Ventre mou du Sahel, le Mali peine à retrouver une relative stabilité alors que le pays est parmi les zones les plus militarisées au monde. Et ce, malgré toute l’attention dont jouit le pays de la part de la communauté internationale, et de son parrain au sein de l’ONU, la France. Entre une supposée duplicité de cette dernière et les faiblesses de l’Etat malien, qui a la plus grande part de responsabilité dans le marasme sécuritaire actuel ?
Les projecteurs braqués sur les commémorations de la première guerre mondiale (1914-1918) à Reims, ont quelque peu éclipsé le rendez-vous phare du moment qu’a été le forum international de Dakar sur la Paix et la Sécurité en Afrique. Clôturé le mardi 6 novembre dernier, le Forum a su, au fil des ans, s’imposer dans le calendrier des dates les plus importantes sur le plan diplomatique puisqu’il traite d’un thème crucial pour la sous-région ouest-africaine. Il est un rendez-vous incontournable de réflexion et de débats sur les questions de sécurité dans la zone, et surtout, des mécanismes pouvant être mis en place pour lutter de manière efficace contre le terrorisme.
A l’ouverture du Forum le lundi dernier, le président Macky Sall dans son discours d’inauguration, aura certainement dit plus haut ce que beaucoup sur le continent pensent tout bas. Pointant du doigt l’armada militaire présente au Mali, il a critiqué les missions de maintien de la paix de façon générale en Afrique : « Malgré les efforts de l’ONU, malgré la présence de Barkhane, on voit qu’il y a un problème d’articulation et d’efficience. Lorsque les troupes des Nations unies sont réduites à rester dans le camp, en attente que les ordres viennent de New York ou d’ailleurs, pendant que les malfaiteurs s’en donnent à cœur joie, il faut revoir la nature de la mission. C’est une question simplement de bon sens ». Il a aussi exprimé son incompréhension sur le peu de résultats que génère la présence de forces représentant la communauté internationale au Mali tout en invitant à repenser les missions de maintien de la paix : « Nous avons plus de 10 000 Casques bleus au Mali, il n’est pas possible qu’avec 10 000 Casques bleus, avec la force Barkhane, il continue d’y avoir des forces qui perturbent le pays. Ce n’est pas logique. Il y a des choses qu’il faudrait corriger. (…) « Depuis 1960, l’ONU est au Congo. Il y a un problème. Cela fait 70 ans ! ».
Par ces quelques mots, Sall aurait jeté un pavé dans le maquis de la communauté internationale qui peine à déstabiliser le processus de stabilisation au Mali, tout en combattant le terrorisme depuis maintenant plus de cinq ans. Autant de forces militaires regroupées dans une seule et même zone pour si peu de résultats amène forcément de la suspicion. Une suspicion qui , bien qu’elle soit légitime car l’histoire nous a maintes fois montré que ce que l’on appelle la communauté internationale est souvent loin d’être une assemblée de saints au service de l’humanité, doit être atténuée par le fait que le Mali comme d’autres Etats subsahariens ont un appareil étatique fragile. Pour le cas du Mali, notons simplement que même en temps de paix relative, les autorités ont eu du mal à relever le défi de la souveraineté territoriale. Alors que dire quand ce même pays, sort d’une grave crise qui a failli lui couter jusqu’à son existence et qui, aujourd’hui encore, récolte amèrement plus de vingt ans d’une mauvaise gouvernance qui a détruit systématiquement la chaine de commandement de l’armée, rempart essentiel pour tout pays indépendant ?!
A cela s’ajoute également, un régime qui semble dépassé par l’enjeu faute d’un bon départ depuis son installation en 2013.
Le Mali, instrument diplomatique de la France ?
Le pays jouit d’un certain intérêt sur le plan international. La question est de savoir, jusqu’à quel point ? En 2013, aux premières heures de l’élection d’IBK, le pays s’est vu catapulté au-devant de la scène diplomatique grâce au grand soutien du président français de l’époque, François Hollande ; un accord de défense est signé entre le Mali et l’Hexagone, le président IBK est le premier chef d’Etat subsaharien a effectué une visite d’Etat sous l’ère Hollande, un sommet Afrique-France se tient à Bamako. Deux autres faits prouvent une mise en lumière diplomatique délibérée de l’Elysée du Mali : le premier déplacement hors d’Europe depuis l’investiture officielle du président Macron s’est fait au Mali, et le pays abrite le quartier-général de la force conjointe du G5 Sahel. Son commandement était même assuré par un Malien, le général Didier Dacko, avant qu’il ne soit limogé de son poste après l’attentat contre la base de la force à Sévaré.
Enième preuve encore de cette mise en lumière, c’est quand le Mali a été à l’honneur de la célébration de la « force noire » dans les festivités commémorant la guerre de 14-18 à Reims en France. Le mardi 6 novembre 2018, une fois de plus, IBK et le président français faisaient la Une diplomatique. Il est donc à noter que malgré la présence d’un nouveau président à l’Elysée, la ligne politique et diplomatique semble toute tracée, et Monsieur Afrique, Jean-Yves Le Drian, ministre de l’Europe et des Affaires étrangères, est là pour sa bonne mise en œuvre.
Voilà donc, tout un faisceau de faits dont se servent les adeptes de la théorie du complot pour prouver que le jeu de la France au Mali n’est qu’un jeu d’intérêts. Sans balayer d’un revers de la main une telle idée, rappelons tout simplement que la France a consenti d’énormes sacrifices humains et surtout matériels dans cette guerre contre le terrorisme pour la stabilisation du Mali. Rien qu’en 2013, et suite à une question du député français Nicolas Dhuicq au gouvernement de son pays sur le cout de l’opération Serval, le ministère de la Défense, après 20 mois de silence, a dans un texte annoncé le chiffre de 650 millions d’euros. Pour l’opération Barkhane, même si obtenir un chiffre est difficile, il serait aussi du même ordre pour la seule année 2016. Des montants mirobolants qui pourraient expliquer le soutien de la France pour le G5 Sahel qui devrait, à terme, prendre en main le destin sécuritaire du Sahel et favoriser un retrait progressif des forces françaises dans la zone.
Le Mali, terrain de jeu de la géopolitique mondiale
Comme toute force de maintien de la paix onusienne, la MINUSMA abrite plusieurs nationalités. Si certains pays sont présents uniquement que par courtoisie diplomatique, d’autres, par contre, jouent un rôle très important sur le plan militaire. L’on sait, d’ores et déjà que les casques bleus canadiens et l’armée de l’air belge sont sollicités par les français. Des éléments du détachement Chinook britannique sont aussi arrivés. Ces pays entendraient avoir une bonne part lors du partage des immenses ressources minières et pétrolifères du nord malien.
Pour les plus sceptiques, c’est donc à cela que se résume la présence de tout ce beau monde au Mali. Un jeu d’échecs où les positionnements des uns et des autres compteront lors du décompte final. Et l’échiquier, le Mali, ne serait que l’assise physique de ce jeu. Il n’aura donc droit qu’à très peu de dividendes de la manne économique du nord qui devient de moins en moins un mirage.
Ahmed M. Thiam
Source: Infosept