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Or : Un soutien des conflits ?

Plus de 95 % de l’or issu de l’extraction minière artisanale et à petite échelle (EMAPE) en provenance du Mali, déclaré à l’importation dans les pays non africains l’a été aux Emirats Arabes-Unis, EAU. Une partie de cet or a été exportée en contrebande. L’or d’EMAPE du Burkina Faso a notamment été exporté en contrebande vers le Mali.

Le rôle des EAU en tant que principale plaque tournante de l’or en provenance des zones de conflit est connu depuis longtemps. Une analyse a démontré que 46 % des importations totales d’or aux EAU en 2016 provenaient de pays touchés par un conflit armé ou à haut risque. De même, un rapport publié en 2021 indique que plus de 4 milliards USD d’or issu de zones de conflit en Afrique centrale et en Afrique de l’Est a été importé aux EAU en 2019. La Financial Intelligence Unit (FIU), une agence étatique chargée de la lutte contre le blanchiment d’argent aux EAU, reconnaît le risque que de l’or des conflits transite par les EAU.

Dans un rapport publié en octobre 2022, elle affirme que les négociants en métaux précieux et pierres précieuses « sont peut-être impliqués dans la contrebande d’or à partir de zones touchées par un conflit ou à haut risque, ou dans le transport illégal d’or à travers d’autres juridictions à haut risque. De là, l’or entre dans le pays et est revendu à d’autres négociants en métaux précieux et pierres précieuses locaux, ou est traité et réexporté vers des pays d’Europe occidentale ».

Des liens entre le financement de groupes armés et l’extraction ou le commerce de l’or ont été démontrés pour la grande majorité des 18 pays africains figurant dans la liste des CAHRA (liste indicative et non exhaustive des pays touchés par des conflits et à haut risque) de l’Union européenne (UE). En particulier, plusieurs groupes d’experts des Nations Unies ont mentionné explicitement les EAU comme destination de l’or issu de la contrebande ou lié à des groupes armés.

Le fait que des sociétés émiraties s’approvisionnent en or dans des pays figurant sur la liste des CAHRA de l’UE n’est pas problématique en soi. Le Guide de l’OCDE ne recommande pas le désengagement dans les cas où un minerai provient d’une CAHRA, mais plutôt l’exercice d’un devoir de diligence renforcé.

Par ailleurs, plusieurs organisations ont mis en garde contre les effets contre-productifs de l’élaboration d’une liste de CAHRA. Comme le souligne Rashad Abelson de l’OCDE, une telle liste ne doit pas conduire à la stigmatisation de certains pays ou de certaines régions, ni amener des entreprises à se désengager ou à ne plus s’approvisionner dans ces pays.

 Transport de l’or

L’or exporté des pays africains vers les EAU est transporté par voie aérienne, en bagage à main ou en soute, sur des vols de ligne ou en jet privé. La plateforme aéroportuaire des EAU, en particulier l’aéroport international de Dubaï, joue un rôle central dans ce commerce avec des connexions directes vers la majorité des pays africains exportateurs d’or.

Le rôle des courtiers transportant de l’or en bagage à main a été largement documenté, mais il n’existe pas de statistique officielle spécifique à ce mode de transport, donc il est impossible de connaître les quantités concernées. Certaines sociétés de négoce émiraties décrivent sur leur site web les procédures à suivre pour acheminer de l’or aux EAU en bagage à main en toute légalité. Le Dubai Multi Commodities Centre, DMCC et le World Gold Council (WGC) se sont engagés en novembre 2023 à collaborer dans la lutte contre le transport illicite de l’or en bagage à main. Ils ont prévu notamment d’analyser l’ampleur du commerce d’or illicite transporté en bagage à main, de formuler des recommandations politiques et d’harmoniser les déclarations douanières. Depuis plusieurs années, le directeur du DMCC, Ahmed Bin Sulayem, prend position publiquement en faveur d’une interdiction totale du transport d’or en bagage à main. Un encadrement de ce moyen pour le transport de l’or représenterait une avancée majeure dans la lutte contre les flux d’or illicites.

De l’or en provenance d’Afrique est également acheminé aux EAU en jet privé. En 2020, les autorités camerounaises ont arrêté deux Canadiens et un Camerounais qui s’apprêtaient à exporter illégalement 250 kg d’or vers les EAU par ce moyen de transport. CITOC qui cartographie des plaques tournantes illicites en Afrique de l’Ouest, mentionne également l’utilisation de jets privés pour l’acheminement en 2022 d’or de contrebande du Kenya vers les EAU.

 Réglementation du secteur de l’or aux EAU

Les centaines de tonnes d’or de contrebande importé aux EAU en provenance d’Afrique chaque année entre 2012 et 2022 suggèrent que des sociétés de négoce et des raffineries émiraties n’ont pas exercé leur devoir de diligence correctement. S’assurer de la légalité des approvisionnements, notamment du fait que l’or a été correctement déclaré à l’exportation dans les pays d’origine, constitue pourtant un élément basique du devoir de diligence. La Financial Intelligence Unit (FIU) des EAU a reconnu ce problème lorsqu’elle a écrit en octobre 2022 : « il y a des éléments qui indiquent que des raffineries locales associées s’approvisionnent en or auprès de mineurs sans prendre de mesures adéquates en matière de diligence raisonnable à l’égard de la clientèle ».

Il n’existe pas de liste officielle des raffineries d’or enregistrées aux EAU.

Ces dernières années, la pression sur les autorités émiraties s’est intensifiée. Dénoncé depuis longtemps par la société civile, les médias et les groupes d’experts des Nations Unies, le rôle des EAU en tant que plaque tournante de l’or d’origine douteuse a récemment été critiqué par d’autres types d’acteurs. En novembre 2020, la, London Bullion Market Association LBMA qui fixe et maintient les plus hauts standards de raffinage, documente et stock chaque barre d’or a menacé d’entraver l’entrée de l’or des EAU sur le marché international si les autorités émiraties ne prenaient pas de mesures afin de respecter certaines normes réglementaires de base. En octobre 2021, les autorités suisses ont mis en garde les raffineries de leur pays contre les risques inhérents aux approvisionnements en or aux EAU. En juin 2023, les autorités étasuniennes ont recommandé aux sociétés privées de faire preuve d’une diligence accrue dans leurs achats d’or et ont mentionné explicitement les EAU. Enfin, en mars 2022, le Groupe d’action financière (Gafi), un organisme intergouvernemental de lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme, a placé les EAU sur sa liste grise.

L’origine de cette décision remonte à une évaluation que le Gafi a menée en 2020, qui l’a conduit à identifier des « problèmes dans la supervision de certains secteurs à haut risque tels que (…) les négociants en or ». L’organisme a écrit dans son rapport que « la valeur des saisies est probablement inférieure à ce que l’on pourrait attendre des Emirats arabes unis, l’un des principaux points de transit de l’or au niveau international. Bien que des sources publiques rapportent que de l’or est passé en contrebande d’Afrique de l’Ouest vers les EAU, il n’y a pas eu de saisie ou de confiscation à cet égard ».

En réponse à l’évaluation du Gafi, les autorités émiraties ont publié un Risk Assessment Outreach Programm dans lequel elles identifient le secteur de l’or et des métaux précieux comme un secteur à haut risque et recommandent au secteur privé d’aborder toute transaction avec prudence. En février 2024, le Gafi a retiré les EAU de sa liste grise, suite notamment à l’engagement des autorités émiraties à mettre en œuvre un plan d’action pour combler les lacunes identifiées.

Circuits multiples

La Suisse est le deuxième plus grand pays importateur d’or africain après les EAU. Entre 2012 et 2022, les importations d’or en provenance des pays africains en Suisse ont augmenté de plus de 100 tonnes, passant de 162 tonnes à 267 tonnes.

Cela représente 11 % des importations totales d’or en Suisse cette année-là. Mais ce pourcentage pourrait en réalité être plus élevé, car il est fort possible que de l’or d’Afrique ait été importé en Suisse via des pays tiers, comme les EAU.

La Suisse est la principale plaque tournante du commerce international de l’or. Le pays abrite cinq raffineries d’or certifiées selon le standard de la LBMA (Argor-Heraeus, Metalor, PX Precinox, MKS PAMP et Valcambi), dont quatre figurent parmi les neuf plus grandes raffineries d’or au monde. En 2022, les autorités suisses ont rapporté des importations d’or du monde entier de 2’410 tonnes (99 milliards USD).

Entre 2012 et 2022, les importations suisses d’or en provenance de pays figurant parmi les principaux producteurs d’or industriel d’Afrique, à savoir l’Afrique du Sud, la Côte d’Ivoire, le Burkina Faso, le Ghana et le Mali, ont considérablement augmenté. En parallèle, le nombre de pays partenaires africains s’est réduit, passant de 26 en 2012 à 14 en 2022. Cela est dû au fait que les importations d’or en provenance de pays de transit comme le Togo et le Bénin et de pays producteurs d’or comme l’Erythrée, l’Ethiopie, le Niger et le Gabon ont cessé.

Une partie de l’écart entre les exportations d’or des pays africains vers la Suisse et les importations d’or en provenance des pays africains en Suisse provient également du commerce de l’or avec le Burkina Faso, en particulier en ce qui concerne les années 2020 à 2022. L’analyse détaillée de ces écarts permet toutefois de conclure qu’ils ne correspondent très vraisemblablement pas à des exportations d’or non déclarées.

Les importations d’or en provenance d’Afrique en Suisse entre 2012 et 2022 pourraient en fait être plus élevées que ce que les chiffres suggèrent. En effet, il est fort possible que de l’or africain ait été importé en Suisse via des pays tiers.

Les approvisionnements en or aux EAU sont reconnus comme risqués. Plusieurs rapports, dont un publié par Swissaid en 2020, ont documenté les relations d’affaires entre des raffineries suisses et des fournisseurs dubaïotes qui s’approvisionnent en or douteux dans des pays africains. En 2021, les autorités suisses ont mis en garde les raffineries suisses contre les risques qu’elles couraient en s’approvisionnant en or aux EAU. En 2022, la Financial Intelligence Unit des EAU a reconnu que de l’or de zones de conflit ou à haut risque « entre dans le pays et est […] traité à nouveau et réexporté vers des pays d’Europe de l’Ouest ». Enfin, l’Association suisse des fabricants et commerçants de métaux précieux (ASFCMP), une organisation faîtière qui rassemble la plupart des raffineries suisses, indique explicitement sur son site web que « si des sociétés ne sont pas en mesure de tracer précisément l’origine de l’or, notamment l’or transitant par Dubaï », elles doivent renoncer à s’approvisionner.

Au cours des dernières années, la grande majorité de l’or en provenance des EAU importé en Suisse l’a été par la raffinerie Valcambi. Depuis octobre 2023, Valcambi ne fait plus partie de l’ASFCMP.

Il y a deux sources permettant de connaître le type d’or importé en Suisse : les Responsible Sourcing Reports de la LBMA (disponible pour 2018-2021), qui regroupent les données sur l’origine de l’or traité par les cinq raffineries suisses certifiées LBMA, et Swiss-Impex, la base de données des douanes suisses, qui contient des données sur les importations d’or en Suisse désagrégées par type d’or (depuis 2021).

Les données de la LBMA font la distinction entre or industriel et artisanal, contrairement à celles des douanes suisses.

Les importations d’or africain en Suisse sont principalement constituées d’or minier (87,2 % en 2022). Et la quasi-totalité de l’or importé directement d’Afrique par les cinq raffineries LBMA suisses est issu de mines industrielles (99 % en 2021). Entre 2018 et 2021, ces raffineries ont importé entre 148 tonnes et 177 tonnes d’or fin par année en provenance de mines d’or industrielles africaines. Swissaid a documenté les relations d’affaires entre ces raffineries et ces mines dans un rapport publié en 2023.

Alexis Kalambry

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Précision

Faboula Gold, non Wassoul’or

Dans notre livraison du 11 juin, dans l’enquête « sur le commerce de l’or non déclaré », il est dit que « de l’or du Venezuela a transité par le Mali et la Guinée en 2020 avant de rejoindre Dubaï ou ait été exporté directement à Dubaï, mais déclaré à la frontière émiratie comme provenant du Mali, plus particulièrement de la mine de Wassoul’or ».

Nous tenons à corriger et préciser que Wassoul’or a été vendu depuis 2019 par Alou Boubacar Diallo. Le nouvel acquéreur exploite la mine sous le nom de Faboula Gold.

Toutes nos excuses à Wassoul’or et à Monsieur Diallo.

A Kalambry

 

Source: Mali Tribune
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