En écoutant les dirigeants africains s’adresser à l’Assemblée générale des Nations unies cette année, le message était catégorique et unanime : le continent ne veut plus être victime de l’actuel ordre mondial. Il se veut une puissance mondiale en soi avec laquelle il faut désormais collaborer et non un terrain de jeu des puissances.
La majorité des pays africains a vécu une vie d’indépendance de plus de 60 ans et le continent avec plus de 1,3 milliard d’habitants est plus que conscient des défis qui étouffent son développement. Ces dernières années, l’Afrique a fait preuve d’audace en siégeant au G20, et elle a sûrement montré clairement sa capacité à devenir une puissance mondiale, grâce à ses efforts pour lutter contre le changement climatique même si elle contribue de loin le moins au réchauffement climatique.
En marge de l’Assemblée générale des Nations unies, la Banque africaine de développement a mobilisé certains dirigeants politiques et économiques lors d’un événement intitulé “L’Afrique imparable”, une expression considérée comme reflétant les aspirations du continent.
Avec le plus grand bloc de pays aux Nations unies, les dirigeants africains exigent de plus en plus une plus grande voix dans les institutions multilatérales. Ces exigences vont s’accentuer à un moment où le continent est courtisé par les grandes puissances et dans un contexte de concurrence géopolitique croissante.
Mais avec une population jeune qui devrait doubler d’ici 2050, l’Afrique est la seule région en croissance rapide où ses habitants s’appauvrissent. Elle fait face à de graves défis de gouvernance. Certes, le monde s’intéresse de plus en plus à l’Afrique et à la manière dont elle contribue aux défis mondiaux actuels, et il existe certainement un potentiel pour que l’Afrique s’affirme davantage et conduise un changement progressif et plus juste dans le système mondial.
Cependant, le continent dépend fortement de l’aide étrangère pour ses besoins de développement, recevant la plus grande part de l’aide mondiale totale. Pourtant, elle continue de souffrir d’un système financier mondial qui oblige ses pays à payer huit fois plus que les pays européens les plus riches, ce qui entraîne une augmentation de la dette, qui ronge ce qui reste des recettes publiques en baisse.
La capacité de l’Afrique ne réside pas seulement dans sa population mais aussi dans ses riches ressources naturelles. Toujours est-il que parler d’une voix collective est entravé par des politiques nationales plutôt que régionales. Le principal obstacle au développement de l’Afrique est sa fragmentation en plus de 50 pays.
Alors que les dirigeants africains parlaient avec enthousiasme du continent en tant que force sur la scène mondiale, il est certain que les dirigeants doivent d’abord commencer par faire bénéficier leurs peuples des dividendes de leurs politiques de gouvernance à l’interne.
Dans cette région richement dotée, au moins la moitié de ses 54 pays figurent parmi les 30 moins développés du monde, selon le dernier indice de développement humain des Nations unies. En Afrique, la corruption chronique et la mauvaise gouvernance ont privé des millions de personnes des avantages que procure le fait d’être le plus riche continent en ressources naturelles. Or, les peuples africains ne réclament que la réduction de la pauvreté, la stabilité des Etats, la sécurité, le développement sociopolitique et socio-économique et la bonne gouvernance.
Aussi, la seule grande organisation panafricaine – l’Union africaine – est incapable de diriger et de défendre efficacement le continent. En cette période cruciale où le continent est confronté à une myriade de défis sécuritaires, il a besoin d’un leadership efficace et fort, doté à la fois de ressources humaines et naturelles, pour jouer un rôle de leader et diriger le continent dans le nouvel ordre mondial.
Si l’Afrique veut être prise au sérieux, ses dirigeants doivent s’attaquer aux graves défis auxquels le continent est confronté, y compris les défis tels que les conflits aigus dans plusieurs régions, dont certains sont motivés par le désespoir de la population face à l’incapacité à garantir la sécurité et une gouvernance de base acceptable par le peuple.
Ces mêmes dirigeants africains ne doivent mendier ni l’attention, ni le respect des autres ou même les supplier de s’associer avec eux. La prospérité de l’Afrique reposera sans doute sur la confiance des citoyens en leurs compétents dirigeants et le respect des gouvernants des pays du reste du monde.
Le monde traverse une période capitale, caractérisée par des changements importants dans la structure du pouvoir international. Pour être en mesure d’évaluer correctement les événements actuels, l’Afrique doit consacrer ses énergies à déterminer les propriétés structurelles des changements en cours.
En outre, il appartient aux Africains de veiller à ce que l’agenda africain soit représenté et protégé de manière adéquate dans l’élaboration du nouvel ordre mondial. L’Afrique doit organiser sa politique et sa diplomatie internationale avec une compréhension claire de ce à quoi le continent est sur le point de faire face dans le monde.
C’est aux dirigeants africains de comprendre que bien que l’ordre mondial actuel tende vers la multipolarité, mais qu’il est déséquilibré du fait de la déconnection entre la géopolitique et la géoéconomie du monde. Au-delà du non-alignement, c’est à eux de dégager des stratégies pour rééquilibrer l’ambition unipolaire des puissances actuelles et œuvrer pour une véritable démocratisation des affaires mondiales. C’est à eux de défendre la place qui revient au continent dans l’architecture multipolaire émergente. Il est temps pour de leaderships visionnaires ambitieux, compétents et sérieux.
Cheick Boucadry Traoré
Mali Tribune