N’est pas Diva qui veut. En arrivant si tard à la rencontre de l’artiste malienne, on ne s’attendait pas à un accueil aussi chaleureux. À croire que tout entretien avec Oumou Sangaré commence par une bonne séance de calinothérapie ! Une bise par ci, un “comment ça va” par là. Elle fait le thé, verse l’eau dans la tasse, se sert enfin, elle-même, et tend dans un geste de grande douceur la petite tasse blanche à ses lèvres légèrement teintée de rouge. Ses yeux de chat étirés plissent ce vendredi de fin d’après-midi, certainement sous le coup de la fatigue après une semaine de promo intense pour son nouvel album Mogoya qu’on peut traduire par “les relations humaines aujourd’hui” (à paraître le 19 mai chez le label No format !) – mais ils vous transpercent et soudain elle semble lire en vous…à la limite d’inverser les rôles. Une proximité qui a fait de cette chanteuse l’une des plus grandes artistes du continent africain. Adulée et choyée sur la scène mondiale, c’est le regard plongé dans le coeur du Mali qu’elle puise son inspiration.
Elle respire l’Afrique
“Je chante depuis plus de 25 ans et je n’ai jamais voulu rester en Europe.” débute la chanteuse originaire du Wassoulou (centre historique de l’empire Mandingue) “parce que ce qui m’inspire, c’est l’Afrique, mon continent.” Justement dans cet album de neuf titres, il est beaucoup question du quotidien des Africains. La situation de la femme, les enfants, les faits sociaux comme le suicide, l’humanité, les relations humaines actuelles…En fait, Oumou Sangaré bouillonnait littéralement de ne pas pouvoir enregistrer sur ce qu’elle observait “on a tendance en Afrique à s’européaniser. Moi, je veux que l’Afrique reste l’Afrique, et qu’elle évolue dans le respect de ses traditions. Si on délaisse ces valeurs, on ne sera ni Blanc, ni Noir” lance t-elle dans un léger sourire crispée.
Une voix pour les sans “voix”
Qu’est-ce qui a changé en trente ans ? Oumou soupire. Pour elle, il est urgent de replacer les notions de valeurs et d’engagements au coeur des débats “avant on ne connaissait pas les termes de contrats, d’engagement, de signature, d’actes sur papier” décrypte t-elle “ce qui comptait c’était la parole donnée.” Connue pour son franc parler, depuis ses premiers textes, qui dévoilaient dans certains titres une certaine idée de la sensualité, interdite alors à l’époque, Oumou n’a pas changé sur ce terrain. En tant qu’artiste, elle estime qu’il est dans son rôle de s’exprimer, “dans le débat des idées, aujourd’hui, tout le monde à un rôle à jouer. Moi, mon rôle est de sensibiliser.” avance t-elle, “je pense que les Africains sont les seuls à pouvoir développer notre continent, mais il faut commencer par nous aimer, les uns, les autres. Il y a trop de guerres qui obscursissent nos sens des valeurs”
Pour la chanteuse malienne aux huit albums, le vent d’optimisme qui souffle sur les nouveaux rapports du monde avec l’Afrique ne doit pas faire oublier les combats pour de meilleures conditions de vie aux populations africaines. Malgré la modernité des sonorités de cet album, conconcté entre entre Stockholm et Paris, avec la contribution du collectif de musiciens français Albert (Vincent Taurelle, Ludovic Bruni et Vincent Taeger), et la participation du légendaire batteur Tony Allen – Oumou Sangaré continue de glisser des messages en direction de la jeunesse et des femmes surtout. “Mon inspiration vient de la femme africaine car sa situation m’inspire beaucoup. J’ai été touchée par mon enfance dure, j’ai beaucoup souffert à cet âge, ce qui m’a aussi inspirée dans la vie. Je pense qu’on doit être tous fiers de la femme africaine d’aujourd’hui. On est là, pour montrer au reste du monde qu’on peut compter sur nous dans notre société et qu’on est assez intelligentes pour accompagner et être aux cotés de nos hommes et que nos pays désormais peuvent compter sur nous.” explique celle qui a chanté pour la première fois à l’âge de cinq ans sur la scène du Stade Omnisports de la capitale Bamako devant 6 000 spectateurs !
“un temps pour venger sa mère, un autre pour dire son amour”
Née dans une famille d’artistes, sa grand-mère était une grande star dans la région de Wassoullou, et les gens l’invitaient à chanter dans des baptêmes et mariages. Sa mère Aminata Diakité reprend le flambeau en devenant cantatrice. Une artiste qui doit élever seule ses six enfants après le départ du père. C’est tout naturellement qu’elle a d’abord empêché sa fille de chanter, elle voyait Oumou, avocate ou institutrice. Non issue d’une ligné de griots, Oumou Sangaré acquiert toute la lattitude pour exprimer sa sensibilité pour animer les « soumous » (cérémonies nuptiales et baptismales) dans un premier temps. Très vite est venu le temps de la vengeance confie celle qui a d’abord “chanté pour venger sa mère”.
A 16 ans son rêve devient réalité. Elle part en tournée avec le groupe Djoliba Percussions. Elle travaille ensuite avec Abdoulaye Samassa en 1990 qui lui concocte un premier album taillée à la hauteur de son talent “Moussoulou” (les femmes). Son premier grand succès, vendu à plus de 250 000 exemplaires sur tout le continent. Grâce à Ali Farka Touré, Oumou Sangaré signe ensuite avec le label anglais World Circuit. Elle est déjà une superstar en Afrique. En 1993 sort Ko Sira, enregistré à Berlin, puis 3 ans plus tard Worotan, deux albums qui lancent sa carrière internationale. En 2009, elle est au summum avec Seya, un album produit par Cheikh Tidiane Seck. Devenant pour tous la voix des sans voix.
Mogoya
Après huit années d’absence dans les bacs, Oumou Sangaré revient encore plus forte. Son secret ? L’artiste confie ne se fixer aucune limite. Tour à tour, chanteuse, épouse, mère de famille, business woman, Oumou investi dans l’agriculture avec des hectares de terres agricoles, un investissement dans le riz avec une marque à son nom Oumou Sang, l’automobile avec une compagnie de taxis, et l’hôtellerie. Son objectif : “donner du travail aux gens. J’ai pris les gens aux mots, lorsqu’ils se plaignaient de ne pas trouver d’emplois. Alors j’en ai crée.”
Une ambition toute intacte et hyper-communicative, lorsqu’elle nous enlace pour nous dire aurevoir dans un geste à la fois fort et tendre.
En concert le 31 mars à la Grande Halle de la Villette à Paris, mais aussi le 1er juillet au festivalCouleur Café à Laeken (au pied de l’Atomium de Bruxelles) et le 3 août au théâtre de la Mer à Sète.
L’album Mogoya sortira chez No Format ! le 19 mai prochain. Déjà disponible en précommande sur Apple Music.