Moctar Ouane savait évidemment qu’il ne venait pas pour une sinécure lorsque l’on l’a appelé pour être le Premier ministre de la Transition. Le Mali, qui sortait de l’ère IBK, présentait tous les symptômes du délirium tremens, angoissé par l’insécurité ambiante, devenue son quotidien, tremblant encore de la fièvre des journées chaudes de contestation, de colère consécutive aux tueries d’une armée qui n’avait rien à faire avec les manifestants, aigri et irrité de n’avoir pu mettre la main sur l’enfant prodigue, enfui avec les milliards des pauvres, après avoir festoyé à l’égal des milliardaires fainéants dans les paradis exotiques.
Ce Mali, que Moctar Ouane retrouvait après un séjour dans un monde organisé et discipliné, reste encore sur une longue faim de justice, de sécurité, de bonne gouvernance, notamment.
Avec le régime défunt, les populations maliennes avaient, en outre, pu mesurer toute l’étendue du désastre démocratique, provoqué par trente ans de refus d’assumer certaines responsabilités, nécessaires pour asseoir et renforcer l’autorité de l’Etat, pour éviter le basculement de tout un peuple dans la prévarication, dans l’incivisme béat, nourri de la rage d’arracher sa part de la richesse nationale et du sentiment de l’impunité.
D’où l’exigence démocratique et de gouvernance éclairée à fleur de peau des Maliens, montée de plusieurs crans après le renversement de la Secte IBK.
Les frustrations sont aujourd’hui profondes, après huit mois d’exercice du gouvernement de Transition. Le désir ardent de changement des populations a été échaudé par l’envahissement de l’appareil étatique par la junte et ses affidés, la résurgence des reflexes alimentaires et vénaux, le brouhaha des politiciens, qui en ont brouillé leurs discours et leur lisibilité.
Positions extrémistes et revendications maximalistes
Entre l’opportunisme des militaires (dont le message d’égocentrisme a été largement décrypté par les Maliens) d’une part, les positions extrémistes des politiciens et les revendications maximalistes des syndicats et de certaines organisations de la Société civile d’autre part, le Premier ministre aurait pu trouver et afficher une ligne de conduite clairement encline au rejet de certaines pratiques, vigoureusement dénoncées sous Ibrahim Boubacar Keïta.
Or, le népotisme, l’ostracisme, le recul de l’Etat de droit (arrestations et détentions arbitraires de citoyens, intimidations et autres postures liberticides) ont toujours cours au Mali. Généralement imputables aux militaires, à la poursuite d’un objectif d’enracinement au sein de l’appareil d’Etat, ces travers constituent des menaces sérieuses pour l’émergence d’une administration républicaine, professionnelle et dévouée, pour la réalisation de la cohésion sociale et l’ancrage du vivre ensemble.
Après avoir reçu un accueil assez mitigé, la création du Comité d’Orientation Stratégique est au cours de la controverse, depuis la nomination de ses membres. L’omission du Haut Conseil Islamique et du Secteur privé, entre autres, de la liste des membres du COS alimente actuellement la polémique et entretient l’idée d’un ostracisme, dont on ne voit pas l’intérêt pour les initiateurs, mais qui refrène quelque peu l’adhésion franche de l’opinion nationale à la mise en œuvre du nouvel organe.
Moctar Ouane est-il déjà en train de décrédibiliser un mécanisme initié par lui-même pour impulser le processus de réformes réclamées par toute la nation ?
Les Maliens, en grand besoin de changement, attendent des signes forts de la Transition. Le Comité d’Orientation Stratégique, pour retrouver, rapidement, du crédit, doit surtout cerner les réformes emblématiques d’une nouvelle république, porteuse d’une gouvernance à la hauteur des ambitions économiques et sociales du pays.
La quête de « renaissance » et de « rédemption »
Fiers de leur histoire, qu’ils évoquent volontiers souvent, comme pour s’en pénétrer, les Maliens sont en quête de « renaissance » et de « rédemption ». Deux valeurs qu’ils aimeraient voir incarnées par des hommes de grandes qualités, capables de hisser au dessus des légèretés et des petitesses. Que trente ans de pratiques démocratiques dévalorisées ont quasiment transformées en mode de gouvernance.
La pétaudière, installée par le ponce pilatisme du dernier président de la République, a été la circonstance aggravante de tous les maux du Mali. Il est, en conséquence, celui par lequel les réformes doivent être amorcées.
La fonction présidentielle est un fourre-tout dans lequel le président de la République puise à volonté, selon ses humeurs, ses pouvoirs exorbitants.
Chef Suprême de toutes les institutions du pays, il ne se connait pas de limites et peut ainsi s’ingérer dans tous les domaines. Il peut aussi disposer des ressources de l’Etat.
Ibrahim Boubacar Keïta, tout intellectuel qu’il est, n’a pu éviter le piège de croire que tout lui était permis, convaincu que le Mali était sa propriété, comme l’y ont encouragé les laudateurs, le présentant comme « le Jamanatigi ».
Quelle que soit l’option de la réforme constitutionnelle (révision constitutionnelle ou nouvelle constitution), les prérogatives du président de la République doivent y être revues à la baisse et être ramenées aux dimensions d’un homme, chargé certes de grandes responsabilités d’Etat, ne détenant son pouvoir que de la seule volonté des populations. Ni démiurge ni messie, il doit être le symbole des valeurs républicaines et sociétales.
A cet égard, la constitution doit fixer des critères rigoureux pour être candidat à la présidence de la République. Ainsi, ne peut être candidat à cette haute fonction un homme ou une femme n’ayant pas été blanchi d’une accusation de détournement de deniers publics, de surfacturation et autres fraudes.
Limiter le champ des privilèges du Président
A l’occasion de la dernière élection présidentielle, Madagascar avait donné une leçon de démocratie à l’Afrique, à travers une disposition constitutionnelle, qui faisait obligation au président sortant, visant un second mandat, de démissionner trois mois avant le dépôt d’une nouvelle candidature. Cela avait entrainé la défaite du président sortant…
Mais l’Afrique a ignoré la leçon. IBK lui-même, très contesté, n’avait dû sa réélection qu’en puisant à tours de bras dans les deniers publics pour financer sa campagne à coups de milliards, dépensés à envoyer des centaines de marabouts et autres flagorneurs en pèlerinage à la Mecque, à offrir des 4×4 de luxe à d’improbables chargés de communication et superviseurs de campagne et à d’autres libéralités.
Il est donc essentiel pour la crédibilité de notre système démocratique de limiter le champ des privilèges du Chef de l’Etat. A ce titre, il ne devrait plus prendre part à la nomination de membres d’institutions comme la Cour Constitutionnelle, la Cour Suprême.
Le Comité d’Orientation Stratégique devrait également trouver des astuces pour conférer davantage de hauteur et de qualité à notre parlement. Des critères draconiens de représentativité devraient contribuer à faire de la représentation du peuple un haut lieu de réflexion, voué à un véritable contrôle du pouvoir exécutif.
Cela devrait aussi éviter à notre Assemblée nationale d’être le théâtre de reproduction de saltimbanques, davantage préoccupés à faire leur cinéma qu’à défendre les intérêts des populations.
Des réformes bien ciblées sur des institutions emblématiques de la démocratie et de la République présenteraient ainsi le double avantage d’une économie de temps (la transition n’étant plus extensible) et d’une prise en charge de l’essentiel, correspondant aux attentes des Maliens.
Cette vision et cette approche devraient être celles de Moctar Ouane et du Comité d’Orientation Stratégique. Ils feraient œuvre utile pour la République et, surtout, pour le peuple du Mali.
Mamadou Kouyaté
koumate3@gmail.com