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Pour réussir une transition apaisée et consensuelle : Il nous faut un pacte de stabilité sociale

Les réformes majeures telles que la refondation de l’État ; la relecture de la charte des partis politiques ; la révision de la constitution et celle du code électoral telles que prévues dans le document du dialogue national inclusif (DNI), ne pourront être aucunement menées à bien sans la participation effective de tout le corps social, notamment : les partis politiques, les syndicats et des mouvements de la société civile. Pour aller vite à ces questions urgentes et prioritaires, l’humilité ; la transparence et l’écoute active doivent être privilégiées par les  dirigeants de la transition afin que, sur la base d’une concertation avec les syndicats et les partis politiques, un pacte de stabilité social puisse être établi.

La conduite des réformes politiques et institutionnelles, la reconquête de la souveraineté nationale, l’instauration d’une gouvernance vertueuse respectueusedu bien public, étaient entre autres les missions confiées à la transition pour les 18 prochains mois. Aujourd’hui, trois mois après, la mise en place du CNT, dernier organe de la transition, cela nous donne l’occasion d’analyser, la pertinence, la crédibilité et la sincérité des actions entreprises, les perspectives, la volonté politique des nouvelles autorités à rompre avec les vieilles pratiques dans le cadre du processus de relèvement du Mali, dit Mali kura.

  1. Sur le Plan sécuritaire :

Depuis la libération de Soumaila CISSE des mains des terroristes, le débat sur l’insécurité et sur la capacité de l’État à protéger les populations refait surface. Faut-il payer des rançons pour libérer des otages ? Faut-il négocier avec les terroristes ? Faut-il mettre davantage l’accent sur l’opérationnalisation d’une force militaire régionale ? Ces problématiques, loin d’être nouvelles se cristallisent aujourd’hui autour ce qui est admis d’être appelé « le cas Farabougou » .

Au-delà de la vraie fausse information sur la libération de ce village des mains des terroristes, il s’alimente aujourd’hui un vrai débat  sur les véritables capacités des autorités de la transition en général mais surtout des militaires en particulier, ayant vraisemblablement pris goût aux délices du pouvoir, à être en capacité de faire face aux enjeux et défis de la crise sécuritaire au Mali.

On se souvient, que pour dissiper le doute et faire la lumière sur la nature de la crise de Farabougou, le gouvernement de la transition a tenu à Niono un forum sur la question. Cette rencontre entre les acteurs (membres du gouvernement, les légitimités traditionnelles, les représentants des communautés, les services déconcentrés de l’Etat) a été, en réalité, une tentative désespérée pour les autorités de la transition de soigner leur image et d’imposer implicitement leur propre lecture de la crise.

Dans un premier temps, l’attaque de Farabougou a été présentée par les médias (nationaux et internationaux) comme une œuvre terroriste. Par la suite, un important effort de communication a été fait par les autorités de la transition pour présenter les évènements sous l’angle d’un conflit intercommunautaire. Les choses présentées sous cette facette présentaient à bien des égards des atouts pour les autorités de la transition.

  • D’abord, au plan logistique et opérationnel, l’image d’un conflit intercommunautaire permet de masquer les carences de l’armée malienne à déloger les assaillants et à les repousser au dehors du village.
  • Ensuite, au plan social et politique, elle justifie une non-intervention militaire des soldats maliens au nom d’une négociation entre filles et fils de la même contrée. Il apparait clairement qu’à partir de ces analyses, la crise de Farabougou, près de trois mois après, ne finit pas encore de révéler  plusieurs zones d’ombres.

il n’est donc pas exagéré de dire que les défis sécuritaires auxquels les autorités de la transition font face, s’inscrivent largement dans un cadre de gouvernance global assez inquiétant. Les opérations militaires actuellement en cours, en absence d’un plan cohérent de reconquête et de sécurisation du pays ne sauraient produire les résultats escomptés.

  1. Sur le plan de la Gouvernance :

Le 30 Octobre dernier, le Président de la transition Bah N’Daou a reçu publiquement au Palais de Koulouba, le dernier Rapport annuel (2019) du Vérificateur Général. Face au Vice-président AssimiGoita et le Premier ministre Moctar Ouane, le Président Bah N’daou a tenu un discours dans lequel il a rappelé que « la situation ne restera pas en l’état ! ». Il a rassuré le Vérificateur général que « dès le lundi, les départements ministériels concernés seront mobilisés pour que les responsables des entités incriminées sachent que la performance n’est pas facultative mais obligatoire. Il n’y a pas d’hésitation possible : c’est soit le Mali, soit la porte ! ». Ces  propos interviennent dans un cadre de transition politique qui se veut une période  de changement véritable ; lequel changement doit toucher au fond la gouvernance au Mali.

Déjà à  son discours d’investiture, Bah N’Daou avait annoncé les couleurs de son implacable lutte  contre la corruption. S’il ne peut pas arrêter la corruption, il s’est par contre engagé à ne couvrir aucun corrompu ni corrupteur. Un discours qui avait été accueilli par des applaudissements nourris dans la salle des 1000 places du CICB. Trois mois après nous avons bien peur que le Président de la Transition, le Colonel à la retraite Bah NDaw ne nous serve que beaux discours. Le ton qu’il met dans sa voix, la manière assez particulière qu’il a à marteler les mots   sont autant d’éléments qui prouvent que le locataire de Koulouba aime jouer sur le registre de l’émotion car, plus le temps passe plus ses propres contradictions se révèlent au grand jour. Il est pratiquement inconcevable qu’un Chef d’État qui ambitionne de lutter contre la corruption puisse faire plus d’un mois dans l’exercice de ses fonctions sans faire la déclaration publique de ses biens.

  1. Sur le front social :

Au-delà des questions de légitimité des revendications, du timing, de légalité ou de l’opportunité, les autorités de la transition doivent savoir qu’un État dans une situation comme la nôtre ne se gère pas dans l’arrogance, les invectives, les insultes encore moins dans la division et l’opposition des maliens. Souvenez-vous, IBK l’avait appris à ses dépens.

La grève est un droit constitutionnel reconnu aux travailleurs de la République du Mali, il appartient aux autorités d’user les innombrables mécanismes en leurs dispositions afin d’instaurer un dialogue d’explications, de compromis et de solutions partagées par tous.

Il est quand même étonnant que ceux qui , hier encore,avaient pris d’assaut le boulevard de l’indépendance pendant que l’État était à genoux, pendant que les crises sécuritaire et sanitaire, politique et économique battaient leur plein, se proclament aujourd’hui « donneurs de leçons » avec comme seul argument la situation difficile du pays. Rien de nouveau sous les tropiques.

La réalité aujourd’hui, c’est que les Impôts, Douanes, Banques, Services de Santé, Trésor, les Banques et Institutions financières, tous les services publics entre autres observent scrupuleusement le mot d’ordre de l’UNTM.

Ces velléités de confrontation entre les syndicats et le gouvernement sonnent comme un coup dur pour les autorités de la transition. Les défis sont si grands et le temps tellement restreint, qu’il est pratiquement impossible pour le gouvernement de la transition de faire face à toutes les doléances corporatistes.

Or, Couplée à un contexte sanitaire, sécuritaire déjà difficile qui ont déjà compromis les perspectives économiques du pays pour cette année 2020, « le désert ambiant » dans les services publics aujourd’hui nous donne un avant-goût des conséquences économiques désastreuses de la grève de l’UNTM sur le pays. Le déficit prévisionnel de 2021 qui s’élève à près de 700 milliards de FCFA, le taux de croissance revue de 5% en 2020 à 0,44% en 2021 sont autant d’indicateurs qui prouvent à suffisance si besoin est, qu’il urge d’aller vers des négociations sérieuses dans le cadre d’un Forum Social, en vue de l’adoption d’un Pacte Social conformément aux résolutions et recommandations du DNI.

Par ailleurs, nous devons garder à l’esprit, que le caractère exceptionnel de la transition fait qu’elle ne peut et ne doit engager la responsabilité de l’État sur des questions d’ordre structurel profondes. Ceci pourrait expliquer quelque part la retenue du gouvernement face aux revendications syndicales.  Mais tout porte à croire que les groupes syndicaux cherchent à rentrer dans un rapport de force avec l’État. Celui-ci est certes défaillant, mais dispose toujours des moyens d’action face aux groupes syndicaux.

Au nom de la stabilité, de l’intérêt général ou encore, au nom de la préservation de l’ordre public ; l’État en tant que puissance publique peut, par la voie d’une décision politique, restreindre certaines libertés publiques.  Mais une telle décision serait très mal perçue dans le contexte actuel dans la mesure où elle serait butée à un problème de légitimité. A ce stade, il n’y a donc pas d’alternative au dialogue entre le gouvernement et les partenaires sociaux.

La période de grâce accordée aux nouvelles autorités par le peuple malien est terminé. D’erreurs en erreurs, les autorités de la transition perdent de leur crédibilité un peu chaque jour aux yeux des populations. Ceci contribue à créer les conditions nécessaires de nouvelles crispations sociales qui pourraient bien aboutir à des manifestations de rue et des mouvements de contestations populaires, conséquence d’une militarisation progressive de la transition et du danger sur les acquis démocratiques.

C’est pourquoi, l’hypothèse d’une nouvelle crise politique n’est pas en effet à écarter. Comme pour ne rien arranger, en voyage à l’étranger depuis la Côte d’Ivoire, le Président a laissé entendre à propos de la grève de l’UNTM que « dans l’état actuel du Mali, comment quelqu’un qui jouit de toutes ses facultés peut parler de grève ? ». De tels propos dans le contexte de fragilité actuelle que connaisse le Mali apparaissent comme incendiaires. Car, au-delà de toutes les polémiques, comme évoqué plus haut, le droit de grève est un droit  que nul ne pourrait suspendre de manière arbitraire. Il est donc important que les autorités de la transition sortent de leur égo et changent leur regard sur les syndicalistes qui ne font qu’exercer leur droit le plus fondamental. A ce titre, tous les moyens légaux et politiques doivent être mis en place pour permettre de renouer la négociation entre les deux parties.

  1. Sur le plan Politique :

La mise en place du Conseil National de Transition (CNT), quelque peu entachée par des irrégularités, continue de faire l’objet de plusieurs controverses. Les attentes toujours élevées des populations vis-à-vis de la classe dirigeante font osciller les espoirs sur la capacité du nouvel organe de transition à relever les défis. Pourtant, les missions assignées au CNT ont été clairement définies, conformément au contenu de la charte de la transition, autour du contrôle de l’action gouvernementale. Cette tache revêt une lourde responsabilité dans le contexte politique actuel du Mali. L’enjeu majeur demeure la refondation de l’État.

Ce premier élément d’analyse se trouve renforcer par un deuxième lié à la principale mission du CNT qui consiste à contrôler l’action du gouvernement. Pourtant, le contrôle de l’action gouvernementale par le législatif sous-entend au préalable un minimum de séparation des pouvoirs. Comment donc peut-on parler de contrôle lorsque l’organe qui doit être contrôlé est le même qui a nommé l’organe contrôleur ? Ceci est tellement paradoxal que, objectivement, il convient de souligner le risque potentiel que le CNT ne devienne qu’une chambre d’enregistrement pour le Gouvernement. Un tel scénario pourrait entacher la qualité et la légitimité des décisions de l’organe législatif, d’autant plus que celui-ci est fortement contesté par la classe politique et la société civile.

Mais au-delà, le débat ne saurait être ramené à un débat purement juridique comme nous avons tendance à le voir avec ceux qui dénoncent une mascarade juridique. Pourtant, la mascarade juridique, c’est depuis que des militaires, soutenus par une partie de la classe politique,  ont exigé et obtenu la démission d’un Président de la république, se sont  par la suite assis sur la Constitution en encourageant et soutenant un coup d’État, qui reste un crime imprescriptible. Dans les faits, nous ne sommes donc plus dans un régime démocratique mais une situation exceptionnelle dominée par les militaires. Applaudir un coup d’État et réclamer un régime de régulation démocratique apparaît inapproprié. Des lors, malgré les gymnastiques, on va devoir rester dans l’illégalité jusqu’aux prochaines élections générales en gérant les grandes questions sur un plan politique et de façon consensuelle.

En réalité, sur cette question, nous assistons à une guerre fratricide entre anciens alliés du CNSP et du M5-RFP. Ce dernier ayant perdu le combat politique face aux militaires pour gérer la transition, doit s’assumer et retourner au boulevard de l’indépendance ou attendre les prochaines élections.

En tout état de cause, face aux défis et aux enjeux de l’heure, il est plus qu’impérieux que l’ensemble des forces vives de la nation puissent agir de concert pour la réussite de la transition, il faut donc faire des compromis, car personne ne dispose d’une légitimité démocratique.

Les réformes majeures telles que la refondation de l’État ; la relecture de la charte des partis politiques ; la révision de la constitution et celle du code électoral telles que prévues dans le document du dialogue national inclusif (DNI), ne pourront être aucunement menées à bien sans la participation effective des partis politiques, des syndicats et des mouvements de la société civile. Pour aller vite à ces questions urgentes et prioritaires, l’humilité ; la transparence et l’écoute active sont entre autres des valeurs qui doivent caractérisées l’attitude des dirigeants de la transition afin que, sur la base d’une concertation avec les syndicats et les partis politiques, un pacte de stabilité social puisse être établi.

Dr Etienne Fakaba SISSOKO,

Professeur à la Faculté des Sciences Économiques et de Gestion

Chercheur au Centre de Recherche et d’analyses Politiques, Économiques et Sociales du Mali

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