Au sortir d’une réunion des chefs d’Etat de la Cedeao, samedi 29 juin 2019, «Eco» a été retenu comme le nom de la nouvelle monnaie unique de la Cedeao, censée prendre effet en 2020. Plusieurs faits se sont succédés qui ont permis à la Cedeao de franchir ce pas.
Dans son édition N°3049 du 16 au 22 juin 2019, l’hebdomadaire Jeune Afrique a consacré 14 pages à la question du franc cfa qui alimente actuellement les débats dans les hautes sphères économiques, mais aussi politiques.
A la lumière de plusieurs extraits d’interventions d’experts sur les questions de politiques monétaires, et au regard de l’intérêt que l’opinion publique porte à la chose monétaire, il apparaît clairement que l’idée d’abandon du fcfa au profit d’une nouvelle monnaie était inévitable. «Dans les quatorze pays d’Afrique centrale et de l’Ouest utilisant cette monnaie (…), l’opinion est de plus en plus sensible aux diatribes populistes des activistes anti-cfa», constate l’hebdomadaire panafricain. Cette révolte contre le fcfa qui remonte à «trois ou quatre ans» a été suscitée par des activistes qui ont tenté tant bien que mal de rallier à leur cause, les foules africaines.
Le plus populaire d’entre eux, Kémi Séba, fondateur du mouvement Urgences panafricanistes, a soulevé une grosse polémique en 2016 en brûlant un billet de 5 000 fcfa à Dakar. En plus des populistes, J.A. fait mention de spécialistes tels que l’ancien ministre togolais Kako Nubukpo, le Sénégalais Abdourahmane Sarr (un ancien du Fmi) le Bissau-Guinéen Carlos Lopes (ancien secrétaire exécutif de la Commission économique des Nations unies pour l’Afrique), etc., se sont montrés favorables au divorce d’avec le fcfa. Non sans oublier des mouvements d’Organisations de la société civile, des altermondialistes, des responsables politiques…, anti-fcfa. Les principaux griefs émis contre le fcfa : «un système qui freine le développement», «un mécanisme désuet», «des rigidités pénalisantes» ou encore «des symboles peu défendables», etc.
La pression populaire a payé
Face à cette levée de bouclier contre la «monnaie coloniale», les dirigeants africains (dont les pays ont en usage le fcfa) n’ont pas manqué la moindre occasion pour vanter les avantages du fcfa. Sauf qu’ils sont les seuls à défendre cette monnaie tandis que la population, elle, semble épouser les idées populistes.
La France, puissance colonisatrice, accusée d’appauvrir ses ex-colonies à travers la «monnaie de la servitude, le fcfa», ayant vu le danger venir, s’est officiellement déclarée prête à accompagner toute reforme du système souhaitée par les dirigeants africains. «La France attend de ses partenaires des propositions qui ne viennent pas. Et elle commence à en avoir marre d’être insultée», s’impatientait Rémi Maréchaux, directeur Afrique et océan indien du ministère des Affaires étrangères français, lors d’une récente réunion d’un think tank parisien, rapporte J.A.
De part et d’autre (anti comme pro fcfa), les positions étaient telles que «la question n’est plus de savoir si le système monétaire de l’Uemoa et de la Cemac est avantageux pour les pays qui en sont membres» : «Toute personne raisonnable considère que modifier le fonctionnement de la zone cfa est nécessaire», soutenait en 2018 Abdourahmane Sarr dans les colonnes de J.A.
Il s’agissait donc de définir et mettre progressivement en œuvre des réformes permettant aux pays de la zone cfa d’affronter les défis économiques et sociaux auxquels ils seront confrontés à la suite de cette rupture d’avec le franc cfa. Aussi, il n’est pas question de procéder simplement à un changement de nom, histoire de supprimer uniquement des symboles qui rappellent le passé colonial, mais d’opérer une transformation, une réforme complète qui ouvre une nouvelle ère monétaire pour les anciennes colonies françaises utilisatrices du cfa.
La définition originelle du cfa, l’autre gros problème
«Pour ses défenseurs, inutile de changer le nom du franc cfa. Ce qui compte, selon eux, c’est sa valeur, sa stabilité et sa convertibilité», lit-on dans le magazine qui ajoute qu’ils (les défenseurs, Ndlr) soutiennent, en effet, que la dénomination de cette monnaie est un «label de crédibilité» auprès des investisseurs dont il serait dommage de se priver. Soit. Reste que la monnaie n’est pas seulement une affaire économique et technique comme le souligne si bien l’hebdomadaire. Elle est aussi éminemment politique : la confiance qu’elle inspire ou non à ses utilisateurs est essentielle. «Son nom doit inciter ces derniers à se l’approprier. Ce qui est loin d’être le cas avec le cfa», fait constater l’enquête de J.A. L’hebdomadaire panafricain explique que quand bien même la dénomination du sigle cfa a changé au fil des années, personne n’a oublié sa signification originelle. A savoir «Colonies françaises d’Afrique». Toute chose qui a du mal à passer auprès des intellectuels et d’une large fraction de la jeunesse.
Ce qu’il faut savoir sur l’impression des billets, leur sécurisation
Jusqu’à ce jour, la fabrication des billets libellés en fcfa relève du monopole de la Banque de France, confirment les enquêteurs de Jeune Afrique. L’usine est en effet basées précisément à Chamalières, en Auvergne (France). Comme pour le nom, le fait que le fcfa soit fabriqué en dehors des territoires des pays utilisateurs, et plus particulièrement en France, est un symbole politique dont l’abolition, de l’avis d’experts, contribuerait à renforcer l’adhésion des populations qui l’ont en usage. Si J.A. informe que pour l’instant, les États africains ne disposent pas de technologies qui leur permettraient de battre leurs propres monnaies, il ne manque pas d’invoquer les exemples de pays qui le font déjà sur le continent, dont l’Afrique du Sud, le Nigeria, le Maroc, l’Algérie ; une dizaine de pays, en tout, qui impriment leur monnaie localement. Peut-être que c’est l’un des objectifs que poursuit la Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (Bceao) en retirant à l’usine de la Banque de France à Chamalières la sécurisation de ses billets pour la confier à l’entreprise allemande Giesecke & Devrient.
Un autre point qu’il convient de relever qui montre que la Bceao a plus ou moins ”un contrôle” sur ses billets, c’est qu’elle a réussi à imposer à son imprimeur qu’il se serve «exclusivement» du coton produit par ses États membres pour la fabrication des billets. Imprimer soi-même sa monnaie, «n’est pas seulement une question de fierté de soi et d’émancipation vis-à-vis de l’ancienne puissance coloniale. C’est aussi, et surtout, un enjeu économique. la fabrication des billets de banque est un marché public qui coûte cher aux banques centrales. Pourquoi celles-ci ne pourraient-elles pas procéder à des appels d’offres afin de faire jouer la concurrence ? C’est ce que font déjà la plupart de leurs consœurs africaines», préconisent les analystes de J.A.
Comment fonctionne le compte d’opération
«Créés en 1962, les comptes d’opérations sont au cœur du mécanisme grâce auquel le trésor français garantit la convertibilité du franc cfa. Ils sont aussi à l’origine des plus vives critiques», présentent nos sources. Concrètement, c’est la France qui défend la parité du fcfa par rapport à l’euro. En théorie, l’Hexagone assume cette responsabilité même quand les deux banques centrales qui utilisent le fcfa, la Bceao et la Beac, ne disposent plus de resserves en devises suffisantes pour justifier l’arrimage à l’euro. En échange de cette garantie, les deux banques centrales déposent 50% de leurs réserves (le taux était de 85% avant 2005) sur des comptes rémunérés à 0,75%, ouverts en leur nom dans les livres du trésor français. Pour mieux assurer la gestion des réserves des banques centrales, dans la probabilité où cette gestion devrait être retirée au trésor français, des spécialistes proposent que soit lancé un appel d’offres pour désigner un établissement financier international chargé d’héberger ces réserves.
Le Nigeria obtient la «déconnexion des pays de la zone franc du trésor français»
Le Nigeria, la première puissance économique et militaire de la sous-région ouest-africaine, est partant pour la monnaie unique de la Cedeao. Le pays de Muhammadu Buhari qui supportait difficilement d’entendre parler de fcfa, avait soulevé un préalable pour adhérer au projet régional. Le Nigeria exigeait, en effet, des pays de la zone franc une déconnexion du trésor français. Au sortir de la réunion des ministères en charge de l’Économie et des Finances à Abidjan les 17 et 18 juin 2019, Adama Koné, ministre ivoirien de l’Économie et des Finances, a fait savoir que les réserves du Nigeria ont été levées. «La feuille de route sera suivie. La convergence dépend des efforts que fera chaque pays pour respecter les critères», soulignait pour sa part Jean-Claude Brou, président de la Commission de la Cedeao.
Elysée LATH
Source: linfodrome.Com