Ralliant la commune de Dolendougou à celle de Nangola dans le Cercle et Région de Dioïla, le bac de la rivière de Sorokoro joue un rôle capital au plan socio-économique et sanitaire en cette période de crue. La panne de vingt jours de cet engin de transport, à notre passage le 29 octobre 2022, n’avait pas fini de faire ses victimes. Reportage !
Il est 11 heures 43 minutes. Nous sommes sur les berges de la rivière de Sorokoro, sous un soleil plomb. Sorokoro, c’est un village de la commune rurale de Dolendougou, cercle de Dioïla. Il est situé à environ 180 km de Bamako. C’est ce village bozo par excellence dont la rivière porte le nom.
Ce 29 octobre 2022, à l’entrée de la rivière, un car de transport en commun vide est stationné ; des camions chargées de marchandises aussi. L’on compte environ une dizaine de camions immobilisés. A côté de ces engins, les chauffeurs et apprentis sont là tous indignés de la situation. « Nous sommes là, il y a bientôt deux semaines. Le bac qui sert à traverser la rivière est en panne, il y a vingt jours. Nous n’avons pas d’autre choix que de dormir dans toutes les conditions ici sur les berges », nous témoigne un chauffeur dans la foulé.
De l’autre côté de la chaussée, des vendeuses du poisson braisé ont monté leur quartier général. C’est un business qui marche bien. « Oui, il y a du marché. En plus des passagers, il y a les chauffeurs et leurs apprentis de ces camions (elle fixe un chauffeur sur une vieille natte sous son camion) qui nous achètent constamment les poissons braisés », nous confie, sourire aux lèvres, Assa, l’une des vendeuses.
Au pied de la rivière, le bac est là, immobile. A l’intérieur de l’engin, de l’huile souillée y est versée partout. Rien à faire, le moteur de l’engin est en panne, il y a vingt jours, sans solution. « Ce bac ne bouge pas il y a vingt jours. Pour pouvoir transporter nos passagers à Bamako en quittant vers Béléko ou Kignan, nous sommes obligés de faire déplacer un autre car de Bamako. Le véhicule venant du côté de Béléko se gare au bord de la rivière et fait traverser tous les passagers et leurs bagages par pirogues. De l’autre côté de la rivière, un car vide venu de Bamako les récupère et les ramène. Le retour se fait dans les mêmes conditions. C’est vraiment lamentable », nous explique Abdou Ouologuem, conducteur de car, un véhicule de transport en commun.
Les bonnes affaires des conducteurs de pirogues
Dans cette situation très difficile, les conducteurs de pirogues se frottent bien les mains. A longueur de journée, ils sont les seuls maîtres de la rivière. « Nous passons toute la journée à faire traverser les passagers et des marchandises. On fait tout notre possible pour satisfaire chacun », témoigne Lamine Dembélé, un conducteur de pirogue à Sorokoro.
A la question de savoir combien il gagne par jour, notre interlocuteur éclate de rire sans nous dire exactement ce qu’il gagne. « Actuellement avec la panne du bac, la recette journalière par conducteur de pirogues varie entre 25 000 et 30 000F CFA », lance-t-il.
Pendant que l’on visite le bac, des conducteurs de pirogues continuent la navette sur la rivière. Les produits de premières nécessités et autres marchandises et même des bétails sont acheminés à l’autre rive. Dans cette opération, à chacun son prix et ses conditions. Arouna Fomba, transporteur, témoigne : « Les frais de transport sont de 500F CFA par passager. Pour les marchandises, c’est vraiment un business des conducteurs des pirogues. Il n’y a pas de prix fixe. »
Des dégâts inestimables !
Les vingt jours de panne du bac ont fait d’énormes dégâts. Aucun de nos interlocuteurs sur place n’a pu évaluer ou estimer la valeur de ces pertes. « Cette panne nous a causé un dégât de marchandises d’une valeur inestimable », souligne Arouna Fomba, transporteur. Il poursuit : « Un jeune du village de Bonégué a rendu l’âme au bord de cette rivière, faute de moyen pour traverser l’eau et l’emmener au Centre de santé de référence de Fana pour y être soigné. »
Dans la foulée, le maire de la commune rurale de Nangola, Drissa Traoré, nous confie : « Le 22 octobre 2022, un commerçant a perdu trois bœufs d’une valeur de 1.080. 000F CFA dans cette rivière. »
Revoir la gestion du bac
Mis sur l’eau en 1997 avec deux moteurs, le bac de Sorokoro n’avait jamais fait quinze jours en panne. « Depuis l’arrivée de ce bac en 1997, il n’a jamais subi une panne de quinze jours. C’est la première fois dans l’histoire de ce engin », témoigne Issouf Dembélé, chef du village de Sorokoro.
La raison avancée par nos interlocuteurs comme la principale cause de cette panne est la mauvaise gestion. « C’est le lendemain de la mise en place d’un comité de gestion que le bac est tombé en panne. Après vérification, nous avons constaté que le premier moteur ne marchait plus il y a cinq ans et qui n’a jamais été réparé. Aussi, il y avait plus de trois ans que le second moteur qui vient de tomber aussi en panne, n’avait pas bénéficié d’entretien. Le pire dans tout ça, c’est qu’il n’y avait pas de comité de gestion, encore moins une caisse. Dieu merci, nous avons eu un moteur que nous allons monter pour faire traverser rapidement les camions stationnés », explique Oumar Touré, chef de Subdivision des routes de Dioila.
Gninto Dembélé, le maire de la commune rurale de Dolendougou, déclare : « Si le bac fonctionne normalement, il peut faire une recette journalière allant jusqu’à 100 mille francs CFA. Malheureusement, il était mal géré. »
Trouver un autre gestionnaire
Madani Konaté, commerçant et transporteur, estime qu’il faut confier la gestion du bac aux transporteurs ou aux commerçants. « Aujourd’hui, nous sommes capables d’acheter des nouveaux moteurs ou même un nouveau bac. Mais, tant que sa gestion est opaque, nous ne sommes pas prêts à y jeter notre argent. On a une fois proposé aux autorités de Dioïla de nous louer ce bac durant toute la période de la crue de la rivière, mais elles ont refusé », souligne-t-il.
Selon Oumar Touré, il est préférable de transférer la gestion du bac à l’autorité routière. « Il faut confier la gestion du bac à la société civile ou à la mairie », souligne Arouna Fomba, transporteur. Lamine Dembélé, transporteur et leader de la société civile à Fana, propose que le bac soit géré par les villages environnants.
Dans l’ensemble, la plupart des acteurs locaux estiment que le bac n’est pas une solution durable. Ainsi, ils rappellent que le bitumage de l’axe Fana-Béléko-Mèna-Kignan-Doumanaba-Gongasso avec la construction d’un pont à Sorokoro est la seule solution durable permettant de désenclaver la localité, surtout en garantissant une meilleure mobilité. C’est aussi le combat du Mouvement Siraba depuis 2017, conformément à la promesse faite par le gouvernement en mai 2015 dans sa Déclaration de Politique Générale (DPG).
Ousmane BALLO
Source : Ziré