France et Mali divergent sur l’opportunité de négocier avec les forces islamistes, mais les esprits évoluent.
Manifestation contre la Mission des Nations unies pour la stabilisation au Mali (Minusma) et l’opération « Barkhane », le 19 août 2020 à Bamako.
Manifestation contre la Mission des Nations unies pour la stabilisation au Mali (Minusma) et l’opération « Barkhane », le 19 août 2020 à Bamako. ANNIE RISEMBERG / AFP
Négocier avec les djihadistes, est-ce une option pour sortir d’une guerre qui n’en finit pas ? En tel cas, quelles sont les concessions que les autorités seraient prêtes à accorder à un ennemi intérieur qui combat sur le terrain militaire mais aussi sur celui des valeurs sociétales ? Au Mali, ces questions sont posées depuis plusieurs années. Le principe de l’ouverture d’un dialogue avec les groupes islamistes armés qui sévissent principalement dans le nord et le centre du pays a été acté en 2017 et réitéré ces derniers jours par le premier ministre de la transition. Dans un entretien le 3 décembre à France 24 et à RFI, Moctar Ouane a exprimé le souhait de son gouvernement « d’engager le dialogue avec tous les enfants du Mali sans exclusive », celui-ci découlant d’une volonté d’« être en phase avec la volonté des Maliens et de tenir compte des réalités nationales ».
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Jusqu’ici, la France s’est montrée fermement opposée à l’ouverture de pourparlers avec ceux qu’elle désigne comme « groupes armés terroristes ». « Avec les terroristes, on ne discute pas. On combat », a sèchement résumé Emmanuel Macron dans une longue interview donnée fin novembre à Jeune Afrique. Un condensé de la position constamment défendue par Paris. Ainsi, en avril 2017, la Conférence d’entente nationale, un vaste conclave censé réunir les différentes composantes du pays, avait préconisé de « négocier avec les belligérants du centre, en l’occurrence Ahmadou Koufa », le chef de la katiba Macina, et « les extrémistes religieux du nord, en l’occurrence Iyad Ag Ghali », devenu depuis l’émir du Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM). Jean-Marc Ayrault, alors à la tête de la diplomatie française, avait dans la foulée été dépêché à Bamako pour signaler l’opposition de Paris à une telle initiative.
Reste que, malgré le refus de son principal allié militaire, le Mali n’a pas renoncé à l’ouverture de pourparlers directs avec les djihadistes. Ce souhait a été répété fin 2019 lors du Dialogue national inclusif puis assumé en février par le président Ibrahim Boubacar Keïta (« IBK »). Tout en se disant « sans aucune grande naïveté » sur les chances de parvenir à un accord inspiré par la politique de « concorde civile » mise en œuvre en Algérie, le chef de l’Etat, depuis renversé par un putsch, expliquait sa volonté de « créer tous les espaces possibles et de tout faire pour que, par un biais ou un autre, on puisse parvenir à quelque apaisement que ce soit. Parce que le nombre de morts aujourd’hui au Sahel devient exponentiel, je crois qu’il est temps que certaines voies soient explorées ».
Aucune démarche engagée
Après le très influent imam Mahmoud Dicko, qui estime qu’il faut « récupérer ceux qui sont Maliens afin de tarir l’environnement de ceux que l’on ne contrôle pas », l’ancien président de transition Dioncounda Traoré (2012-2013) avait été mandaté il y a un an pour « écouter tout le monde ». Des contacts ont été établis avec l’assentiment des autorités, avant d’être brutalement interrompus. Des initiatives locales ont vu le jour dans le centre; des négociations directes pour des libérations d’otages – comme celles de Sophie Pétronin, de l’opposant Soumaïla Cissé et de deux Italiens en octobre – ont été menées entre les services de renseignement maliens et les patrons du GSIM, toujours implantés dans le nord du pays.
Cependant, selon des sources concordantes, à ce jour, aucune démarche n’a été engagée, aucun dispositif n’a été installé pour nouer un dialogue politique avec les islamistes armés. Après la main tendue par « IBK », Iyad Ag Ghali avait posé comme seul préalable à l’ouverture de négociations « la fin de l’occupation raciste et arrogante des croisés français » et le départ des casques bleus de la Minusma. Quelques années plus tôt, en 2016, le principal acteur du djihadisme au Sahel s’était dit prêt à un cessez-le-feu proposé par l’imam Dicko, à condition que la charia, la loi islamique, soit imposée sur l’ensemble du Mali, pays dont il reconnaît l’intégrité territoriale.
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« Demander le départ des soldats de “Barkhane” peut être une position de principe à l’entame de discussions, sachant que la France ne le fera pas dans l’immédiat car cela sera interprété comme une défaite, analyse un négociateur de l’ombre. La clé est sûrement à trouver dans des dispositions pratiques qui permettront de passer d’une République laïque à une République islamique comme celle existant en Mauritanie, en réfléchissant à la place de la charia, des cadis [les juges islamiques]. Cela avait déjà été évoqué lors des négociations de Ouagadougou en 2013. »
« Il est possible, poursuit une source à la présidence malienne, que les djihadistes ne croient pas eux-mêmes au dialogue, mais si jusqu’ici le pouvoir n’a pas voulu dans les projets de révision constitutionnelle toucher au caractère laïque de la République, dans les cercles religieux se pose depuis plusieurs années la question de faire de l’islam la religion d’Etat car c’est une réalité de fait au Mali. »
« Agenda de terreur »
Du côté de Paris, si se dessine dans un premier temps une réduction du nombre de soldats après l’envoi de renforts consécutif au sommet de Pau en janvier, les principes affichés jusqu’ici n’ont pas fondamentalement évolué. « L’Etat islamique au Grand Sahara n’est pas soluble dans la négociation. Seule une réponse militaire peut être opposée à son agenda de terreur, prévient un officiel de haut rang. Concernant le GSIM [dont les positions se sont grandement élargies ces derniers mois], son état-major est un relais des dirigeants centraux d’Al-Qaida dont le seul but est de créer un hub djihadiste pour s’en prendre aux intérêts occidentaux dans le golfe de Guinée. Iyad Ag Ghali est une cible d’action, pas un partenaire de négociation. Croire que l’on va régler le problème en dialoguant avec lui nous parait aussi erroné que dangereux. »
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A ce discours martial, concrétisé sur le terrain par l’élimination régulière des têtes du GSIM, comme l’opération ayant tué le 10 novembre Bah Ag Moussa, le « chef militaire » de l’organisation, cette source introduit une inflexion : « Le GSIM est une sédimentation de plusieurs tendances dont une bonne partie des effectifs peut être soluble dans une solution politique. Nous n’avons aucune raison d’entraver des mécanismes de discussion qui peuvent faire baisser la tension. Aujourd’hui, Ahmadou Koufa n’est plus dissociable d’Iyad mais, si demain Iyad n’est plus là, il pourrait jouer une carte personnelle. »
Nombre de militaires impliqués dans les opérations au Sahel laissent désormais entendre que seule une négociation avec certaines franges djihadistes permettra de sortir d’un conflit aujourd’hui sans horizon de paix.
Source : Le monde.fr