Jusque-là, on n’en a entendu tant -sans pour autant mettre fin à la petite musique des prophéties, des théories, des hypothèses, des analyses… qui, d’une part, tentent de justifier -du moins de comprendre- cette opération de déguerpissement, et d’autre part, la dénoncent de par son timing, son contexte et la méthode employée.
Si de chaque part, mobilisant différents postulats, les uns et les autres n’arrivent pas à raccorder leurs notes sur l’enjeu ou les enjeux, la méthode ou encore la finalité de cette opération, il serait intéressant d’aller au-delà de cette divergence tant sur le fond que sur la forme afin de voir plus large.
Il ne s’agit pas seulement d’invoquer l’ordre, la propreté, le désengorgement et la facilité de circulation afin de réfuter toute idée défendant les petits commerces, dénonçant la méthode du déguerpissement ou encore liant cet événement à la prochaine organisation d’un sommet entre un continent tout entier ou presque et un pays colonialiste. Comme il est illogique de préférer le désordre, la saleté et l’anarchie en se figeant dans la coïncidence et dans le contexte, ou en attendant le bon moment qu’on se sait quand.
Toutefois, il s’agit de penser avant d’agir. De construire avant de détruire.
Détruire et après ?
Bamako, la « coquette ? » avant d’être une réalité, est avant tout cette ville sale, anarchique et désordonnée. Mais Bamako est aussi son grand marché, vivant et chaleureux où se mêlent mélodies, odeurs, saveurs et couleurs, et où tous se côtoient femmes, hommes et enfants, riches et pauvres, commerces fixes et ambulants… Donc, le centre ville et son grand marché, c’est aussi une histoire, un lieu de vie qu’on ne peut détruire sans penser et construire une autre.
Ceux dont les commerces ont été détruits, et dont Bamako veut se débarrasser -la catégorie toujours stigmatisée et responsable de tout pour permettre à d’autres catégories -les protégés- de s’épanouir et de prospérer- vont-ils s’installer où ? Comment un État, mobilisant le droit et l’ordre et qui veut désormais prévenir le désordre -je l’espère-, peut déloger sans penser à reloger, chasser sans prévoir de recaser ? Comment l’État est à ce point incapable de faire passer, non dans la violence et dans le sang, mais à travers les concertations et dialogues, des mesures dites d’intérêt général ?
Je m’empresse vite de parler du marché des Halles de Bamako qui se meurt, n’arrivant pas à attirer commerces et consommateurs. Là-bas aussi, la situation change mais pas dans le bon sens. Au lieu d’occuper le marché en son sein, vendeurs et acheteurs s’activent et s’affairent au dehors du marché, sur les trottoirs et les routes. L’intérieur du marché est presque vide mais son extérieur bouillonne comme au Rail, à Dabanani… Du coup, il est aisé de se demander si on ne fait pas que contourner le problème, déplacer l’anarchie vers un autre lieu. Or, il s’agit de penser le problème dans sa globalité, du centre-ville aux périphéries.
Beaucoup soutiennent l’initiative dissimulant du même coup leur responsabilité dans la construction de ce désordre. Tous, nous y avons participé. En préférant le grand marché au Halles par exemple. Car, le vendeur n’est-il pas censé identifier et satisfaire le besoin du consommateur ? Ne devrait-il pas aller là où se trouve son consommateur ? Donc, nous -pas tous- avons aussi nos préférences et qui ont contribué à ce désordre. En préférant, comme il est dit l’« informel » au formel.
L‘économie « informelle » répond à des besoins !
Tous, dénonçons par ce mot négatif cette économie que nous-mêmes contribuons à développer en Afrique tant elle est cruciale pour le développement et la croissance endogènes et non exportés et imposés.
Comme le note Michel Rocard dans son livre Pour une autre Afrique, il serait pertinent de distinguer les économies regroupées sous le vocable « informel ». Identifier et réprimer l’économie criminelle, mais aider et développer l’économie « populaire. » Une économie populaire qui comprend les « entreprises individuelles, familiales, et les microentreprises et tout ce qui est tourné vers la satisfaction des besoins locaux. » L’idée est de créer une complémentarité entre cette économie populaire et l’économie formelle pour cibler et satisfaire des besoins différents. Il ne s’agit pas tant de détruire le commerce ambulant en le rendant responsable de tout le désordre. Car, qui ne veut pas à portée main ce qu’il ne trouvera qu’après quelques pas ? Mais, faire en sorte que l’acheteur, le consommateur et le client fixe de par ses pratiques le commerce ambulant.
Des centres commerciaux, pourquoi pas. Mais cela ne devrait pas se faire au détriment de l’économie populaire et de proximité. Ne nous prenons pas pour ce que nous ne sommes pas encore. Et cela ne veut en rien dire de rester comme nous sommes. Combien de millions vivent de l’économie populaire et de proximité ? Combien d’autres se rendent-ils dans des centres commerciaux ? Nous savons tous qui fréquentent les rares centres commerciaux dans Bamako. Et les centres commerciaux ne peuvent abriter tous les commerces.
Oui à l’ordre, à la facilité de circulation, à la propreté et au slogan « Bamako, la coquette ». Mais pas parce qu’il y a un sommet. Pas pour manipuler et détourner l’attention de nos Concitoyens tout en les empêchant de s’intéresser aux questions essentielles liées à la gouvernance, à l’emploi, à la santé, à l’école et à la sécurité entre autres. Ici, il ne s’agit pas d’être pour ou contre tant l’État est dans son rôle en voulant combattre le désordre, l’anarchie et la saleté mais rien ne saurait expliquer ou justifier le sang et la mort. Un État qui ne crée pas d’emplois ne peut se lever du jour au lendemain pour détruire des emplois.
Mahamadou Cissé
Citoyen sans mérite
La rédaction