Après avoir contraint le président Ibrahim Boubacar Kéita à dissoudre l’Assemblée nationale et à présenter sa propre démission dans la nuit du mardi au mercredi (18-19 août 2020), les responsables des soldats mutins ont fait une déclaration au nom d’un Comité National du Salut du Peuple (CNSP). Une lucide présentation de l’Etat de la nation après 7 ans d’exercice du pouvoir par IBK, une analyse exhaustive de la situation politique, sociale, économique d’un pays toujours poussé vers le chaos par ses dirigeants politiques. Et pour éviter l’éternel retour à la case départ, avec un autre coup d’Etat dans 4, 8, I0 ou plus, il faut que ces jeunes officiers s’assument jusqu’au bout.
«Afin d’éviter au pays de sombrer, nous, forces patriotiques regroupées au sein du Comité National pour le Salut du Peuple (CNSP), avons décidé de prendre nos responsabilités devant le peuple et devant l’histoire d’assurer la continuité de l’Etat et des services publics» ! Telle est l’assurance donnée aux Maliens et à la communauté internationale par les leaders de la mutinerie qui a éclaté à Kati mardi matin pour aboutir à la dissolution de l’Assemblée nationale et à la démission forcée du président Ibrahim Boubacar Konaré.
Les nouveaux maîtres du Mali (il n’y pas d’homme fort qui se dégage pour le moment du groupe de jeunes officiers) ont pris langue avec le peuple à travers une déclaration mercredi (19 août 2020) presqu’au l’aube (vers 3h30 du matin).
Une déclaration lue par le Colonel-major Ismaël Wagué (chef d’état major adjoint de l’Armée de l’air), entouré du Colonel de la Garde nationale Malick Diaw (région militaire de Kati) et du Colonel Sadio Camara, ancien directeur du Prytanée militaire de Kati et qui suit une formation en Russie. Ce que nous avons noté dans ce discours, ce qu’ils sont conscients du poids de leur acte. Et ils ont raison de dire que «cette lourde responsabilité ne s’accomplira pleinement qu’avec l’ensemble des forces vives de la nation». Et c’est sage de leur part de rappeler que «l’heure est au-delà des clivages politiques et idéologiques semant les graines de l’affrontement et de l’intolérance conduisant à la haine qui est maléfique».
Mais, mesurent-ils réellement les enjeux de cette prise de pouvoir, cette entrée fracassante dans l’histoire du Mali sans cesse poussé au bord du chaos depuis près de deux décennies par ceux à qui le peuple à confier sa destinée ? Il ne serait pas sage et opportune pour les responsables du CNSP de s’engager dans une chasse aux sorcières (tous les dirigeants politiques et officiers arrêtés doivent être libérés même s’il faut les tenir à l’œil pendant un moment). Mais, ils doivent s’assumer jusqu’au bout pour achever leur mission de salut public officiellement entamé dans la matinée du mardi 18 août 2019.
Leur action salvatrice ne doit pas se limiter à prendre le pouvoir à IBK pour le remettre à ses opposants qui sont aussi responsables du déclin politique et économique du pays. Ce que le peuple attend d’eux, c’est de poser les jalons du nouveau Mali, de relancer la démocratie malienne sur des bases solides et pérennes pour évite un nouveau retour à la case-départ comme ce fut le cas lé 22 mars 2012 avec Amadou Haya Sanogo et sa bande.
La transition n’aboutira au salut public avec la classe politique actuelle
Une analyse objective de la situation nous amène à dire qu’IBK est d’autant responsable du tableau noir de l’état de la nation peint dans leur déclaration que ceux qui contestaient son pouvoir dans la rue depuis début juin dernier. Si personne ne doit être écarté de la conquête du pouvoir par les urnes, nous pensons que le CNSP est libre de choisir les hommes et les femmes avec qui les militaires veulent gérer la transition politique maintenant. Et cela serait une grave erreur d’impliquer directement les leaders de la classe politique actuelle qui, sans doute, vont continué à œuvrer à créer les conditions leur permettant d’avoir toujours la main mise sur le pays.
Puisque c’est le pouvoir qui les intéresse, qu’ils se concentrent sur la préparation des prochaines élections générales qui ne doivent pas non plus être organisées de façon précipitée. Il ne s’agit pas de les écartes totalement, parce qu’ils ont leur mot à dire sur l’élaboration de la nouvelle constitution, d’une nouvelle loi électorale, d’une nouvelle charte des partis politiques… Mais, cette classe politique ne doit siéger nullement dans l’organe de transition pour ne pas le détourner de sa vraie mission.
Celui-ci, en plus des militaires, doit être composé de cadres et personnalités d’une moralité à toute épreuve, aux compétences avérées et au patriotisme incontestable. Il ne s’agit pas non plus de remettre en selle des vieux dinosaures toujours omniprésents, mais rarement efficace et silencieux quand il faut.
Et nous sommes sûr qu’avec la bonne volonté, le CNSP aura plutôt l’embarras du choix parce que, comme il l’a dit dans sa première déclaration publique, «le Mali est riche de ses hommes». Et ce ne sera pas de la mer à boire que de trouver des hommes et des femmes dont la seule ambition est de remettre le pays sur les rails et enterrer définitivement les vieux démons des putschs à répétition par le rétablissement de la cohésion sociale et bien-être socioéconomique.
«Nous ne tenons pas au pouvoir, mais à la stabilité du pays qui nous permettra d’organiser dans des délais raisonnables consentis des élections générales pour permettre au Mali de se doter d’institutions fortes capables de gérer au mieux notre quotidien et restaurer la confiance entre les gouvernants et les gouvernés», a déclaré la nouvelle junte.
Le mouvement démocratique hors jeu
Nous ne croyons pas qu’elle parviendra au changement espéré si elle se croit obligée de continuer à, composer avec la même classe politique qui a conduits notre pays dans ce chaos sociopolitique et sécuritaire. Elle ne pourra tirer rien de réellement positif pour la nation de cette classe politique issue du mouvement démocratique.
Elle est responsable du fait que le Mali soit devenu «un pays riche dont l’existence, en tant qu’Etat et nation, est menacé dans ses fondements» et qui sombre «de jour en jour dans le chaos, l’anarchie et l’insécurité». De 1992 à ce 18 août 2020, ce sont les mêmes qui ont eu entre leurs mains «sa destinée» en changeant souvent de casquette et de veste pour être toujours présents à la table des convives.
Donc que les leaders de la mutinerie qui ont contraint IBK à la démission s’assument jusqu’au bout en gérant le pays le temps de créer les conditions de le doter d’institutions crédibles. Et comme l’a déclaré le Comité, «la vrai démocratie ne rime point avec la complaisance, ni faiblesse de l’autorité de l’Etat qui doit garantir la liberté et la sécurité du citoyen». Si ces jeunes officiers veulent réellement briser le cycle de «la mauvaise gouvernance avec son lot de frustration» qui a fait perdre aux Maliens «l’espoir d’un avenir meilleur», ils doivent achever l’œuvre entamée le mardi 18 août 2020. Et cela en ayant à l’esprit que si nous en sommes là aujourd’hui, c’est parce que la Révolution de mars 1991 est restée inachevée.
Tout comme le coup d’Etat du 22 mars 2012 qui n’a pas pu rétablir une bonne base pour l’enracinement de la vraie démocratie qui aurait pu nous éviter cette «grave crise institutionnelle», la corruption et la mauvaise gouvernance.
L’histoire ne les jugera pas seulement d’avoir mis fin à l’anarchie qui commençait à s’installer par la faute du pouvoir et du M5-RFP, mais ils porteront aussi la lourde responsabilité de ce que le pays sera devenu suite à leur intervention sur la scène politique. Alors autant s’assumer et prendre toutes les dispositions d’entrer de la façon la plus honorable dans l’histoire comme ceux qui ont redressé la démocratie malienne et permettre au pays de réellement amorcer son émergence par une victoire sur la mauvaise gouvernance, la corruption, la délinquance financière, la gabegie et l’impunité.
Et la communauté internationale (notamment la CEDEAO) doit comprendre qu’elle a fait son devoir en essayant par tous les moyens d’instaurer le dialogue entre IBK et le M5-RFP afin d’éviter ce qui était devenu une évidence au fil et à mesure que le pays s’enlisait dans cette crise. Mais, le vin est maintenant tiré et il faut le boire. Elle doit alors prendre conscience qu’elle rendrait plus de service aux Maliens en accompagnant le CNSP à assainir la gouvernance qu’à le condamner.
Le Mali veut avant tout tourner la page et avancer ! Que les décisions de la communauté internationale ne soient pas une entrave à cela !
Hamady Tamba
LE MATIN