Guitariste, auteur compositeur et interprète, Amadoun Bocoum dit Afel est de retour dans les bacs avec «Lindé» depuis le 4 septembre 2020. Un nouvel album produit comme les deux précédents par «World Circuit Records». Enregistré à Bamako, «Lindé» est déjà bien accueilli par les critiques comme un remarquable mélange de traditions profondes et d’innovations audacieuses
«Armement des toboggans, vérification de la porte opposée. Mesdames et Messieurs, voici nos consignes de sécurité : restez débout, chanter et danser…» ! C’est ainsi qu’Afel Bocoum accueille les mélomanes dans «Avion», le titre phare de son nouvel album, «Lindé» sorti officiellement le 4 septembre 2020. En effet, ce très dansant nouvel opus est une invitation à un voyage de découverte le long du fleuve Niger dans ce vol presque spécial de l’artiste. Une œuvre qui vient enrichir sa discographie après «Alkibar» (1999) et «Niger» (2006). Il y a eu entre ces deux œuvres «Musique du Mali» (Mali Music) avec d’autres artistes en 2002.
Mais, le «Messager du Grand fleuve» (Niger) a mis 14 ans avant de signer ce retour (solo) fracassant dans les bacs. Et ce n’est pas faute d’inspiration. «J’ai attendu tout ce temps parce que j’ai manqué d’espace. Au Nord, il était pratiquement impossible de faire de la musique. Même pour se regrouper n’était pas chose aisée. Maintenant, les choses commencent à bouger…», explique Amadoun dit Afel Bocoum.
En tout cas, pour les fans du bluesman et d’autres mélomanes, l’attente valait la peine puisque c’est un album atypique qui leur est offert aujourd’hui. Difficile de se retenir en écoutant les 11 titres. «Le monde est en train de changer. Notre façon de faire la musique n’attire pas forcément la jeune génération qui préfère bouger sur une scène que de rester assise pour écouter les chansons», explique-t-il pour justifier ce flirt entre son traditionnel blues et de nouvelles sonorités.
Dans cette œuvre, Afel réussi une fascinante symbiose entre la musique séculaire du virage du Delta du fleuve Niger avec des styles du monde entier. Et cela grâce à une parfaite complicité avec des musiciens comme le regretté Hama Sankaré et du défunt pionnier de l’Afrobeat, Tony Allen. Le trombone de Vin Gordon (Bob Marley/Skatalites), le violon de Joan… apportent une touche particulière à ce retour flamboyant de l’enfant de Niafunké.
«Les innovations, ce sont les cuivres. J’ai toujours rêvé d’avoir des cuivres dans ma musique…», avoue Afel.
Un trésor vocal au service de la musique du terroir
Comme le commente un critique, sur cet album «les instruments traditionnels comme le « ngoni », le « njurkel » (monocorde), la kora et la calebasse se mélangent aux guitares, aux percussions et aux chants pour créer une douce ondulation qui émane d’une source cachée au plus profond des traditions historiques et mystiques de sa terre natale. Elle s’est enrichie en cours de route par des affluents et des courants croisés».
Mais, le talent personnel, surtout sa sublime beauté vocale, ne sont pas étrangers à cet accueil fantastique déjà réservé à l’album par les critiques. «La voix d’Afel est l’un des trésors du Mali et ce disque est un cadeau pour nous tous», a commenté Damon Albarn, producteur exécutif du disque aux côtés de Nick Gold de World Circuit et qui travaille avec Afel Bochum depuis bientôt deux décennies. Une collaboration née presque par hasard alors que le musicien était de passage au Studio Bogolan d’Yves Wernert à Bamako.
«Je suis tombé sur un homme venu voir s’il y avait des musiciens capables de composer ou de chanter sur des musiques qu’il avait composées. J’ai chanté sur deux titres de l’album et, dès lors, il m’a invité plusieurs fois en Angleterre». C’était en 2001, à l’époque de l’album «Mali Music» qui a révélé Afel Bocoum au reste du monde.
Leur collaboration a toujours accouché de chefs d’œuvre à l’image de «Lindé» bien accueilli par les critiques et les mélomanes. «J’avoue que je ne me lasse pas d’écouter en boucle certains titres de cet album qui va certainement propulser Afel au sommet de la Word music», souligne un fan sur YouTube. «Très belle orchestration qui accouche d’un album d’une sonorité originale», reconnaît un autre admirateur sur le même média.
Faisant référence à l’enfance d’Afel, «Lindé» est une œuvre de 11 titres engagés à l’image de «Avion». Un appel à nos compatriotes à s’inspirer du génie créateur à la base de cet appareil pour rassembler la nation malienne, à se mobiliser sur le chantier de son émergence socioéconomique. Le neveu et fils spirituel d’Ali Farka Touré y appelle à la paix, à la solidarité et à l’unité.
Cet engagement est très opportun d’autant plus que ce nouvel album sort alors que ce Mali si cher à l’artiste est en grande difficulté. «La politique et les guerres ont divisé le pays alors que nous on est un et indivisible», confie-t-il dans un entretien accordé à la presse spécialisée. Les 14 années passées sans produire ont non seulement permis à Afel d’affiner son blues du désert, mais aussi de réfléchir et de comprendre les maux qui gangrènent le pays comme la corruption et le népotisme.
«S’ils (les politiciens) veulent développer le pays, ils doivent laisser les gens choisir librement un programme. Il est aussi temps que les Maliens comprennent qu’il ne faut jamais suivre quelqu’un parce qu’il a de l’argent ou parce qu’il est le fils d’un tel ou d’une telle autorité. Je le dis surtout à l’intention des jeunes qui doivent être aujourd’hui les vrais porteurs de la rupture, du changement», conseille Amadoun, technicien d’agriculture de formation.
La musique, une assurance pour la cohésion nationale
Et de poursuivre «que chacun accorde la priorité à ce qu’il peut apporter à sa communauté, à son pays ; il faut que les Maliens s’acceptent… Nous devons nous rencontrer les uns les autres, nous parler et regarder chacun dans les yeux en nous disant la vérité. Si nous ne nous unissons pas, je ne vois pas de solution. Notre assurance sociale, c’est la musique. C’est tout ce qu’il nous reste», dit-il.
Critiquer ce qui ne va pas dans le pays sans se renier ! C’est aussi ce que le prodige a hérité de son mentor.
«Ali m’a appris à aimer et à respecter ce que je fais et à ne pas surtout véhiculer des messages inutiles dans mes chansons», explique celui qui, malgré sa longue absence des studios d’enregistrement, n’a jamais cessé de parcourir le monde avec sa guitare électro-acoustique pour porter le message d’espoir et de paix avec son groupe «Alkibar» ou avec le «Ali Farka Band».
Afel Bocoum est un musicien, guitariste et chanteur malien, né à Niafunké en 1955 d’une mère peule et d’un père sonrhaï. Ayant fait des études agricoles, il travaille à partir de 1978 dans le secteur du développement agricole. à 13 ans (1968), Afel Bocoum rejoint son oncle Ali Farka Touré au sein du groupe «Asco» de Niafunké. Il quitte le groupe dix ans plus tard (1978), mais poursuit sa collaboration avec Ali Farka Touré pendant une trentaine d’années.
Dans les années 80, Afel fonde son propre groupe qu’il baptise «Alkibar» ou «Messager du grand fleuve» en langue sonrhaï. Cette formation par sa maîtrise d’instruments traditionnels comme la njarka (violon à une corde), njurkel (guitare à deux cordes), la calebasse… combinés à la guitare acoustique. En 1997, il produit un premier album. Afel Bocoum chante principalement en sonrhaï (sa langue maternelle), en fulfulde, en tamasheq, en bambara… Ses chansons évoquent l’évolution de la société malienne, la reconnaissance des droits des femmes ; dénoncent les mariages ; exhortent au respect des valeurs…
Après l’accueil chaleureux réservé à «Lindé», Afel est actuellement dans l’attente «des jours meilleurs» pour reprendre ses tournées et retrouver son public. «On est en panne technique», plaisante-t-il en faisant allusion à la pandémie du coronavirus qui a mis le monde sens dessus dessous. En attendant, ses fans peuvent se consoler en savourant les onze titres du nouvel album sur les plateformes de téléchargement.
Des délices à savourer sans modération !
Source : L’ESSOR