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« Où est l’argent ? » : grève, joueurs radiés, que se passe-t-il au Mali ?

Pour cause de primes impayées, les joueurs du Mali ont refusé de participer aux rencontres de qualifications pour la Coupe du Monde 2023 le week-end dernier, entraînant la disqualification de la sélection par la FIBA. La fédération a réagi en radiant sept internationaux, dont cinq habitués des parquets français. Éclairage de l’affaire en compagnie de l’un des bannis, l’ex-fosséen Sadio Doucouré.

« Un acte de déshonneur trahissant la confiance la confiance de la Fédération malienne de Basketball et du ministre de la Jeunesse et des Sports Mossa Ag Attaher (blanc comme neige dans cette affaire) ». La lecture de la presse malienne, « Le Démocrate » en l’occurrence, permet de mieux se rendre compte des degrés de connivence entre les médias locaux et le pouvoir militaire en place, où le fameux ministre blanc comme neige est également qualifié de « génie, travailleur surdoué, très dynamique et très compétent ». Une description tout en mesure qui tranche avec ceux utilisés pour les basketteurs, parfois âgés de 19 ans, désignés de « machiavéliques », « antipatriotiques » et accusés d’avoir « grandement humilié » la nation.

L’ampleur des mots prouve au moins une chose : le retentissement de l’affaire à Bamako ces derniers jours. Que s’est-il passé exactement ? Après une première fenêtre bien négociée fin novembre (2v-1d), la sélection malienne était censée composter son billet pour la deuxième phase des qualifications de la Coupe du Monde 2023 à Kigali. Mais les dix joueurs ont refusé de s’aligner lors des trois rencontres du week-end en raison du non-paiement des primes, de l’ordre de plusieurs milliers d’euros (voir ci-dessous). Trois forfaits qui ont entraîné la disqualification du Mali par la FIBA. « Nous demandons un minimum de respect des choses », explique le Lorientais Ibrahim Djambo dans une vidéo publiée par les joueurs. « On veut un changement au niveau de la fédération, au niveau du ministère. C’est notre travail, nous vivons de cela et nous voulons juste un petit respect de cela. Nous demandons un peu d’organisation. »

 

La réaction des dirigeants malienne ne s’est pas faite attendre : les sept joueurs présents sur la vidéo ont été radiés de la sélection nationale et de toute activité liée au basket sur le sol malien. Un empressement à sanctionner qui tranche avec la politique de l’autruche longtemps appliquée par la même fédération au niveau du scandale des abus sexuels. Pire, une enquête du New York Times – notamment menée par le journaliste isérois Romain Molina – avait dévoilé un système pédocriminel, avec deux décennies d’abus sexuels sur des joueuses, parfois mineures, et des coupables couverts par la hiérarchie. Deux poids deux mesures ?

Toujours est-il que cinq des sept punis évoluaient en France cette saison : Sadio Doucouré (Fos-Provence), Ibrahim Djambo (Lorient), Ibrahima Saounera (Lorient), Drissa Ballo (Andrézieux-Bouthéon) et Ibrahima Sidibé (Rennes). Un autre banni représentait l’avenir du basket malien : Oumar Ballo, 19 ans, qui s’apprêtait à fêter sa première sélection. Le pivot d’Arizona avait mené le Mali vers une historique médaille d’argent lors de la Coupe du Monde U19 en 2019, marchant sur la compétition (27 d’évaluation). Dans son communiqué, la fédération dénonce un « comportement inadmissible » et se défend des accusations des joueurs en indiquant avoir payé les primes, tout en ajoutant « qu’aucun motif, soit-il fondé, ne doit amener un sportif à humilier son pays. »

Le communiqué de la fédération officialisant la radiation des sept joueurs


Sadio Doucouré :
« Il faut tout revoir avec la fédération malienne »

De retour en France depuis mardi, Sadio Doucouré a pris le temps de nous expliquer les évènements de la semaine dernière et de nous livrer son ressenti sur la situation.

« C’était ma deuxième sélection avec le Mali. J’y suis allé pour la première fois l’année dernière et on m’avait expliqué ces problèmes : les joueurs qui ne sont pas payés, pareil pour les coachs. J’apprends tout ça sur le tard. À l’époque, on va en Tunisie et j’ai vu des scènes qui ne sont pas normales, des trucs que tu ne vois que dans les films normalement. Je ne peux pas vraiment rentrer dans les détails. Cette fédération est une catastrophe : comment expliquer que le staff technique n’a même pas de quoi avoir des straps ? Comment expliquer que le sélectionneur, Rémi (Giuitta, absent depuis un an, ndlr), devait payer le sponsor PEAK de sa poche ? Les féminines, qui gagnent des médailles aux championnats d’Afrique, ont-elles été payées aujourd’hui ? Les jeunes qui ont fini vice-champions du monde, ont-ils été payés aujourd’hui ? Où est cet argent ? Je ne parle même pas des déplacements… Même quand j’étais à l’AS Évry, un club amateur, c’était mieux. C’est pour dire à quel point c’est une catastrophe. Ce n’est que du vol, de l’hypocrisie. Il faut tout revoir avec la fédération malienne : j’ai vu des choses que je n’avais jamais vécues depuis que je fais du basket.

Je veux juste que nous – mes coéquipiers et moi, les féminines et les juniors – soyons respectés, que ces gens-là arrêtent de nous mentir et qu’on nous dise où est l’argent. Une prime de victoire représente 1 500 euros. Une prime de sélection, 800 euros. Et on ne parle pas de deux ou trois victoires manquantes, ni d’un problème qui concernerait quatre ou cinq joueurs… On ne fait pas grève pour 2 000 euros.

Lors du dernier rassemblement, nous avions un stage à Bamako. En arrivant, j’apprends qu’il y a toujours ce même problème de prime, des joueurs pas payés. On démarre les entraînements le lundi et tous les jours, on nous répète que les joueurs vont être payés, mais on ne voit aucune nouvelle concrète. Le mardi soir, l’équipe décide de faire grève. On ne s’entraîne pas tant que les joueurs ne sont pas payés. Le vendredi, le président par intérim de la fédération nous convoque en réunion pour nous expliquer que nous allons être payés. Pas de souci, mais où est l’argent ? On nous répétait la même chose, mais on ne voyait rien du tout. Finalement, on reprend l’entraînement. Les gens nous demandent pourquoi on est parti à Kigali quand même alors qu’on a décidé de ne pas jouer. En fait, lors de cette réunion-là, on nous a dit qu’on pourrait percevoir notre argent au Rwanda. En aucun cas, on avait décidé avant qu’on ne jouerait pas. Au contraire, vu qu’on nous a dit qu’on serait payé au Rwanda, on y est allé pour disputer nos rencontres. On n’est pas allé à Kigali pour aller saboter les matchs.

On arrive à Kigali le mercredi soir. Zéro nouvelle le jeudi. Vendredi matin, jour de match, on nous dit rien du tout. À ce moment-là, on décide donc en équipe de ne pas jouer vu qu’on nous prend pour des imbéciles. Les choses se sont envenimées à ce moment-là : un envoyé de l’ambassade du Mali est venu nous voir à l’hôtel pour nous demander de jouer le lendemain par exemple. Le samedi, toujours rien donc on décide encore de ne pas jouer. Le même jour, on apprend aussi que la fédération savait depuis le départ qu’il n’y avait pas d’argent. La fédération nous a dit qu’ils allaient nous radier. Ils ont même demandé à la FIBA de rentrer dedans pour qu’il y ait d’autres sanctions. Je ne sais pas ce qui va se passer mais sept joueurs de l’équipe ont été radiés. Les sept qui ont fait une vidéo, car la fédération avait publié un communiqué pour dire qu’il allait y avoir des sanctions, avant même de savoir ce qui se passait. Trois joueurs étaient absents de la vidéo car ils étaient présents à la salle pour signer notre forfait. Au final, ce sont les sept de la vidéo qui sont radiés mais c’était bien une décision de toute l’équipe.

Il y a des affaires de viol dans la fédération malienne dont on n’entend même pas parler. Mais nous, quand on demande nos droits, on est radié directement. C’est deux poids deux mesures. Je ne comprends pas où est la priorité. Personnellement, je suis déçu car avant de faire la sélection malienne, Karim Souchu m’avait appelé pour le 3×3 en équipe de France. J’ai refusé pour le Mali et quand je vois dans quoi je suis tombé… Je pourrais rester auprès de ma femme et de mes enfants au lieu d’aller dans ce genre de bourbier aussi. Je ne regrette pas car ça a été une très belle expérience de voir ce niveau international mais je trouve juste ça dommage pour le Mali, où les jeunes ne font que gagner des titres en Afrique, où ils ont terminé vice-champions du monde. Et aujourd’hui, du coup, Oumar Ballo ne veut plus jouer pour le Mali, certains de ses coéquipiers U19 aussi, car ils savent que c’est le bordel total à la fédération. Le Mali a des immenses talents mais qui sont dégoûtés, qui ont décidé de tirer un trait sur la sélection, c’est une catastrophe. »

Source: bebasket.fr

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