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Pour ne pas perdre le nord : Revenons à l’Accord de paix !

En ce début d’hivernage, symbole d’espoir pour notre pays et des millions de nos compatriotes, l’humeur des Maliens est morose et leur perception de l’avenir pas très optimiste eu égard à la situation au Nord et à la crise dont la résolution semble patiner sérieusement ces derniers jours.

moussa joseph mara ancien premier ministre yelema

Les dernières semaines ont été marquées par des situations aussi confuses que dramatiques pour la paix et l’entente entre les Maliens. Il en est ainsi du quasi psychodrame relatif à l’installation des autorités intérimaires  qui  accaparent  les  énergies  et  les  débats  alors  qu’elles  ne  sont  qu’une  étape  du processus et non un point central de ce dernier. Il y a la crise de confiance de certains acteurs du processus de paix (la plateforme et particulièrement le GATIA) face à l’attitude du Gouvernement semblant privilégier les rebelles séparatistes. Il y a eu les  affrontements à Kidal et  de manière générale la gestion de la question de cette ville en l’absence de l’État. L’insécurité rampante sur fond de  conflits  communautaires  et  de  replis  identitaires,  particulièrement  dans  ce  contexte,  est  à déplorer. Il y a surtout les questions relatives à l’état de nos forces de défense, rappelé si douloureusement par l’attaque de Nampala. Ou encore, les défiances des populations vis-à-vis de l’État et de ses représentants, illustrées à Gao sur fond d’incertitudes sur les perspectives de sortie de crise. Tout cela dans un cadre ou le comité de suivi de l’Accord est réduit à gérer des problèmes logistiques, des revendications de perdiem… plutôt que de suivre l’Accord et de faire avancer le processus. Il y a enfin le Gouvernement qui semble perdre l’initiative et réduit à suivre la cadence des groupes armés plutôt que fixer l’agenda, le tempo, le rythme de mise en œuvre de l’Accord, entraînant les autres dans son sillage. C’est ce qui est attendu de lui et ce qui est demandé par l’Accord de paix lui-même !

On semble un peu déboussolé comme ayant perdu le nord (sens figuré) mais faisons attention à ne pas perdre le Nord au vrai sens du mot !

Il est impératif que les autorités maliennes réexaminent leur implication dans le processus de paix et reviennent à l’essentiel dans la conduite de ce dernier. Or, l’’essentiel est ailleurs, et ailleurs c’est l’Accord de paix. Il faut revenir à cet Accord, établir quelques vérités posées par lui et essayer de reprendre fermement le chemin de sa mise en œuvre. Dans cette perspective, quelques jalons sont à poser et si cela est amorcé, il convient d’en accélérer la mise en œuvre.

Le  chantier  de  la  réconciliation  nationale  et  particulièrement  celui  de  la  conférence  d’entente

nationale est prioritaire. Il est d’ailleurs la première action annoncée par l’Accord de paix (chapitre 2

Article 5 relatif aux fondements de l’Accord) pour permettre aux Maliens de se parler, d’évoquer ensemble les racines profondes de la crise multidimensionnelle dans laquelle nous sommes plongés et de convenir ensemble des voies et moyens pour en sortir en renforçant nos liens séculiers. Cette conférence d’entente nationale doit vider une bonne fois pour toutes la question du nom AZAWAD, et  nous  permettre  de  concevoir  une  charte  d’entente  nationale  qui  fixera  les  grands  axes  des relations sociocommunautaires, les rapports du Malien et de l’État, les attitudes à bannir de nos comportements  (la  violence  comme  moyen  d’expression  politique,  le  mauvais  usage  du  bien public…), l’engagement à œuvrer au renforcement du tissu social, etc. La conférence d’entente nationale  sera  une  bonne occasion pour entendre les  Maliens  évoquer  le  Mali  de  leur  rêve et s’engager à le réaliser.

Elle nous permettra de libérer un peu la parole aux forces vives et,  pour peu qu’elle soit bien organisée,  elle  peut  nous  permettre  de  nous  fixer  un  nouveau  cap !  Nous  devons  l’organiser rapidement. L’idéal est de le faire avant la fin de l’année 2016 et avant la réforme constitutionnelle dont certains éléments s’y référeront.

Le second chantier majeur de l’Accord porte sur les réformes institutionnelles et de gouvernance à apporter  pour  que  l’État soit  reconfiguré  afin de mieux  prendre  en  compte  les  aspirations  des Maliens. Nous savons tous que la crise au Nord de notre pays est d’abord une crise de l’État et la conséquence d’errements dans la gestion publique depuis quelques décennies. Ces insuffisances ont creusé un fossé entre les citoyens et les autorités et fait le lit de plusieurs formes de rébellion dont la forme violente se manifeste dans le septentrion. Il nous faut rebâtir l’État sur certains fondements dont le principal est la confiance à restaurer entre les citoyens et leurs représentants. La décentralisation améliorée, la régionalisation et les nouvelles possibilités offertes aux collectivités, telles que préconisées par l’Accord de paix, illustrent cette ambition de redonner des perspectives aux citoyens et de situer leurs préoccupations au cœur de l’action publique. Nous ne devons pas perdre cette substance de l’Accord de paix et devons engager rapidement les différents chantiers vers ce but. La Constitution de notre pays est à revoir pour prendre en compte cette nouvelle vision. De nombreux autres textes (code des collectivités, code électoral, code des impôts, code minier, Décrets de transfert de pouvoir dans de nombreux domaines, textes relatifs à la création, à l’organisation et aux fonctionnements de nombreux services publics, statuts du personnel de l’administration…) seront touchés par cette vague de réformes. Nous avons à définir rapidement comment l’État va renforcer les moyens des collectivités en leur transférant 30 % des ressources publiques comme stipulé par l’article 14 de l’Accord conformément aux souhaits des états généraux de la décentralisation organisés en décembre 2013. Nous devons améliorer notre système de lutte contre la corruption conformément aux indications de l’Accord de paix (article 46). Où en est-on de ces différents chantiers ? Qu’a fait en la matière la sous-commission du comité de suivi en charge des réformes institutionnelles et de gouvernance ? L’énergie déployée sur les autorités intérimaires et le temps y consacré auraient été tellement plus utiles, s’ils avaient été orientés sur ces chantiers !

Le chantier le plus crucial de l’Accord de paix est celui consacré aux questions de défense et de sécurité car ayant une incidence directe sur la sécurité des populations et l’amélioration du climat entre les différentes composantes de notre pays. Nous avons malheureusement la sensation paradoxale que ce chantier n’est pas prioritaire ! Si l’Accord devait pacifier notre pays, ce serait à travers la mise en œuvre diligente de ses dispositions relatives à la défense et à la sécurité. Selon les dispositions du document (titre III, chapitres 7 à 11, articles 17 à 30 et annexe 2), l’essentiel des actes devait être posé en six mois après la signature de l’Accord. Après 13 mois, la traduction concrète des nombreuses prescriptions de l’Accord n’est toujours pas perceptible. L’Accord demande de restructurer la Commission technique mixte de sécurité (CTMS) prévue par l’Accord de Ouagadougou et de mettre en place le comité technique de suivi qui sera l’organe majeur de suivi des dispositions sécuritaires et de défense du processus de paix. Ce comité doit mettre en place un mécanisme opérationnel de coordination dont l’activité principale sera de conduire des patrouilles mixtes sur l’ensemble du théâtre des opérations. Cela devait commencer dans le trimestre de la signature de l’Accord. Où en est-on aujourd’hui ? Cette disposition est cruciale. Nos autorités publiques doivent engager le chantier de sa mise en place car elle permettra de tester véritablement la bonne foi de tous les groupes armés. Il conviendra de communiquer abondamment sur ce chantier pour que les populations et la communauté internationale sachent ce qui se passe, qui veut avancer et qui fait du dilatoire !

La réintégration des anciens combattants de la rébellion constitue un élément clé de la mise en œuvre de l’Accord de paix. La commission de réintégration mentionnée dans le document a été mise en place. On ne sait pas si les termes de la réintégration des combattants ont été définis et convenus entre  les  parties  signataires  de  l’Accord.  Il  est  néanmoins  évident  que  ce  processus  n’a  pas commencé. Il semble même qu’on en soit loin car la liste des troupes des différents groupes n’est pas disponible. Nos autorités doivent sur ce segment là également mettre la balle dans le camp des groupes armés et mettre en lumière ceux qui traînent les pas.

Au chapitre du désarmement, démobilisation, réinsertion (DDR), les choses ne semblent pas en progrès. L’indisponibilité des sites de cantonnement, la confection des listes des combattants concernés et même la coopération des parties signataires autour de ce segment majeur de la mise en œuvre de l’Accord de paix constituent des sujets de préoccupation dans ce domaine. La résultante de la  situation  est  un  patinage  du  processus.  Or  la  réintégration  et  le  DDR  conditionnent  la restructuration des forces armées et sans doute leur redéploiement sur l’ensemble du Nord, précédant en cela l’administration qui ne saurait être présente sur une portion du territoire sans être sécurisée par les forces indiquées pour ce faire. Cet obstacle majeur est à traiter par les autorités qui doivent faire le maximum à leur niveau pour que toutes les conditions soient réunies afin qu’on avance. Les retards devant ainsi être imputés à la mauvaise volonté des groupes armés. Est-ce que du côté du Gouvernement tout a été fait dans cette optique ?

La loi d’orientation et de programmation militaire votée en début 2015 prend en compte la mise en œuvre de l’Accord de paix, y compris en ses phases de réintégration et de DDR. Malheureusement, elle n’est pas suffisamment mise en œuvre du fait de l’insuffisance de nos moyens financiers. Il est souhaitable que nous priorisions la mise en œuvre de cette loi et que nos partenaires en soient convaincus. Il est indispensable que les autorités nationales mobilisent les Maliens autour de cette question car de la remise en état de nos forces armées et de sécurité dépend en grande partie la mise en œuvre de l’Accord de paix et la stabilisation du pays. Ce n’est ni la MINUSMA ni les forces françaises  qui  feront  la  stabilité  du  Mali demain.  Il faut  que  les  FAMA  soient  au cœur  de  nos politiques publiques et de nos planifications stratégiques. Les événements tragiques de Nampala ont montré que face à certaines menaces, nous serons seuls. Nous devons nous organiser pour engager la restructuration de nos capacités dans le domaine de la défense et de la sécurité. L’Accord le demande. Les circonstances nous l’imposent et nous l’imposeront de plus en plus.

La  dernière  action  prévue  par  l’Accord  dans  ses  aspects  de  défense  et  de  sécurité  est  le redéploiement des forces armées et de sécurité reconstituée. Cela sous-entend clairement que le redéploiement de l’armée se fera après les phases de réintégration et de DDR même si rien ne dit que les forces redéployées doivent être constituées pour l’essentiel d’anciens rebelles ni que les anciens rebelles réintégrés ne puissent être affectés en d’autres parties du territoire. Le plan de redéploiement  doit  au  moins  être  disponible  et  toutes  dispositions  doivent être  prises  par  nos autorités pour que ce redéploiement soit engagé dès que les préalables sont remplis. En attendant cela,  le  Mécanisme  opérationnel  de  coordination  (MOC)  ainsi  que  les  patrouilles  mixtes  bien organisés permettront d’assurer la présence des FAMAS sur l’ensemble du territoire et donc contribuer à favoriser le retour de l’administration sur l’ensemble du territoire.

Un autre chantier important de l’Accord et une exigence majeure pour l’État est le redéploiement de l’administration sur l’ensemble des zones où elle n’est pas encore effectivement présente. L’État malien et nos autorités doivent accorder à cet objectif toutes leurs attentions. Les populations voient dans la présence de l’administration la preuve du retour à la normale. On doit s’en convaincre et s’organiser  pour  la  réaliser.  Dans  un  premier  temps,  toutes  les  zones  où  l’administration  n’est présente que de manière symbolique alors que rien, à part une insécurité rampante, ne s’oppose à

cela, doivent être réoccupées rapidement. Par exemple, toute la région de Mopti, certaines zones du nord de Ségou, de Koulikoro voire de Kayes figurent dans cette catégorie. Il n’est pas compréhensible que les forces maliennes n’occupent pas et ne sécurisent pas ces zones. Il est encore moins normal que l’administration du territoire, la justice ou encore les services de base n’y fonctionnent pas correctement. Cela est de la responsabilité de l’État qui doit nous dire clairement comment il compte gérer cette situation et nous engager à l’accompagner dans cette tâche. Dans un second temps, il y a de nombreuses espaces au Nord (exemple de la région de Gao et quelques cercles de Tombouctou ou de Ménaka), de nombreux cercles et villes où on pourrait collaborer avec les groupes armés signataires de l’Accord pour travailler à leur sécurisation tout en engageant un redéploiement de l’administration. L’appui de la MINUSMA dans cette optique peut être obtenu. Il faut impérativement que  des  efforts  soient faits  dans  ce  sens si on veut  montrer aux Maliens affectés  par  la crise, notamment aux réfugiés, que l’on se préoccupe de leur sort et engager ainsi un mouvement qui pourra être parachevé par le redéploiement de l’administration sur le reste du territoire (Kidal…).

En droite ligne du retour de l’administration sur le territoire, la mise en place d’organes légitimes à la tête des collectivités territoriales doit être une priorité. Mieux que les autorités intérimaires, ce sont les conseils municipaux, locaux et régionaux légitimes qui sont indiqués pour accompagner utilement l’État dans la mise en œuvre de l’Accord de paix et de traduire dans les faits les nouveaux pouvoirs à transférer aux pouvoirs locaux. Les autorités maliennes doivent inverser leur priorité de traitement de ce chantier en engageant l’organisation des élections locales partout sur le territoire national. Là où cela s’avèrera difficile, on pourrait envisager la mise en place des autorités intérimaires comme cela  est  indiqué  dans  l’annexe  1  de  l’Accord  de  paix :  « la  mise  en  place,  le  cas  échéant,  des autorités… ». Dans cette dernière option, les autorités maliennes doivent veiller à ce que la mise en place des autorités intérimaires se fasse de manière inclusive et que les élus locaux, les légitimités traditionnelles, les forces vives (ONGs, organisations de jeunes et de femmes,) soient associés au niveau de chaque collectivité où on envisage d’instaurer une autorité intérimaire en attendant que les  conditions  soient  réunies  pour  y  organiser  des  élections  locales.  Le  Gouvernement  devrait aborder ce dossier de cette manière plutôt que de faire de la mise en place des autorités intérimaires son  objectif  principal  dans  la  mise  en  œuvre  de  l’Accord  de  paix.  Ce  qui  a  été  présenté précédemment montre clairement que l’application de l’Accord de paix suppose autre chose.

L’Accord de paix est un accord de reconfiguration de l’État malien et de redéfinition des nouveaux termes d’un vivre ensemble qui sont indispensables pour sortir notre pays de l’ornière. Ce n’est pas un document de partage de pouvoirs. Il est indispensable de le clamer haut et fort à l’endroit des groupes armés mais aussi de la communauté internationale. Le pouvoir s’acquiert dans les urnes, pas au bout du fusil ! Cela n’est pas possible dans un vieux pays comme le Mali. Même s’ils avaient conquis tout le Mali par les armes, ils ne pourraient le gouverner sans l’acceptation des populations. Pas plus au Nord qu’ailleurs, on ne peut imposer de leader sans accord des populations.

Il est temps que l’État malien affirme son leadership dans la conduite du processus de paix, sur chacun de ses segments et aller au-delà des desiderata des uns et des autres, y compris les partenaires. C’est à nos autorités que revient le rôle de nous mettre tous ensemble, groupes armés, société civile, acteurs politiques, accompagnés par nos amis de l’extérieur pour travailler à la construction d’un Mali nouveau comme si bien mentionné dans le second paragraphe de l’annexe 1 de l’Accord de paix. Gageons que la récente nomination d’un haut représentant du chef de l’État en charge de la mise en œuvre de l’Accord de paix constitue une belle occasion pour amorcer la reprise en main du processus par l’État malien !

Moussa MARA

 

 

La rédaction

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