Le vendredi 22 novembre 2019, lors d’une conférence débats à Bamako, André Bourgeot, Directeur de recherches émérite au Laboratoire d’anthropologie sociale du CNRS et spécialiste du Sahel, a dénoncé l’incapacité des autorités politiques et militaires du Mali, de même que les forces internationales présentes au Mali (MINUSMA, Barkhane) à faire faire face à détérioration de la situation sécuritaire actuelle au Mali. Que faut-il faire aujourd’hui pour un retour de la paix au Mali, Selon le spécialiste du sahel, il faut une coordination des mouvements populaires (forces de la société civile, partis politiques, religieux, etc.) pour changer le rapport de force en faveur du Mali, afin de contraindre la France et la communauté internationale à revoir leur copie.
Invité par le complexe scolaire supérieure ESC-Mali (Ecole supérieure de Commerce) School of Management, le conférencier André Bourgeot débattu avec les étudiants sur le thème : « réflexion sur la paix au Mali.» L’Accord de paix d’Alger, l’opération Takuba, la militarisation mondialisée de l’espace sahélien n’ont pas échappé à l’analyse du spécialiste du Sahel.
Selon Bourgeaot, ce n’est pas la France qui est responsable de la situation actuelle du Mali, mais plutôt la politique française. Donc, appuie André, plus vous avez un discours globalisateur, plus ça va être contre productif pour vous, parce que vous aller faire en sorte que les français, y compris les français progressistes, vont se sentir agressés. Donc, conseille André Bourgeot aux étudiants, faites référence à la politique française. « A savoir qu’il y a des forces progressistes en France qui soutiennent le Mali tout le temps et par tradition historique aussi. Tout ces discours globalisateurs peuvent faire l’objet de manipulation politique très facile. Faisons donc attention. Ce qui s’est passé à Macina entre peulh et Dogons avec un discours globalisateur l’ethnie peulh contre l’ethnie Dogon, est une aberration redoutable. Ça n’a fait qu’entretenir les animosités, ça crée des conditions de relations conflictuelles inter ethniques et entre intercommunautaires », a fait remarqué l’orateur. De son point de vue, il y a des forces politiques qui ont intérêt à ça, ça entretien le chaos. « L’Etat est complètement démissionnaire », martèle André Bourgeot.
Interrogé sur les chances du Mali d’avoir la paix, André Bourgeot, a été on ne peut claire. Pour qu’il y ait retour de la paix au Mali, dit André Bourgeot, je ne préconise rien, je donne des analyses qui sont approuvées ou désapprouvées par le peuple malien. « Je dirai que, je ne vois pas comment le Mali pourrait sortir de cette crise extrêmement grave s’il n’y a pas création d’un grand mouvement populaire et pacifique. Je ne parle pas de révolte ou de soulèvement ou autres choses. Je parle d’un grand mouvement populaire qui combinerait des forces de la société civile, des parties politiques, et aussi des religieux. Ensuite, on négocie les conditions de l’alliance entre ces trois composantes de la société. Et si ça se faisait sur l’ensemble des grandes villes du Mali, le pouvoir politique actuel et la communauté internationale et la France seraient obligé de prendre en considération ce grand mouvement, parce qu’il crée les conditions de modification de rapport de forces politiques. »
Cela veut-il dire que les politiques et l’armée malienne ont échoué dans leur mission de recouvrir toute la souveraineté du Mali ? Sans ambages, Bougeot dit : « Au vu quand même de ce qui se passe, je ne peux pas dire que c’est une grande victoire des forces politiques et militaires malienne ; pas plus que c’est une grande victoire des forces militaires étrangères qui sont au Mali telles que Barkhane et la Minusma. C’est un échec généralisé », a affirmé Bourgeot. Et de poursuivre en ces termes : comment expliquer que les salafistes étaient il y a trois ou quatre ans au Nord et que maintenant ils sont partout au Mali. Ils sont aussi au Burkina Faso bientôt aussi en Côte d’Ivoire. « Donc c’est un échec des décisions prises sur les bases exclusivement sécuritaires et militaires. Ce n’est pas sur ces bases seulement que l’on peut aller. Il faut changer de stratégie. Je ne suis pas le seul à le dire. « Il faut changer de stratégie ». Mais le changement de stratégie, incombe aussi aux décideurs politiques », a souligné André qui estime toute autre action sans coordination sera voué à l’échec. « Tant qu’il n y a pas de concertation entre les pouvoirs politiques et les pouvoirs militaires et de coordination entre toutes les entités que je viens de citer dessus, ça sera l’échec. L’exemple de Takuba est très révélateur. Quand la ministre de la défense Florence définit la Takuba comme un sabre. Takuba n’a jamais été un sabre. C’est un glaive. Donc si une ministre, sans être méchant, fait la confusion entre sabre et glaive c’est inquiétant. On peut faire aussi des confusions, ou commettre des erreurs politiques. C’est le glaive des gladiateurs romains qui n’a rien à voir avec un sabre ».
A la question de savoir si l’opération Takuba peut relever le défi de la lutte contre terrorisme, André Bourgeot est dubitatif . « Takuba va changer quoi ? C’est une opération qui intervient en urgence. Normalement c’était le travail de G5 Sahel qui intervenait sur le Luptako Gourma. Le G5 Sahel n’a pas pu intervenir. Ce n’est pas Takuba qui résoudra le problème. Au contraire, ça va récréer la cohésion entre les groupes djihadistes. Donc si ce n’est pas assortie de nouvelles stratégies, de nouveaux modes d’intervention de la part des militaires étrangers globalement parlant ».
La présence massive des armées d’Europe du moyen orient n’est pas passée inaperçue dans les analyses du conférencier. « Je ne sais pas si le Mali voit ce qui se passe avec l’arrivée des militaires d’Europe du Nord, des militaires des Emirats Arabes Unies, l’Arabie Saoudite, etc. Donc maintenant le Mali sert de mondialisation, d’une militarisation mondialisée sur son territoire. C’est grave. Je pense que les décideurs et politiques maliennes ne sont pas très conscients de ce qui se passe sur l’ensemble de l’espace sahélo saharien ». 70 à 90 militaires des Emirats Unis, dit André Bourgeot, se trouvent à la frontière nigéro-Libyenne. S’ils sont là, ça ne peut être qu’avec l’accord des autorités politiques nigériennes.. Est-ce qu’actuellement, ils ne sont pas en train de tester les possibilités de création d’une armée Européenne ? »
Hadama B. Fofana
Source: Journal Le Républicain-Mali