut, tout aussi bien, par l’existence d’infrastructures de qualité permettant notamment de relier tout l’espace administratif.
Cela dit, la question est de savoir sil s’agit tant de créer de nouvelles entités territoriales que d’assurer la viabilité de celles qui existent en y créant les infrastructures et les conditions nécessaires de sécurité. Un tel débat doit être mené en profondeur ; en n’occultant pas les impacts électoraux du redécoupage.
En effet, au Mali la circonscription administrative servant de base au cadre électoral des législatives notamment, il est important d’en mesurer les impacts véritables afin d’éviter qu’un morcèlement excessif d’entités peu peuplées n’aboutisse à des situations d’injustice du point de vue de la représentation nationale.
Recommandations pour donner suite aux concertations régionales de novembre 2018
Là, le POCIM recommande la poursuite du dialogue politique inclusif entre le Gouvernement et l’ensemble des partis politiques. Ce dialogue devra porter sur toutes les questions pertinentes de l’heure, y compris le système électoral et son impact sur la représentation nationale ; la large vulgarisation du contenu de la loi de 2012 sur le découpage territorial ainsi que des textes issus des consultations actuelles ; la poursuite de la viabilisation des nouveaux cercles et régions proposés et de l’ensemble des régions moins dotées en infrastructures socioéconomiques de base ; la publication officielle et claire des étapes à venir, tout en prenant en compte l’ensemble des échéances électorales du cycle de 2018-2019.
Dieudonné Tembely
Source: Infosept