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O. O. Kane: «Tombouctou n’était qu’un centre d’érudition parmi tant d’autres»

Quelle forme d’islam pratiquait-on en terre africaine avant la colonisation ? Quelle place la religion a-t-elle jouée dans la construction politique et sociale de la région sahélienne ? Quelle influence les érudits africains ont-ils dans la tradition musulmane ? Ces questions, parmi beaucoup d’autres, Ousmane Oumar Kane s’y intéresse dans son nouveau livre. Au-delà de Tombouctou, une histoire intellectuelle de l’Afrique de l’Ouest musulmane, paraît ces jours-ci en anglais aux presses d’Harvard, la très réputée université américaine dont il occupe la chaire Islam et sociétés musulmanes contemporaines. Son objectif : rappeler que, via l’enseignement de l’islam, de nombreux centres de savoir et d’érudition existaient dans la région, bien avant l’arrivée des Européens, qu’ils entretenaient des liens avec le Maghreb et l’Orient, et qu’ils abritaient une forte communauté de lettrés et de savants, dont l’influence perdure aujourd’hui.

Ousmane Oumar Kane

RFI: Le titre de votre livre engage à aller voir plus loin que Tombouctou. Voulez-vous montrer qu’au-delà de la cité des Saints, il y avait une multitude de centres de savoir musulmans en Afrique de l’Ouest, bien avant l’arrivée des Européens ?

Ousmane Oumar Kane: Au cours des dernières années, on a beaucoup parlé des manuscrits de Tombouctou. Tombouctou est bien connue comme centre d’érudition mais beaucoup ignorent encore que Tombouctou n’était qu’un centre parmi tant d’autres, en Afrique subsaharienne. En Sénégambie, au pays haoussa, à Borno, en Afrique de l’Est et ailleurs, il existait des centres d’érudition dont certains ont survécu jusqu’à aujourd’hui et se sont modernisés.

Quelles sont les particularités de l’islam africain ?

D’abord les Africains vont utiliser les caractères arabes pour transcrire leur propre langue et l’usage du caractère arabe est attesté dans 80 langues, dans le continent africain. Par ailleurs, le système d’enseignement était bilingue et de ce fait, les études islamiques ont développé considérablement le vocabulaire des langues africaines. Ainsi par exemple, l’auteur d’une exégèse du Coran en haoussa ou d’une conférence de soufisme en pular doit recourir à un langage technique élaboré dans la langue africaine en question. Par conséquent, les études islamiques, loin d’éradiquer ou de reléguer les langues africaines au second plan, les ont en fait renforcées car plus le lettré est versé en études islamiques, mieux il peut s’exprimer dans sa langue natale.

Que disaient les juristes musulmans africains de la pratique de l’esclavage ?

Dans le livre, j’analyse la position de quelqu’un qui s’appelle Ahmed Baba. Dans son texte – le plus ancien que l’on a publié et qui date du XVIIème siècle – il condamnait certaines pratiques esclavagistes. Normalement, il y a des règles qui régissaient l’assujettissement. On ne pouvait pas réduire n’importe qui à l’esclavage mais ces règles étaient bafouées. Ainsi, par exemple, on ne pouvait pas réduire les musulmans en esclavage mais on sait que ces règles n’étaient pas respectées. Ahmed Baba a ainsi émis des fatwas qui sont restées autoritaires et dans lesquelles il prouvait que certaines régions de l’Afrique de l’Ouest étaient islamisées depuis longtemps et qu’on ne pouvait pas donc assujettir les habitants de ces régions-là.

Est-ce qu’on donnait un rôle politique à l’islam dans l’Afrique précoloniale ?

Vous savez qu’au XVIIIe et XIXème siècle, des lettrés musulmans ont testé l’ordre établi dans la plupart des Etats où ils étaient basés. Ils pensaient que l’islam devait vraiment servir à façonner un ordre social et politique. Donc, le phénomène qu’on appelle actuellement islamisme n’est pas vraiment nouveau. Si on regarde l’histoire de l’Afrique de l’Ouest au XVIII et au XIXème siècle, il y a beaucoup de lettrés qui avaient contesté les Etats pré-existants et la pratique de l’islam pour revendiquer donc le retour à un islam plus rigoriste qui serait mis en application par les Etats.

Dans votre livre, vous expliquez que les savants africains musulmans ont toujours entretenu des rapports, des relations avec le Maghreb et le Moyen-Orient. Les savants musulmans africains ne vivaient pas en vase clos.

Absolument. Si vous regardez leurs écrits, vous verrez qu’ils citent les auteurs de toutes les régions du monde musulman, ce qui est vraiment la preuve qu’ils participaient à un réseau mondial d’échanges. Ils se rendaient en Afrique du Nord pour étudier, pour enseigner. Ils se rendaient aussi au pèlerinage à La Mecque. Ils étudiaient au Caire. Vous savez, au XIIIème siècle, il y avait une résidence pour les étudiants de Borno à l’université d’al-Azhar. Cela veut donc dire qu’il y a une longue histoire de l’érudition islamique en Afrique de l’Ouest.

Les savants musulmans africains ont donc contribué dans tous ces domaines-là. Ils n’ont jamais vécu en vase clos et le Sahara n’a jamais été une barrière. Au contraire, c’était un port qui permettait aux peuples d’entrer en communication et cela, on peut le voir véritablement en analysant cette tradition intellectuelle et les écrits de ces lettrés.

Pour vous, c’est un mythe de dire qu’il y a un islam d’Afrique noire déconnecté d’un islam du Maghreb et du Moyen-Orient.

Exactement car maintenant vous pouvez voir que tous les courants et toutes les sensibilités islamiques sont représentés en Afrique subsaharienne même si pendant longtemps, effectivement, le soufisme a été l’islam dominant et continue de l’être.

Donc, selon vous, l’idéologie jihadiste que l’on voit notamment au nord du Mali ou autour de lac Tchad avec Boko Haram, ce n’est pas un phénomène complètement extérieur à l’islam africain ?

La preuve, c’est qu’au XVIIIème et au XIXème siècle, il y avait aussi des mouvements jihadistes. Bien-sûr, ils n’avaient pas tout à fait la même justification mais ils ont mené des révolutions qui ont conduit à la création des Etats. L’idéologie de mener des guerres armées pour renverser des Etats impuissants, ce n’est pas quelque chose de nouveau. Il suffit de regarder l’Histoire du XVIII et XIXème siècle pour s’en convaincre.

Il y a un point que vous abordez à la fin de votre livre, c’est la question de l’argent provenant des pays du Golfe qui sert à construire des mosquées, des écoles coraniques et à former des imams. Vous dites que ces fonds du Golfe e de l’Arabie Saoudite ne servent pas nécessairement à promouvoir le wahhabisme dans cette région.

Tout à fait car il faut savoir que c’est lors de la création de la Ligue mondiale islamique que l’Arabie Saoudite a commencé la politique panislamiste. Et c’était pour répondre à l’influence du président Nasser. A l’époque, l’Arabe Saoudite voulait jouer un rôle important, de leadership, du monde musulman et a donc soutenu des initiatives musulmanes un peu partout dans le monde. Ce ne sont pas seulement les Wahhabites. Je crois que c’est un large mythe de penser que ce ne sont que Wahhabites qui ont bénéficié de ces fonds.

 

Source : RFI

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