Le projet de loi a été soumis à la hâte au Parlement le 26 mars dernier, au lendemain de l’attentat du musée du Bardo. Après l’attaque de Sousse, les autorités ont annoncé l’accélération de la procédure pour adopter la loi au plus vite. Si beaucoup de partis et personnalités politiques ont exprimé leur appui inconditionnel au principe d’une loi forte, les organisations des droits de l’homme s’inquiètent des mesures liberticides qui pourraient être introduites au nom de la lutte contre le terrorisme. Plusieurs points posent problèmes…
La définition même du terrorisme
Dans le cadre du projet de loi antiterroriste, le manque de précision entourant la définition même du terrorisme pose problème. L’article 13 définit un crime terroriste comme « l’exécution d’un projet individuel ou collectif (…) destiné par sa nature ou son contexte, à diffuser la terreur parmi la population ou à contraindre indûment un État ou une organisation internationale à faire ce qu’il n’est pas tenu de faire ». Peuvent être soumis à cette définition le meurtre d’une personne, les coups et blessures, l’atteinte aux édifices diplomatiques, consulaires ou des organisations internationales, la mise en danger de l’environnement ou de la vie des habitants et enfin les préjudices aux biens privés ou publics. La seule distinction entre un crime terroriste et un crime non terroriste est donc la notion de terreur, le but politique ou idéologique poursuivi n’est à aucun moment mentionné.
La réintroduction de la peine de mort
L’une des principales raisons qui font fortement réagir les ONG est l’introduction de la peine de mort pour les crimes terroristes. Au cours des deux premiers jours de discussion, plusieurs textes mentionnant la peine de mort ont déjà été votés. Par exemple, l’article 26 : « Est coupable d’une infraction terroriste et puni de mort et d’une amende de deux cent mille dinars, quiconque qui commet sciemment un meurtre contre une personne jouissant d’une protection internationale ».
Par ailleurs, dans l’article 28, la peine de mort est mentionnée en cas de viol dans le cadre d’un crime terroriste. La Tunisie a pourtant n’applique plus la peine de mort depuis 1991 et a voté la résolution de l’Assemblée générale des Nations unies appelant à un moratoire sur l’application de la peine de mort. D’après l’article 5 de la future loi antiterroriste, « si la peine encourue est la mort ou l’emprisonnement à vie, elle est remplacée par un emprisonnement de vingt ans ».
Néanmoins la réintroduction dans les textes de la peine capitale fait craindre son application. Différentes ONG dont Amnesty International et Human Rights Watchont appelé la Tunisie à l’abolir complètement. D’ailleurs, si l’ancienne loi antiterroriste de Ben Ali élaborée en 2003 servait d’appui législatif pour opprimer l’opposition, elle ne prévoyait pas la peine de mort.
La prolongation de la garde à vue
Autre sujet de discorde, la durée de la garde à vue. Les ONG de défense des droits de l’homme estiment que la loi introduit des dispositions contraires à la Constitution et au droit international en ne prévenant pas les violations durant la garde à vue. D’après l’article 38, les officiers de la police judiciaire pourront garder un prévenu cinq jours au maximum, mais le procureur du tribunal de première instance de Tunis est habilité à prolonger cette durée à deux reprises. Un prévenu peut par conséquent être retenu en garde à vue 15 jours pour terrorisme, contre 3 jours en temps normal. Une durée déjà très longue selon les organisations internationales qui souhaitent que la Tunisie modifie son code de procédure pénale pour la réduire à 48 heures. Dans une note adressée à l’ARP, le bureau tunisien de l’organisation mondiale contre la torture exposait ses craintes face aux risques d’abus et de torture pendant l’interrogatoire et proposait de ne faire « aucune mention spécifique de la garde à vue » dans le projet de loi.
Le secret professionnel non protégé
« Est coupable d’infraction et puni d’un an à cinq ans d’emprisonnement et d’une amende (…) quiconque, même tenu au secret professionnel, n’a pas signalé immédiatement aux autorités compétentes, les (…) renseignements relatifs à la commission des infractions terroristes », précise l’article 35 du projet de loi, qui a suscité la polémique lors du deuxième jour des débats. Si les avocats sont protégés par ce même article dans le cadre du secret professionnel, ce n’est pas le cas des journalistes ou des médecins. La député du Courant de l’amour, Samia Abbou, avait proposé un amendement pour intégrer ces deux professions mais celui-ci a été refusé. En avril dernier, lorsque le projet de loi a été rendu public, le président du syndicat des journalistes tunisiens avait dénoncé un retour « aux anciennes pratiques » avec la remise en cause de la liberté de la presse.
Une loi qui n’implique pas de réelle stratégie contre le terrorisme
Par ailleurs, la loi est critiquée pour n’avoir pas tenu compte de nombreuses recommandations et pour sa procédure d’adoption en urgence. Les débats des députés laissent entendre que de nombreuses questions ont fait l’objet d’un consensus au sein des commissions préparatoires. La loi est très attendue et devrait être adoptée le 25 juillet, date qui commémore l’assassinat du député Mohamed Brahimi en 2013. Plus que d’une loi, la Tunisie manque surtout de stratégie dans sa lutte contre les groupes jihadistes. Le pays a besoin d’une « réforme des forces sécuritaires intérieures au risque de sombrer dans le chaos ou de renouer avec la dictature », avertit le rapport d’International Crisis Groupsur la réforme et la stratégie sécuritaire paru le 23 juillet.
Source: Jeune Afrique