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Le Pays :
IBK est parti mais les problèmes persistent. Selon vous, que faut-il faire pour sortir de la crise ?
Housseïni Amion Guindo
Je pense que le plus difficile est à faire. Je considère que le départ d’IBK était le plus facile. Ce qui est le plus difficile, c’est comment avoir un nouveau Mali. Et ce nouveau Mali, pour nous, n’est possible qu’avec un nouveau malien.
Depuis quelques jours, il y a des propositions venant de partout concernant la transition. Les débats sont houleux sur la question. Nous pensons que, pour sortir de la crise et préserver les acquis démocratiques, nous devons nous référer à la Constitution du Mali qui n’est pas suspendue. Nous, nous pensons que cette transition doit être simple. Elle doit, surtout, concerner la sécurisation du pays et ensuite, l’organisation d’une élection présidentielle crédible. Il est important qu’on permette au peuple de s’exprimer. Nous pensons qu’une transition n’est pas la période appropriée pour les reformes. A la différence de la transition de 1991 où il y a eu consensus pour aller à une démocratie multipartite, cette fois-ci, le consensus n’existe pas même si, de plus en plus, il y a consensus autour de l’acceptation du départ de IBK. Mais par rapport à l’avenir, à qu’est-ce qu’il faut reformer, ce qu’il faut changer au niveau de la Constitution, ce qu’il faut changer au niveau des institutions…, chacun a son projet. Et pour nous, il appartiendra à chaque candidat à la prochaine élection présidentielle de se prononcer sur toutes les questions, d’avoir son programme politique, institutionnel, social…pour gérer le problème. Ce n’est pas du colmatage qui va permettre de résoudre le problème, il faut une vision. Préservons les acquis démocratiques, préservons notre constitution. Il y a des institutions qui sont dissoute : le gouvernement, l’Assemblée et le président de la République qui s’est demis. Interrogeons le peuple pour rélégitimer les institutions. J’avoue que ce ne sont pas les textes qui sont forcément mauvais au Mali. Le problème, c’est l’application de ces textes. Le peu de textes dont on dispose ne sont pas encore appliqués, soit tout le monde se met au-dessus de ces textes. Je pense que c’est le Malien qui doit changer fondamentalement et non les textes.
Le Mali est sous embargo de la CEDEAO et est victime des sanctions de beaucoup d’organisations de la communauté internationale. Pour la levée de ces sanctions, la CEDEAO exige une transition d’un an et dirigée par un Président civil. Pourtant, beaucoup d’organisations proposent plus d’un an. D’autres proposent jusqu’à deux ans. Comment sortir de cette situation alors ?
Au-delà de la CEDEAO, il y a certains pays, notamment les pays de l’Amérique du nord et certains pays européens, à chaque fois qu’il y a un coup d’État ou un régime d’exception, leur constitution leur interdit certaines formes de coopération.
Quant aux sanctions de la CEDEAO, elles s’expliquent. Je ne dis pas qu’elles se justifient mais elles s’expliquent parce que nous sommes dans un cadre communautaire. Il y a des conditions qui ont été posées pour que nous puissions éviter à nos populations certaines souffrances. Il s’agit d’avoir un Président civil de la transition, d’avoir un premier ministre civil. Quant aux militaires, ils auront leurs rôles à jouer à tous les niveaux. Je pense que les militaires n’ont pas dit moins que ça. Dans leur première déclaration, ils ont dit qu’ils viennent parachever une action patriotique et qu’ils allaient mettre en place une transition civile. Je pense que les mots ne se contredisent pas. Il est important d’aller à ça pour aussi qu’on ait l’intelligence de nous éviter certains problèmes.
Au Mali, le problème n’est pas forcément que c’est le politique qui est mauvais ou que c’est le militaire qui est mauvais en général. Je pense que dans tous les corps, à tous les niveaux, il y a des bonnes personnes comme des mauvaises. Il faut alors tout faire pour identifier ces bonnes personnes pour que nous puissions sortir de cette crise.
Parlant de l’architecture de la transition. Combien de mois ou d’années proposez-vous comme la durée ?
Pour nous, la transition doit aller de 9 à 12 mois. Il ne faut pas s’éterniser dans une transition. Ce n’est pas une bonne chose. Il y a certains engagements qu’une transition ne doit pas prendre. Nous savons que certains pays sont plombés aujourd’hui à cause de certains engagements pris par la transition. C’est pourquoi, nous, nous pensons que cette transition doit avoir deux objectifs majeurs : la sécurisation du territoire nationale et l’organisation de l’élection présidentielle. Il nous faut un Président qui soit élu sur la base de son programme. Un président qui nous dira ce qu’il fera de la constitution, de ce qu’il va faire de l’Accord d’Alger, de ce qu’il fera de ces nombreuses crises sociales : santé, école, administration. Il nous faut un Président légitime pour faire des réformes majeures.
En essayant, sans interroger le peuple, de mener les reformes aujourd’hui, on risquera de créer une constitution du plus fort. Pas forcément du plus raisonnable mais de celui qui va s’imposer aux autres. Le consensus est très difficile aujourd’hui. Or, une transition, si elle n’est pas consensuelle, je crains des risques que, quand cette transition doit poser des reformes, que ces réformes ne manquent de légitimité aux yeux de beaucoup de Maliens.
Êtes-vous d’avis avec ceux qui disent que les politiques ne doivent pas faire partie de cette transition ?
Je ne suis, personnellement, pas intéressé à entrer dans un gouvernement de transition. Mais il est important de signaler que ce n’est pas tous les politiques qu’il faut mettre dans le même sac comme on ne peut pas mettre tous les Maliens dans le même sac, comme on ne peut pas mettre tous les militaires dans le même sac. A tous les niveaux, y en a qui sont bon, y en a qui ont le souci du pays. Être politique, c’est être en contact, au quotidien, avec les populations les plus vulnérables ; être politique, c’est aussi avoir des responsabilités sociales. Donc être politique n’est pas rien. Ce n’est pas tout le monde qui peut être politique. La politique est noble parce qu’elle permet de construire les pays. C’est le cas dans tous les pays. Maintenant, faisons-en sorte que nous ayons des bons politiques et les bons politiques, ce n’est pas une génération spontanée. Ce n’est pas parce qu’on sait bien parler qu’on est bon politique. Un bon politique, c’est celui qui est enraciné dans notre société. Moi qui vous parle, je ne suis pas venu à la politique comme ça. Je suis venu à la politique après avoir accompli beaucoup d’actions sociales et réclamé par la population à Sikasso.
Mais je veux enfin dire que pour la neutralité de la transition, il est important que les politiques ne soient pas prioritaires dans la transition. C’est seulement pour la neutralité. Ce n’est pas parce que les politiques sont mauvais. Ayons une transition neutre pour permettre aux politiques d’aller solliciter le suffrage des populations en toute neutralité.
L’atelier de validation des Termes de références des concertations nationales des forces vives de la nation a été tenu les 5 et 6 septembre dernier. Avez-vous espoir quant aux conclusions de ces prochaines concertations ?
Je pense honnêtement que tout cela est inutile. Nous étions de ceux qui pensaient que ces militaires auraient pu, d’abord, se montrer, eux-mêmes, désintéressés par le pouvoir et en prenant la responsabilité de designer, en leur âme et conscience, un Président de la transition civil pour l’intérêt du peuple. Ils auraient même pu designer le premier ministre de la transition parmi les civils, parmi les personnalités respectables et respectées dans notre pays. Je vous avoue que si, eux, s’étaient montrés désintéressés par le pouvoir et dire qu’ils font confiance à tel président de transition qui est apolitique, impartial, consensuel, on n’en serait pas là. Tout ce qu’on sent aujourd’hui, c’est une tentative d’accaparement de part et d’autre du pouvoir de la transition. Chacun veut que ce soit neutre mais chacun veut s’en approprier. J’aurais souhaité que ces militaires s’assument jusqu’au bout. Je ne pense pas qu’on aura des consensus à partir des concertations. Tombouctou ne dira pas la même chose que Bamako, Kayes ne dira pas la même chose que Mopti, Kidal ne dira pas forcement la même chose que Koulikoro. Or, nous avons une urgence.
Un an comme durée de la transition n’est-elle pas trop courte selon vous ?
Nous sommes en démocratie et il faut respecter notre constitution. Mais quel autre rôle cette transition peut avoir si ce n’est que d’organiser l’élection d’un président sur une base saine, propre, transparente, crédible et acceptée de tous ? Qui d’autre a le droit le droit de diriger ce pays sauf l’élu ? Pour nous, en un an de transition, on peut organiser l’élection présidentielle. En trois mois, on peut auditer le fichier électoral, on peut vérifier toutes les listes électorales et aller à des élections. Une élection présidentielle n’a pas besoin du changement de la constitution. Pour nous, seule par la voie démocratique et constitutionnelle, on peut sortir de cette crise car personne ne peut imposer son idée à l’autre à l’état actuel. C’est pourquoi, il nous faut vite avoir un Président démocratiquement élu pour gérer le pays. Ce n’est pas à une transition de gérer notre pays. Je comprends que ceux qui disent que la transition doit durer ont du dégout pour les hommes politiques. Mais que ceux-ci sachent que le pays ne se construira pas sans hommes politiques.
Quand cette transition va se prolonger, il y aura des soubresauts. Il y aura une opposition à la transition. Des gens vont marcher contre la transition. Que personne ne pense qu’on peut instrumentaliser cette transition en sa faveur.
Votre message au peuple malien ?
J’ai un message de solidarité au peuple malien qui souffre énormément. La priorité, aujourd’hui au Mali, c’est le rassemblement national, sans qu’on ne se donne la main, absolument rien ne sera possible parce que nous avons un pays en proie à la balkanisation. Donnons-nous la main, diminuons le clivage, allons à l’essentiel, respectons ce qui nous unit : nos textes, et essayons d’aller de l’avant.
Réalisée par Boureima Guindo
Source: Journal le Pays-Mali